France et Iran, une longue histoire d’amour : Charles Perrault imagina son Chat botté en pensant à Shah Abbas<!-- --> | Atlantico.fr
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En compagnie du général de Gaulle en 1963
En compagnie du général de Gaulle en 1963
©DR

Bonnes feuilles

Amir Aslan Afshar, l’ancien chef du Protocole du Shah d’Iran publie ses mémoires, qui regorgent d’anecdotes, et revient sur les derniers jours de Mohammad Reza Shah Pahlavi. La partie la plus passionnante concerne le comment et le pourquoi du départ d’Iran du Shah lorsqu’éclate la révolution islamique qualifiée par l’auteur de "piège" et de "grande mystification". L'auteur offre un point de vue original sur les raisons qui ont amené le Shah à quitter son pays et sur celles qui ont entraîné la chute de son régime et l’avènement des Ayatollahs. Extraits de "Mémoires d'Iran" d'Amir Aslan Afshar, aux éditions Mareuil 1/2

Amir  Aslan Afshar

Amir Aslan Afshar

Député au Parlement iranien, aide de camp civil de Mohammad Reza Shah Pahlavi et diplomate de carrière, Amir Aslan Afshar est né à Téhéran. Il a été délégué de l’Iran au Comité économique de l’Assemblée générale des Nations Unies, de 1958 à 1961, puis ambassadeur d’Iran en Autriche (1967-1969), président du Conseil des gouverneurs de l’Agence internationale de l’énergie atomique à Vienne (1968-1969), ambassadeur d’Iran aux États-Unis, puis au Mexique (1969 1973), en Allemagne (1973-1977) et finalement, chef du protocole de la Cour impériale et confident du Shah d’Iran jusqu'à la veille de la révolution islamique (1977-1979). Il vit aujourd'hui à Nice.

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J’ai vu briller la France pour la première fois à l’étalage d’un comptoir qui portait son nom. C’était avenue Lalézar, à Téhéran, et toutes les grâces de ce pays de rêve emplissaient mon regard d’enfant sous la forme d’articles de Paris. Aujourd’hui, Nice, une ville qui fait désormais partie de l’Histoire et même de la géographie de l’Iran, m’enveloppe de ses volutes d’azur qui adoucissent mon interminable exil. Malgré les milliers de kilomètres qui les séparent, la France et l’Iran ont très tôt découvert leurs grandes et surprenantes affinités. Comme deux miroirs qui se font face, ils ne cessent depuis de se renvoyer leurs reflets à l’infini… Dans mon pays, le nom de « Franc » (« Farangi ») désigne non seulement les Français mais aussi tous les Européens et même les Américains.

Les relations diplomatiques furent nouées à une époque où les deux pays traversaient, l’un et l’autre, un âge d’or, à Ispahan comme à Versailles. Dans cette dernière ville, l’Astre royal jeta ses derniers feux pour accueillir dans la galerie des Glaces Mohammad Beg, l’émissaire de Shah Soltan Hossein. Un siècle plus tard, Napoléon qui, comme Alexandre, est fasciné par l’Orient propose une alliance à la Perse. La correspondance contrastée qu’échange « le Petit Tondu » avec Fath-Ali Shah, un monarque à la barbe mirobolante, est savoureuse.

Tandis que l’empereur des Français dépêchait en Perse le général Gardane, chargé de moderniser l’armée persane, mon aïeul Askar Khan Afshar qui, ainsi que je l’ai raconté plus haut dans ce livre, sera le premier ambassadeur à demeure en France, est l’hôte du Louvre et de la Malmaison. Tout au long du XIXe siècle, les Shahs de la dynastie des Kadjars, dont les médecins étaient toujours français, multiplieront les marques de considération et d’admiration pour la France. En 1873, Nasser-Eddine Shah est le premier chef d’État étranger à visiter un Paris humilié et meurtri depuis la défaitede Sedan et la Commune et, en 1889, il sera le seul porteur de couronne à visiter l’Exposition universelle qui marque le centième anniversaire de la prise de la Bastille. À cette occasion, le souverain gravit les 1 665 marches de la Tour Eiffel qui venait d’être inaugurée, se dressant dans le ciel parisien comme l’immense bougie d’un gâteau d’anniversaire.

À trois reprises, le fils et successeur de Nasser-Eddine, Mozaffar-Eddine, ira à Contrexéville suivre une cure. Ce roi débonnaire a laissé un si bon souvenir que le Lion et le Soleil de la Perse figurent toujours sur les armoiries de la cité vosgienne.

Après des années d’exil passées au Negresco de Nice et au Majestic de Paris, Ahmad Shah, le dernier Kadjar, a finalement rendu l’âme à Neuilly. Coiffé du képi du maréchal Foch, Reza Shah Pahlavi, le fondateur de l’Iran moderne, avait choisi la France pour modèle, lui confiant la formation de ses élites et substituant le Code Napoléon à la Charia.

Le second Pahlavi, Sa Majesté Mohammad-Reza Shah qui parlait le français aussi bien que le persan, éprouvait une admiration toute particulière pour le général de Gaulle. En 1963, le Shah m’ayant chargé de son accueil, le général m’avait remis les insignes de commandeur de la Légion d’honneur.

Plus encore que sur le plan politique, les relations iraniennes s’exaltent dans le domaine culturel. Les plus grands archéologues ont fouillé les immenses richesses du plus vieil Empire du monde, de Jacques de Morgan à Roman Ghirshman, que j’ai personnellement connu. C’est de cette terre qu’ils ont extrait le Code d’Hammourabi conservé au Musée du Louvre avec tant d’autres merveilles de la culture de l’Iran. À Téhéran, le Musée d’Archéologie est l’oeuvre d’un autre Français, André Godard.

Plus près de nous, l’inoubliable récit que fit le chevalier Chardin de son séjour en Perse inspira toute la littérature de son temps. Charles Perrault imagina son « Chat botté » en pensant à Shah Abbas devenu marquis de Carabas. « Comment peut-on être persan ? » En posant cette question, Montesquieu constatait que, débarrassé de son turban, Usbek ressemblait à n’importe quel Français !

Charmés à leur tour par le « Golestan », ce jardin de fleurs aux couleurs de paradis terrestre, les Français ont fait de Sadi un prénom qui fut celui de l’un de leurs présidents de la République. Les Iraniens ont été fascinés par Alexandre Dumas et ses Trois mousquetaires.

Un sociologue prétend, que dans l’inconscient collectif iranien, le chemin qui mène du parvis de Notre-Dame au Louvre est plus direct que celui qui conduit de la Place royale d’Ispahan au palais des Quarante colonnes. Il y a quelques années, l’ayatollah Khomeyni avait demandé à Roland Dumas, alors ministre des Affaires étrangères en visite à Téhéran, s’il était un petit cousin du grand Alexandre.

Les deux cultures n’ont cessé de se féconder. Et si le Larousse est « farci » de mots d’origine iranienne, on dénombre dans le persan moderne plus de 2 000 mots français. En Iran, on dit « merci » et certaines locutions, en regroupant les mots qui les composent, sont devenus des éléments courants du vocabulaire des Iraniens, tels que « robe de chambre » ou « carte de visite ».

Sadegh Hedayat, le plus célèbre écrivain iranien des temps modernes, qui a écrit directement en français certaines de ses œuvres, a choisi de quitter ce monde en ouvrant le gaz de son domicile parisien ; il repose au cimetière du Père Lachaise.


Cependant mêmes les plus belles histoires ont leurs ombres. Khomeyni, l’hôte de Neauphle-le-Château, et ses acolytes n’eurent de cesse, une fois rentrés au pays, de faire disparaître cette langue jusqu’ici tant célébrée en Iran et qui fut, pour moi comme pour tant d’autres, la première langue étrangère en la chassant des timbres-poste et des billets de banque, en arrêtant les rotatives du Journal de Téhéran et en fermant les portes des écoles françaises.

Les mêmes individus assassineront aussi à Suresnes le dernier Premier ministre du Shah, Chapour Bakhtiar, un homme dont le coeur vibrait pour la France, qui s’était dans sa jeunesse engagé dans la Résistance française et dont la fille s’appelait… France.

Ce faisant, ces gens-là prouvaient une fois de plus qu’ils étaient bien des hommes sans foi ni loi.

Extraits de "Mémoires d'Iran" d'Amir Aslan Afshar, publié aux éditions Mareuil, 2015. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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