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Les électeurs du FN sont-ils vraiment des "gros cons" ?
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Au-delà des clichés

Trop facile de traiter de "gros cons" les électeurs du FN, comme l'a fait l'humoriste Sophia Aram sur France Inter. Pour Gérald Bronner, spécialiste des extrémismes, il est plus intéressant d'essayer de comprendre le raisonnement des électeurs.

Gérald Bronner

Gérald Bronner

Gérald Bronner est sociologue, spécialiste des questions relatives aux peurs collectives. Il est membre de l'Académie des technologies, et enseigne à l'université Paris 7.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont les plus récents sont : L'inquiétant principe de précaution (2010), La démocratie des crédules (2013) et La planète des hommes - réenchanter le risque (2014).

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Comprendre ce que des résultats électoraux expriment est un exercice périlleux. Il l’est en tout premier lieu parce que l’agrégation d’expressions individuelles indique rarement un point de vue partagé et intelligible comme le serait l’expression d’un seul.

Pourtant, la vie démocratique a rendu coutumier ce type d’exercices, et plus encore lorsque les résultats d’un scrutin paraissent à beaucoup mystérieux et incommodes d’un point de vue moral. C’est particulièrement vrai du vote Front national, et tout spécialement de celui des élections cantonales qui a vu le parti d’extrême droite en progrès.

Les électeurs FN, ce continent énigmatique

Les électeurs du FN apparaissent alors comme un continent énigmatique dont beaucoup de commentateurs cherchent à dessiner les contours en les résumant à un trait : ils seraient victimes de leurs peurs, de leurs passions, de manipulation ou même, selon une chroniqueuse de la matinale de France Inter, de leur « connerie ». Lorsque Sophia Aram a cru bon les qualifier de « gros cons », elle voulait dire tout à la fois qu’ils sont bêtes et qu’ils sont condamnables d’un point de vue moral. Ce point de vue n’est intéressant qu’en ce qu’il indique une volonté, souvent exprimée, de ne pas faire de compromis avec ce parti.

C’est cette attitude qui prévaut, en général, lorsqu’il s’agit de rendre compte des phénomènes de radicalité [1] et qui empêche précisément de les rendre intelligibles. Il faut dire que le qualificatif de « gros cons » paraît être contagieux et il a tôt fait de vous qualifier aussi si vous refusez son intimidation morale implicite en tentant de voir en quoi ces explications fondées sur l’irrationalité supposées des électeurs du FN n’est guère satisfaisante.

Admettre l’idée qu’expliquer ce vote revient à éclairer les processus mentaux qui peuvent typiquement y conduire paraît scandaleux à beaucoup car, posent-ils en principe : on ne peut admettre la radicalité politique (du moins celle-là) dans le champ de la rationalité humaine sans se compromettre d’une certaine façon.

Comprendre le raisonnement pour corriger l'erreur

À cette crainte, j’opposerai cet argument : Comprendre qu’un individu peut aboutir à des conclusions fausses tout en suivant des arguments qui lui paraissent raisonnables est la meilleure façon d’espérer le détourner de son erreur.  Pour mieux me faire entendre, voici un petit exemple qui ne devrait fâcher personne car il n’a rien à voir avec la politique. Il s’agit d’un problème d’apparence simple mais assez redoutable :

Une femme a deux enfants dont une fille. À votre avis, quelle est la probabilité pour que son autre enfant soit un garçon ?

Dans ce problème, en moyenne, 70 % des gens se trompent et répondent qu’il y a « une chance sur deux ». Si vous vous êtes trompé, vous aussi, vous admettrez facilement qu’il y a un raisonnement qui vous a conduit à cette erreur, et, vous seriez offensé d’être considéré comme un individu stupide et irrationnel. Erreur et irrationalité ne vont pas forcément de paire. En l’occurrence, la bonne réponse est qu’il y a 66,6% de chances pour que l’autre enfant soit un garçon. La vérité est parfois déconcertante. Selon l’énoncé du problème, en effet, cette femme peut avoir deux filles (situation 1), un garçon puis une fille (situation 2) ou une fille puis un garçon (situation 3). Ainsi, il y a deux fois plus de situations (2 et 3) où l’autre enfant de cette femme est un garçon.

Pour ce problème, comprendre les raisons qui égarent la pensée ne suppose pas du tout qu’on les mette au même niveau que celles qui pourraient nous conduire à la bonne réponse. Cela n’implique aucun relativisme, il y a bien une solution vraie au problème et la norme de la vérité n’est pas affaiblie par le fait de comprendre ce qui me conduit à l’erreur. Au contraire, on s’assure de ne pas reproduire cette erreur si l’on comprend les raisons qui nous y ont conduits. Rien ne me sépare plus de celui qui fait une erreur que la compréhension des raisons qui l’ont incité à la produire.

Je crois que l’on ne gagnera pas grand-chose d’un point de vue descriptif et rien du tout d’un point de vue pratique, si le but est de faire reculer le vote frontiste, à refuser de comprendre les soubassements intellectuels qui conduisent certains de nos concitoyens, et en si grand nombre, à commettre cette erreur politique et à comprendre, d’une façon générale de quoi le vote FN est-il le « non ».

Toute différente serait ma réponse si le but était d’exhiber son incorruptibilité évidemment.



[1] Comme je l’ai montré dans La pensée extrême – Comment des gens ordinaires deviennent des fanatiques ?, Paris ? Denoël, 2009.

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