François au Parlement européen : pourquoi le pape comprend mal une Europe qui a pourtant tellement besoin de lui<!-- --> | Atlantico.fr
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Le pape François ce mardi au Parlement européen à Strasbourg.
Le pape François ce mardi au Parlement européen à Strasbourg.
©Reuters

Habemus tractatum rei publicae Europae

Le pape François se rend ce mardi au Parlement européen à Strasbourg, le cinquième déplacement à l’international du souverain pontife et le deuxième en Europe. La plus courte visite de l’histoire de la papauté... Tout un symbole, celui de la prise de conscience de la nouvelle géopolitique du catholicisme : l’Europe, à l’échelle du monde, ne représente plus que 24% des fidèles.

Christophe Dickès

Christophe Dickès

Historien et journaliste, spécialiste du catholicisme, Christophe Dickès a dirigé le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège chez Robert Laffont dans la collection Bouquins. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la politique étrangère et à la papauté (L’Héritage de Benoît XVI, Ces 12 papes qui ont bouleversé le monde). Il est enfin le fondateur de la radio web Storiavoce consacrée uniquement à l’histoire et à son enseignement.

 

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Atlantico : Le pape François, premier pape non-européen de l’histoire, a-t-il des difficultés à comprendre l’Europe ?

Christophe Dickès : En élisant le cardinal Bergoglio sur le trône de Pierre en 2013, les cardinaux ont souhaité prendre en compte la réalité démographique du catholicisme. En effet, aujourd’hui, un catholique sur deux est originaire du continent américain. L’Europe, à l’échelle du monde, ne représente plus que 24% des fidèles. François prend simplement acte de ce changement de la géopolitique du catholicisme. Par ailleurs, il existe aussi chez lui un décalage culturel exprimé notamment dans le texte fondateur de son pontificat La Joie de l’Evangile. On peut y lire que « la foi ne peut pas être enfermée dans les limites de la compréhension et de l’expression d’une culture particulière. » Or, le pape vise ici très clairement la culture européenne. Il estime que cette culture a en quelque sorte confisqué le message de l’Evangile. Il souhaite changer cette image.

On ne peut évidemment manquer de mettre en parallèle ce positionnement d’avec celui de ses prédécesseurs : même si le pontificat de Jean-Paul II eut une dimension mondiale, on sait quel a été son attachement à la culture européenne. Il suffit de relire son testament Mémoire et identité sur le sujet. Quant à Benoît XVI, sur ses vingt-sept voyages, il en fit quinze en Europe… C’est dire si la lutte contre la déchristianisation européenne fut une priorité de son pontificat.

Enfin, sur le plan culturel, faut-il rappeler les liens qui unissaient ce grand théologien à la culture classique, grecque et romaine ? Ils irriguent la totalité de son œuvre. François, lui, se trouve aux antipodes de ces schémas intellectuels. Comme il le disait à la loggia de la basilique Saint-Pierre le jour de son élection, on est venu le chercher à l’autre bout du monde… Et cette partie du monde n’est pas l’Europe.

Depuis son élection en mars 2013, le pape est accusé de délaisser le vieux continent au profit du nouveau monde. Il s’est toutefois rendu en Albanie en septembre dernier et se déplacera à nouveau en France l’année prochaine. La donne peut-elle changer à l’avenir ?

Je ne pense pas que l’on puisse affirmer que François limite son action à l’espace américain. Le voyage au Brésil était prévu dès 2011 sous le pontificat de Benoît XVI et, aujourd’hui, seul un voyage à Philadelphie est programmé pour la rencontre des familles. En fait, François tient à s’appuyer sur les forces vives du catholicisme mais aussi ses périphéries, d’où son voyage en Corée en août dernier. Un voyage asiatique que Benoît XVI n’a pas fait.

En janvier prochain, François va reprendre le chemin de l’Extrême-Orient puisqu’il va visiter les Philippines et le Sri Lanka. On parle même d’un deuxième voyage aux Philippines pour le Congrès eucharistique de Cebu en 2017. Cependant, assez étrangement, aucun voyage n’est annoncé dans un autre foyer de croissance du catholicisme, l’Afrique, alors que le pape ne cesse de dénoncer la pauvreté et le capitalisme sauvage.

Quoi qu’il en soit, il est difficile de dire si le pape va réorienter la « géopolitique » de son pontificat. Mais j’en doute fortement parce qu’il estime lui-même que son pontificat sera court. Il l’a dit à son retour de Corée l’été dernier dans une phrase assez énigmatique...

Autre grief, le fait qu’il évoque relativement peu les racines chrétiennes de l’Europe, même s’il a tout de même déclaré en juin dernier que « l’Europe est fatiguée » car « elle a renié ses racines ». Les chrétiens vivant en Europe ont-ils des inquiétudes à ce sujet ?

Les chrétiens européens aiment sans nul doute ce pape. Mais aujourd’hui, la prise de conscience des catholiques des dangers du relativisme et de l’individualisme les amène à s’engager comme rarement ils l’ont fait dans l’histoire. Le cas français est assez emblématique. Les débats autour du synode sur  la famille ont ébranlé toute la génération Jean-Paul II et Benoît XVI parce qu’ils contredisaient un enseignement constant en la matière.

Dans une période de crise à la fois économique, sociale et politique, beaucoup de catholiques européens souhaitent porter leurs valeurs comme un signe de contradiction selon les propres termes de l’Evangile. Or, cette attitude d’opposition frontale ne semble pas remporter les suffrages à la fois de plusieurs évêques mais aussi du pape lui-même qui, dans sa relation au monde, adopte un style tout à fait différent de ses prédécesseurs. Même s’il reste d’une grande radicalité spirituelle en évoquant par exemple l’existence du diable, il aborde différemment les oppositions objectives à l’Eglise. Selon son ami rabbin, Abraham Skorka, il a une expression pour cela : il tient à « caresser les conflits »...

A l'heure où alors la question de la place de l’islam agite le vieux continent, l’Europe a-t-elle plus que jamais besoin du pape et de sa vision ?

L’Europe a besoin du pape depuis la séparation de l’Eglise et de l’Etat. En effet, pendant des siècles, les catholiques étaient sous la tutelle d’Eglises nationales autonomes voire indépendantes à l’égard du successeur de Pierre. La force de ces Eglises nationales venait de l’affirmation d’un Etat confessionnel. Le gallicanisme français, par exemple, fut l’expression de cette indépendance en France. Or, depuis la séparation de l’Eglise et de l’Etat, désormais neutre en matière religieuse, les catholiques sont devenus ultramontains c’est-à-dire qu’ils se sont naturellement tournés vers Rome et l’autorité pontificale.

Depuis, le charisme pontifical n’a cessé de croître à travers des personnalités aussi fortes que Pie XI ou Pie XII, Jean XXIII ou plus récemment Jean-Paul II. Rome, dans l’histoire, n’a jamais bénéficié d’une telle visibilité et d’une telle autorité. Or, la révolution du pape François vise à mettre fin à ce pouvoir à la fois juridique et charismatique. Mais, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, François apparaît bien plus charismatique que ses prédécesseurs ! Pourtant, dans le contexte international que l’on connaît, le pape se doit d’être une force morale afin d’éclairer le siècle.

Plus qu’un recours, il doit savoir se substituer aux carences ou aux faiblesses du monde politique comme l’on fait ses prédécesseurs tout au long du XXe siècle. Ce qu’il fait lui-même sur certains sujets comme la pauvreté, moins sur d’autres sujets clivant comme l’Islam.

L'individualisme gagne indubitablement du terrain dans notre société de consommation. Le pape pourrait-il aider les Européens à retrouver des valeurs qui font défaut ?

Aujourd’hui, le pape n’a pas d’autres moyens que celui de la parole. Il possède aussi une représentation diplomatique active et c’est sa responsabilité que de donner à cette action diplomatique un cap. Cela vaut pour les relations avec l’Islam mais aussi pour l’individualisme.

Celui-ci est clairement dénoncé dans ses textes. Dans La Joie de l’Evangile, il évoque par exemple l’individualisme « diffus qui divise les êtres humains et les met l’un contre l’autre dans la poursuite de leur propre bien-être. »

Plus loin il estime que la charité « a exercé une résistance prophétique, comme alternative culturelle, contre l’individualisme hédoniste païen. »

Si le pape souhaite être entendu, sa parole magistérielle doit donc être claire et précise, dégagée de toute ambiguïté, surtout en cette époque de crise et de pertes des repères. A cet égard, il sera très intéressant d’entendre le discours qui sera prononcé à Strasbourg devant les représentants des nations.

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