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Fonte des glaces en Arctique : les espèces invasives débarquent avec la navigation commerciale
©Reuters

Attention danger

Des scientifiques ont récemment alerté contre la possibilité de voir la région devenir plus vulnérable aux espèces exotiques et invasives, en raison de l'activité accrue de la pêche, des transports et des expéditions.

En 2012, déjà, un groupe de scientifiques demandait à la communauté internationale de protéger l'océan Arctique. Entre autres requêtes, ceux-ci enjoignaient les Etats à interdire la pêche tant que la recherche et un encadrement réglementaire n'assureront pas son développement durable et le respect d'un environnement fragile. Prenant acte du fait que la fonte des glaces a rendu la pêche possible dans la zone centrale de l'océan Arctique, ils s’inquiétaient notamment de la voir se développer sans que les risques pour l'écosystème soient évalués et contrôlés. Depuis, pas grand-chose n’a évolué. 

Ainsi, dans le contexte des changements climatiques actuels, qui se traduit en Arctique par une diminution rapide de l’extension de la banquise en été, les problématiques demeurent sensiblement identiques. Entre ouverture de routes maritimes, intérêt des compagnies minières ou pétrolières pour les ressources, réelles ou supposées, du sous-sol arctique,  possibilité de développer de nouvelles zones de pêche dans la région à la faveur du retrait de la banquise, les scientifiques s’interrogent. En effet, comme le relève le site Smithsonian, l’Arctique pourrait prochainement devenir le nouvel Eldorado de la pêche. Car en l’absence de toute organisation régionale de pêche en haute mer, hors des zones économiques exclusives (ZEE), de nombreux scientifiques redoutent une ruée de chalutiers norvégiens, canadiens, coréens, chinois ou espagnols vers les eaux polaires centrales.

Une ruée qui aurait des conséquences écologiques désastreuses. En effet, une étude menée par  la Smithsonian Environmental Research Center's Marine Invasions Research Lab, montre que la fonte de l'Arctique rendra la région plus vulnérable aux espèces exotiques et invasives, en raison de l'activité accrue du fret et du transport. Whitman Miller, l’auteur principal de cette étude, publiée dans la revue Nature, a ainsi affirmé que "l'expédition Trans-Arctique est en train de modifier la donne à l’échelle internationale. L’attraction économique de l’Arctique est énorme. "Qu’elle contribue à un meilleur accès à de riches réserves de ressources naturelles de la région ou un commerce inter-océan moins cher et plus rapide, la navigation dans l'Arctique va remodeler les marchés mondiaux" insiste-t-il.

Mais, il avertit toutefois que "si rien est fait, ces activités vont considérablement modifier l’écologie sous-marine et contribuer à augmenter l’apparition d'espèces invasives, en particulier dans l’Arctique, l'Atlantique Nord et le Pacifique Nord". Les experts mettent en garde particulièrement contre les deux nouvelles routes maritimes arctiques passant par le détroit de Béring : le passage du Nord-Ouest, côté canadien et celui du Nord-Est, côté sibérien. Si celles-ci réduisent de plusieurs milliers de kilomètres les trajets entre l’Asie et l’Europe ou les Etats-Unis, par rapport aux détours par Suez ou Panama, elles vont "augmenter de manière significative la probabilité de voir de nouvelles espèces invasives faire leur apparition dans des ports qui n'ont jamais été approchés avant 2009".

Concrètement, jusqu'à récemment, les navires qui voulaient voyager entre les océans n’avaient que deux possibilités : le canal de Panama ou le Canal de Suez. Mais avec la fonte des glaces en Arctique, de nouvelles routes au Nord se sont dégagées, présentant de nombreux avantages : plus rapides donc plus économiques, pas de limites de charges imposées comme pour le canal du Panama, absence de piraterie…

Conséquence immédiate : un nombre croissant de navires se sert de cette nouvelle route ces dernières années. En 2013, 71 navires ont transité par cette route maritime du Nord, une route qui traverse la mer de l'Arctique le long de la côte nord de la Russie. En 2012, pourtant année où la calotte polaire de l’Arctique était la plus faible jamais enregistrée, seulement 46 navires ont fait cette traversée. En 2011, ce nombre était de 34. Enfin, en 2010, seulement quatre bateaux ont emprunté ce chemin. A l’inverse, près de 19 000 navires traversent le canal de Suez chaque année. 

On l’a vu, les traversées maritimes de l’Océan Arctique sont en forte augmentation. Et cela devrait continuer à être le cas pour les années à venir. Une étude publiée en 2013 dans la revue PNAS indique qu’en raison du réchauffement climatique, en 2050, même les navires non équipés de coques brise-glace seront en mesure de naviguer sur ces nouvelles voies maritimes.

Mais "cela signifie aussi que les espèces invasives vont se déplacer avec ces navires", avertit Whitman Miller. En effet, dans leur rapport, Whitman Miller et son collègue Grégory Ruiz assurent que l'utilisation de ces voies pourrait augmenter de 20% chaque année lors des 25 prochaines années. "Ce qui, écrivent les scientifiques, offre de nombreuses opportunités aux espèces invasives pour s’introduire et ce en étant par exemple dispersées dans les eaux de ballast ou en restant accrochées à la coque des navires". Problème : les écosystèmes de l’Arctique ne sont pas préparés à leur arrivée et pourront être fortement endommagés par une invasion massive d’espèces invasives. 

Smithsonian prend l’exemple de la moule zébrée, une espèce invasive qui a colonisé les Grands Lacs et causée des milliards de dollars de dommages économiques. Celle-ci aurait été introduite dans le réservoir de ballast des navires en provenance de ports d'Europe occidentale. A l’heure actuelle, 69% des introductions d’espèces invasives dans de nouvelles zones maritimes sont dues au transport. Mais Miller et Ruiz craignent que les expéditions en Arctique rendent cette statistique encore plus importante.

Comme le rappelle la scientifique Jessica Hellmann de l'Université de Notre-Dame dans une interview donnée à la revue Scientific American en mars 2013 : "les espèces invasives sont un sujet de préoccupation majeur car on ne sait jamais réellement quel va être leur impact sur l'écosystème". Et de citer l'exemple du crabe royal qui a déjà fait des ravages du côté des eaux territoriales norvégiennes. Ce prédateur féroce n'a pas eu beaucoup de mal à s'imposer et à imposer sa domination sur les autres espèces environnantes. Outre l'impact écologique, l'arrivée de ces espèces invasives a aussi des conséquences économiques.

Selon Smithsonian, les ports occidentaux gèrent chaque année un flux de 7,8 milliards de tonnes de marchandises, ce qui génèrent un chiffre d'affaires de 8,6 trillion de dollars selon l'American Association of Port Authorities. Et l'arrivée d'une espèce invasive veut perturber en profondeur l'économie d'un port. C'est le cas du crabe vert, un animal venu d'Europe, qui s'est développé sur les côtes de la Nouvelle Angleterre et a détruit les productions locales d’huîtres et autres crabes. Une perte économique estimée à 44 millions de dollars annuels pour la région souligne Smithsonian. Colossal.

Il existe cependant une bonne nouvelle. Toujours selon le Smithsonian, les scientifiques ont reconnu qu’à l’heure actuelle  l'Arctique n’a été que faiblement exposé à une telle invasion. Il est donc toujours possible de minimiser les effets sur l'écosystème grâce à une gestion efficace. Comme l’a déclaré le co-auteur Greg Ruiz : "Ces nouveaux couloirs viennent seulement de voir le jour. Il est encore temps de trouver les solutions efficaces pour empêcher un boom d’invasions d’espèces invasives et ainsi atténuer au maximum l’impact sanitaire, écologique et économique". Reste à savoir si ce cri d’alarme sera entendu. 

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