Fuites sur les gazoducs : l’Europe face à une nouvelle catastrophe énergétique à l’approche de l’hiver ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Les trois grandes fuites dans les gazoducs Nord Stream 1 et 2 en mer Baltique sont visibles mardi à la surface avec des bouillonnements allant de 200 jusqu'à 1000 mètres de diamètre
Les trois grandes fuites dans les gazoducs Nord Stream 1 et 2 en mer Baltique sont visibles mardi à la surface avec des bouillonnements allant de 200 jusqu'à 1000 mètres de diamètre
©Défense danoise / capture d'écran vidéo

Menace

Les fuites simultanées à plusieurs endroits différents sur Nord Stream 1 et Nord Stream 2 suggèrent même qu’il s’agirait d’attaques

Damien Ernst

Damien Ernst

Damien Ernst est professeur titulaire à l'Université de Liège et à Télécom Paris. Il dirige des recherches dédiées aux réseaux électriques intelligents. Il intervient régulièrement dans les médias sur les sujets liés à l'énergie.

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Atlantico : De gigantesques fuites ont été constatées à plusieurs endroits sur Nord Stream 1 et Nord Stream 2. Que savons-nous à l'heure actuelle ?

Damien Ernst : Trois fuites ont été constatées à différents endroits dans les pipelines, au nord et à l'est de l’île de Bornholm, située au large du Danemark. Il y en a deux sur Nord Stream 1 et une sur Nord Stream 2.

Une première « émission massive d’énergie » d’une magnitude de 1,9 a été enregistrée dans la nuit de dimanche à lundi, vers 2 heures du matin. Une autre de magnitude 2,3 a été ressentie lundi soir vers 19 heures. Elles laissent penser que des engins explosifs sont à  l'origine de ces fuites et la probabilité d’un accident est pour ainsi dire nulle. Tout porte à croire qu’il s’agit d’un acte malveillant. C’est la première fois que nous assistons à une attaque d’une telle ampleur et le Danemark, la Suède et l'Allemagne parlent clairement d'un acte de sabotage.

À quel point ces fuites peuvent-elles accentuer les difficultés européennes cet hiver ?

Nord Stream 1 n’envoyait plus de gaz en Europe depuis plusieurs semaines. Les Russes invoquaient des problèmes au niveau des turbines, mais cette information est impossible à vérifier. 

Nord Stream 2 était lui opérationnel mais n’a jamais été mis en service. Les raisons sont assez simples : l’Europe exigeait une séparation entre l’opérateur de Nord Stream 2 et les producteurs de gaz, dans le but d’éviter une situation de monopole. Suite à ces explosions, la question est réglée : les réparations dureront au minimum des mois et on voit mal les Allemands ou les Russes même les entamer rapidement. L’Europe doit comprendre qu’il ne faut plus compter sur ces gazoducs. 

Mais ce qui vient de se passer doit nous alerter sur un risque bien plus grave. Nos infrastructures ne sont pas très bien protégées et il est extrêmement difficile de les sécuriser sur des milliers de kilomètres. On peut se demander s’il n’y a pas un risque d’attaque sur d’autres gazoducs, comme ceux qui relient la Norvège ou encore l'Afrique du Nord à l’Europe. En cas de coupure des approvisionnements de gaz envoyés en Europe depuis la Norvège, nous assisterions à une récession terrible. Nous ne pourrions même plus nous chauffer et produire d’électricité. Il ne faut pas avoir peur des mots : les craintes à ce sujet sont très sérieuses et fondées. L’Europe n’a plus de marge de manœuvre et nous ne pouvons pas exclure que les choses se détériorent très significativement dans les mois qui viennent.

En cas de sabotage massif sur les infrastructures énergétiques, saurions-nous faire face ?

Il est extrêmement difficile de sécuriser ces infrastructures hautement stratégiques sur des milliers de kilomètres. Il faudrait mettre en place une présence navale armée forte dans ces endroits, mais cela semble peu réaliste. D’ailleurs, il n’y a pas à ma connaissance de plans de protection actifs crédibles alors qu’il est relativement simple de faire exploser ces pipelines. 

En ce qui concerne Nord Stream 1 et 2, les hypothèses sont à ce stade nombreuses : 

Les Russes comptaient sur Nord Stream 1 et Nord Stream 2 pour envoyer du gaz à l’Europe en contournant l’Ukraine et la Pologne. Pour Poutine, ces gazoducs étaient également un moyen de faire pression sur l’Europe. Si la Russie était à l'origine de ces actes malveillant, ce serait certainement dans une logique d'opération sous fausse bannière afin de pouvoir justifier des attaques sur d'autres infrastructures énergétiques européennes par la suite.

Des regards se tournent aussi vers les États-Unis, qui pourraient avoir saboté ces infrastructures pour affaiblir la Russie. Ils ont toujours été opposés à ces gazoducs.

On peut également imaginer que des organisations ou des pays frustrés par le manque de soutien de l’Allemagne envers l’Ukraine aient fait sauter ces pipelines, afin que le chancelier allemand défende l’Ukraine avec plus de force. Les Allemands gardaient toujours l'espoir de réobtenir un gaz bon marché de la Russie.

Des pays du Golfe pourraient aussi avoir envie de signer des contrats LNG long terme avec l’Allemagne et le sabotage de ces gazoducs pourrait leur faciliter la vie. D'autres scénarios pourraient également être envisagés mais nous n'avons aucun élément factuel à ce stade permettant d'accuser qui que ce soit.

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