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Front National - Front de Gauche : les névrosés de l’immigration
©Reuters

Xénophobie - Xénophilie

Si le FN souffre d'une névrose qui la mène a rejeter tout étranger, le Front de Gauche aussi en possède une, inversée, qui consiste à inclure et à tous les intégrer. Un réflexe qui la pousse naturellement au Front Républicain.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Anthony Escurat

Anthony Escurat

Anthony Escurat est directeur des études de Nouveau Cap (think tank du MEDEF). Il est l'auteur de « Fiscalité locale des entreprises : un échec français » pour Nouveau Cap (mars 2019, 156 pages) et de « Le lobbying : outil démocratique » pour la Fondation pour l’innovation politique (février 2016, 48 pages).

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Atlantico : Malgré les très nombreuses ressemblances, il semble y avoir une différence notable entre l’extrême gauche et l’extrême droite : d’un coté l’extrême droite porte un discours xénophobe ou tout du moins anti-immigration, de l'autre, l’extrême gauche tient un discours d’ouverture "extrême". Est-ce votre constat ?

Anthony Escurat : Selon moi, il y a deux choses. Le constat est à la fois juste et à mon sens un peu faux. Ce qui est sûr c’est qu’aujourd’hui, ce qui différencie l’extrême gauche du FN ne tient quasiment plus qu'à cette question du rapport à autrui. On voit aujourd’hui que le Front de Gauche est beaucoup plus proche "programmatiquement" du Front national que du PS. Sur tout un tas de sujets, notamment économiques, avec la relance Keynésienne, ou encore la fin de la politique d’austérité, ils partagent des thèmes avec le FN. On peut l'observer aussi sur l’attachement au service public, sur l’Union européenne et la perte de souveraineté monétaire, budgétaire et normative. L’UE qui est d’ailleurs suspectée d’être "la fille ainée de l’Allemagne". Et Jean-Luc Mélenchon, et Marine Le Pen, d’une certaine manière, critiquent en cœur la politique d’Angela Merkel. Là dessus ils ont beaucoup de points de convergence. Cela est dû au tournant "chevènementiste" du FN, qui a été impulsé par Floriant Philippot. Aujourd’hui, la seule chose qui les différencie c’est ce rapport à autrui, le sujet de l’immigration, celui des banlieues et des Français issus des dernières vagues d’immigrations.

Pour moi, cette xénophilie est mortifère. Aujourd’hui, ça n’a fait que fertiliser les herbes folles du communautarisme. C’est à dire que depuis 15-20 ans, les collectivités locales sont gérées par la gauche et les fronts de gauche. Ces exécutifs ont fait se développer le communautarisme en donnant des subventions à telles associations, etc. C’était du saupoudrage électoral, et cela a créé du communautarisme. Ce qu’ils ont fait, c’est de proposer une république alternative et "low cost" aux personnes dites issues de l’immigration. Ils n’ont pas permis à ces populations d’embrasser la République, d’embrasser la communauté nationale. Ils leur ont créé une République, périphérique, dans les banlieues, ghettoïsée, avec tout ce qui va avec : mode de vie, associations, etc. Aujourd’hui, quand vous entendez les propos de Marion Maréchal le Pen en région PACA, cela tranche totalement avec le discours du Front de Gauche. C’est un constat. Ensuite, cette xénophilie est également, selon moi, à géométrie variable. D’abord parce qu’elle est plutôt récente au sein du Front de gauche. Et elle est à mon sens purement électoraliste. Il y a de moins en moins d’ouvriers en France, donc ils sont passés d’un militantisme de lutte des classes à un militantisme ethnoculturel. Lorsque l’extrême gauche se désolidarise d’une candidate NPA aux municipales de 2008 qui fait un tollé médiatique parce qu’elle porte un voile non intégral, on est en pleine contradiction. Lorsque l’extrême gauche condamne à demi-mot les débordements qu’il y a eu en France lors des manifestations pro-palestiniennes, le manque de logique est la même. On constate que cette xénophilie s'exerce simplement envers une communauté. Encore une fois ce n’est pas une xénophilie qui embrasse forcément tout le monde mais qui est plutôt tournée vers un électorat.

En tant que psychiatre, que dit ce comportement du personnel politique d’extrême gauche, de leur psychologie et de leurs "troubles psychiques", qu'ils soient positifs ou négatifs ?

Jean-Paul Mialet : Eliminons d’emblée le terme de troubles psychiques qui ne me paraît pas approprié lorsqu’il s’agit d’options politiques. Parlons plutôt de dispositions psychologiques. Rappelons déjà une évidence : l’autre est autre. Face à cet autre qui n’est pas moi et qui, par ses différences, remet en question ce que je suis, la tentation est grande de procéder à un effacement. Cet effacement – cette ignorance de l’autre – peut prendre deux formes. L’une consiste à l’exclure, à le chasser du paysage : la disparition de l’autre permet d’éviter la douloureuse question d’une confrontation authentique à l’autre. Une autre manière de gommer l’autre est de l’inclure en soi, d’éliminer l’autre par une sorte de phagocytose – ce processus qu’utilise la cellule pour "digérer" ce qui l’entoure et la menace. Il me semble que l’extrême gauche adopte cette attitude. Elle efface les frontières de l’autre par une ouverture qui fait perdre toute valeur à l’autre, en le rejoignant et en l’absorbant dans la fusion. Ceci au risque de la confusion : en l’occurrence, la confusion prend la forme d’une perte d’identité, car l’identité ne s’établit que par différence avec l’identité de l’autre. Les personnalités d’extrême gauche auraient elles peur d’être elles-mêmes ? Concevraient-elles être soi-même comme une destruction de l’autre ? Voudraient-elles éliminer tout conflit fondateur avec ce qui différencie ce que l’on est soi-même de ce que sont les autres ?

Lorsqu'on parle des étrangers mais aussi d'identité, il y a une sorte de tabou de la part de l'extrême gauche. Qu’est ce que vous en pensez ? Comment l'expliquez-vous ?

Anthony Escurat : La gauche d’une manière générale, et l’extrême gauche en particulier, a semé la terreur dans les esprits, la terreur du bien pensant et du politiquement correct. C’est à dire qu’il est interdit d’avoir dans les esprits une pensée qui sort du politiquement correct. Cela contraste avec les succès électoraux, de la droite et du FN lors des dernières régionales et départementales, et les succès dans les librairies de personnes comme Zemmour, Finkielkraut, etc. Or à mon sens, la question de l’identité nationale est majeure pour ne pas dire cruciale pour notre pays. Les terroristes qui ont massacré des gens lors des attentats ne sont pas Syriens, ni Egyptiens. Ce sont des terroristes de nationalité française. Ce qu’on voit aussi dans nos banlieues, c’est qu’il y a un pour certains un désamour de la France, un sentiment d’exclusion de la communauté nationale. C'est un sentiment anti-français qui existe, mais qui ne mène heureusement pas forcément au terrorisme. Il faut se poser la question de l’identité nationale. Car il y a deux faces d’une même pièce. Vous avez d’un coté de la pièce une partie des Français qui ne se considèrent pas comme tel, et de l’autre coté vous avez des Français qui ne se sentent plus en France.

Quand Nicolas Sarkozy parle de l’identité nationale dans sa campagne de 2007, il a raison. Le problème est que la droite a fait n’importe quoi de ce débat. Il a été galvaudé et est devenu contreproductif. Mais cette question de l’identité nationale est primordiale en France. Il y a une fracture identitaire. A mon sens, la gauche est aujourd’hui la mieux placée pour répondre à cette question. Le FN ne peut pas s’en emparer parce que cela va cristalliser les passions et braquer une partie de la France. La droite en a fait n’importe quoi. La gauche, et surtout l’extrême gauche, même si elle est frondeuse parfois, reste solidaire du gouvernement et devrait se saisir de cette question de l’identité nationale.

L’extrême gauche doit sortir de son déni là dessus. Pourquoi ? Simplement parce que telle qu'elle se définit en ce moment, ça ne marche pas. Les communistes sont trop proches du FN, inaudibles. S'ils veulent être audibles dans le débat public et regagner des électeurs, l'idée de se saisir du sujet de l’identité nationale peut être une vraie opportunité. Mais ça va demander de faire un inventaire, comme pour la gauche. Ils commencent seulement. Comme le fait totalement Malek Boutih, qui, quand il parle de ça, est omis à gauche. Emmanuel Macron, après les attentats, a dit que la République avait une part de responsabilité, et tout le monde lui est tombé dessus. C’est dommage car la gauche et la République ont bel et bien une part de responsabilité.

Comment peut-on expliquer ce type de tabou ? Comment ça marche concrètement ?

Jean-Paul Mialet : Pour certains, rien ne doit rappeler que l’autre pose un problème. Même un problème pratique atteste encore d’une différence qui soulève des questions : l’étranger n’existe pas. Logement, emploi sont des rappels à une réalité intolérable : le Syrien n’est pas un habitant du village – on n’ose à peine dire le Syrien n’est pas un Français. Pourtant, dans la mesure même où il est autre, faire sa place à l’autre exige des accommodements. Ces accommodements peuvent être difficiles mais ils sont également fructueux. Ils amènent à s’interroger sur soi-même et ses propres limites, à se confronter à l’autre dans le débat et le dialogue et à s’enrichir de la différence qu’il représente et des questions qu’il pose. Ne pas vouloir percevoir les problèmes pratiques que pose l’intégration d’un étranger, c’est encore nier son caractère d’étranger. Et s’il n’y a pas d’étranger, si nous sommes tous mêmes, quelle est notre identité propre ? La question de l’identité nationale dont on ne veut pas entendre parler n’est qu’une forme de cette volonté d’abolir toute identité différenciatrice, comme je l’indiquais plus haut.

Dans quelle mesure la figure de l'étranger par l'extrême gauche peut-elle s'inspirer des victimes de génocides qu’il faudrait désormais protéger ?

Anthony Escurat : Non pas du tout. Si l'on peut faire une analogie à mon sens c’est celle de la figure coloniale. On retrouve cette culpabilité coloniale qui est portée par la gauche, et surtout par l’extrême gauche. L'idée est de dire : "la France à fait du mal dans ces anciennes colonies" et aujourd’hui nous avons en France plusieurs millions de Français issus de ces pays là. Je pense que l’une des raisons principales est qu’ils se disent : "Pauvre électorat étranger de banlieue qui vit dans des cités difficiles".  C’est cet aspect paternaliste vis-à-vis de populations qui vivent dans la précarité.

Apres, cette culpabilité est maigre comparée au cynisme électoraliste. Je pense qu’ils se servent de cette culpabilité et que c’est d’abord le cynisme électoral qui l’emporte. Si vous interrogez les jeunes Français issus de l’immigration, ils ne connaissent rien de l’histoire de leur pays d’origine ou du passif colonial de la France. L’extrême gauche se trompe. Ces Français là ont coupé le cordon ombilical avec leur pays d’origine. Alain Mabanckou, romancier franco-congolais disait : "Les générations d’aujourd’hui, leur avenir s’écrira en France"  contrairement à leurs parents, qui avaient toujours un pied des deux cotés de la méditerranée. franco-malien, franco-algerien, franco-sénégalais, etc. La nouvelle génération a coupé le cordon ombilical culturel, intellectuel et géographique.

Jean-Paul Mialet : Pourquoi la notion d’autre, d’étranger, est-elle devenue tabou ? J’ai indiqué que l’autre était une menace pour son identité, et qu’en même temps il était une exigence pour la construction de son identité. Cette ambiguïté de l’altérité a été développée par de nombreux philosophes. On se rappelle le fameux "L’enfer c’est les autres" de Jean-Paul Sartre, et le point de vue hégélien qui fait de la conscience de soi une affirmation de soi sous forme de lutte (il parle même de lutte à mort) par rapport à la conscience d’autrui. Ceux pour qui ce conflit fondateur est intolérable, ceux qui ne peuvent pas se permettre de se frotter à l’autre (par peur de le détruire ou d’être détruit), ont, comme je l’ai dit, deux façons de régler son compte à l’altérité : rejeter l’autre – l’annuler ; ou l’engloutir – l’incorporer. Ces deux façons permettent de se débarrasser de l’autre que l’on enterre en soi ou en dehors de soi.

Lors de la Seconde Guerre mondiale, c’est l’élimination physique de l’autre – en l’occurrence, les juifs, les tziganes, les homosexuels, mais également les malades mentaux – qui a été, comme on sait, monstrueusement mise en pratique. Il semblerait que l’horreur de cette élimination à grande échelle de l’autre – considéré comme une impureté qui salissait la race - ait rendu tabou toute différenciation au point de mener certains à l’extrême inverse : ce qui comme je viens de le dire, est une autre façon d’éliminer l’autre. Comme d’habitude, les extrêmes se rejoignent. Mais naturellement, l’extrême ouverture a des allures de générosité que n’a pas l’élimination radicale. Elle peut donc aisément faire autorité et influencer une génération culpabilisée d’avoir, de près ou de loin, été mêlée aux monstruosités de la seconde guerre. Une génération qui n’ose plus défendre son identité propre en entretenant les conflits nécessaires (indispensables à la fois pour la préservation de soi et l’enrichissement constructif de soi)  avec ceux qui différent d’elle.

Quel est votre diagnostic sur l’extrême gauche en tant que doctorant en sciences politiques ? Et comment peut-elle, sinon se soigner, tout du moins être plus "attirante" politiquement parlant ? 

Anthony Escurat : Sans trop épouser le champ lexical médical, je dirais que le cancer de l’extrême gauche en 2015 est généralisé. Les raisons sont multiples. La première c’est que la gauche est au pouvoir. Et l’extrême gauche est toujours plus à l’aise quand elle est dans l’opposition et que la droite est au pouvoir. La deuxième raison est que l’extrême gauche pâtie du soutien qu’elle a affiché à Hollande en 2012. Cela se voit parce que le Front de Gauche ne parvient pas à retrouver la dynamique de Mélenchon qui était à 11% à la dernière élection présidentielle. Aujourd’hui, le meilleur score du Front de Gauche aux régionales se situe en Normandie avec 7% des suffrages exprimés. La moyenne est en dessous  des 4% rappelons-le. Surtout le Front de Gauche est complétement dispersé. Il est désuni.

Enfin, comme je vous le disais, "programmatiquement", la conversion chevènementiste du FN a complétement anesthésié le Front de Gauche. Ils se rejoignent sur trop de sujets, il n’y a que très peu de sujets où ils sont en désaccord. Si ce n’est la question du rapport à autrui et de l’immigration. Il n’y a pratiquement plus que cette question là.

Ce qu’il faut à la gauche c’est une thérapie de choc. Je pense que le Front de Gauche gagnerait à s’emparer de sujets qui sont à rebours de ceux qui sont les siens actuellement. L’identité nationale en fait partie. On voit qu’aujourd’hui les thèmes récurrents dont s’empare le Front de Gauche ne marchent plus dans l’opinion. Ils ne marchent plus, même médiatiquement. C'est encore un autre problème. On ne voit pratiquement plus le Front de Gauche dans les médias. Il doit donc passer par une thérapie de choc. Par exemple en reprenant des sujets sur lesquels l’extrême gauche n’intervient pas ou sur des sujets qui sont dans l’opinion mais dont ils n’osent pas parler. Notamment et avant tout, la question de l’identité nationale, majeure après les attentats. A l’époque des émeutes dans les banlieues en 2005, l’islamisme n’existait pas. Quand la droite ou le FN ont dit que le problème c’était l’islam, ils se trompent. Le problème c’est l’identité nationale. Il faut que tout le monde se sente français. La République doit s’interroger là dessus. L’extrême gauche à trop longtemps balayé d’un revers de main ce sujet.

En tant que psychiatre, quel serait votre "diagnostic" de l’extrême gauche ? Qu’est-ce que cela peut révéler de certaines "névroses" de l’extrême gauche ? Comment peuvent-ils éventuellement se soigner ?

Jean-Paul Mialet : Vous me permettrez de ne répondre à votre question qu’après un détour par mon domaine professionnel, la psychiatrie. La question de l’altérité est un sujet fondamental dans notre pratique. En adoptant une conception extensive de la psychopathologie, on peut distinguer globalement deux types de troubles de l’altérité : ceux qui souffrent d’un excès du poids de l’altérité que l’on qualifie de névrosés ; et ceux qui ignorent l’altérité, ce l’on observe chez les psychotiques. Les névrosés ont le sens des réalités, mais ils en souffrent exagérément. Les psychotiques ont réglé le problème des efforts qu’exige l’adaptation à la réalité en s’en échappant. Pour opposer les deux types de troubles, on prend volontiers l’image suivante : pour le névrosé, 2+2=4 et c’est intolérable ; pour le psychotique, 2+2=5 et tout va très bien. Si l’on s’en tient à cette opposition caricaturale, l’extrême gauche comme l’extrême droite ne seraient pas névrosés mais psychotiques dans leur façon de vouloir échapper au conflit avec l’altérité. Hélas, la psychose se soigne mal. Il faut souvent un conflit violent avec la réalité pour que celle-ci trouve davantage sa place dans l’esprit du patient.

Une caractéristique de la psychose est également que le débat intérieur disparait au profit du passage à l’acte. Lorsque l’on voit la violence qui émerge de toute part, ainsi que la pauvreté des débats qui agitent notre société - avec sa façon d’exclure toute opinion véritablement différente et dérangeante en l’ignorant ou en l’étouffant -, on peut s’interroger : n’est-ce pas simplement l’extrême gauche, mais l’ensemble de notre société qui bascule lentement dans la psychose ?

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