Fin de vie : la fuite en avant<!-- --> | Atlantico.fr
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L’euthanasie est autorisée dans plusieurs pays européens comme la Belgique, les Pays-Bas ou encore l’Espagne.
L’euthanasie est autorisée dans plusieurs pays européens comme la Belgique, les Pays-Bas ou encore l’Espagne.
©AFP/Sébastien Bozon

Manoeuvre politicienne ?

À l’occasion de la publication d’un avis du Comité consultatif national d’éthique sur le suicide assisté, Emmanuel Macron relance le débat. Mais est-il vraiment souhaitable de légiférer sur le sujet ?

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Xavier Mirabel

Xavier Mirabel

Le docteur Xavier Mirabel est cancérologue, conseiller scientifique d’Alliance VITA et expert médical du site d’écoute SOS Fin de Vie .

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Atlantico : Il y a une volonté politique d’Emmanuel Macron de remettre le sujet de l’euthanasie sur la table. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) ouvre la voie au suicide assisté. Que cela vous inspire-t-il ?

Xavier Mirabel : Emmanuel Macron est sur le terrain sociétal pour marquer son début de quinquennat. Le gouvernement évalue qu’il est favorable politiquement de prendre ces mesures. De son côté, le Comité d’éthique est un peu désespérant parce qu’il s’était montré plus sage dans des avis précédents, mais met un certain nombre de critères pour avancer vers l’etuhanasie ou le suicide assisté. Parmi ces critères, il met en avant les soins palliatifs disponibles pour tous. Et il y a énormément de travail à faire en la matière. Depuis vingt ans, on affirme que la prise en charge n’est pas au rendez-vous. Il  y a des départements qui sont quasiment dépourvus de l'accès aux soins palliatifs. Il faut commencer par prendre en main ce sujet. 

Le président du CCNE, Jean-François Delfraissy, est perdu sur les questions éthiques. Le renouvellement du CCNE à la fin du quinquennat de François Hollande a profondément abîmé cet organe de réflexion. 

Emmanuel Macron l’a confié lundi, le lancement de la convention citoyenne sur l’euthanasie pourrait déboucher sur une nouvelle loi d’ici quinze mois. Dans quelle mesure est-ce une stratégie très politicienne d’Emmanuel Macron ?

Bertrand Vergely : Si on se place d’un point de vue strictement politique en entendant par politique un calcul dans le cadre d’un rapport de forces, on peut dire que le projet de légalisation de l’euthanasie obéit à cinq intérêts.

1. La légalisation de l’euthanasie a été une promesse de campagne du candidat Macron lors des élections présidentielles d’Avril 2022.  Si cette loi est votée, et il y a de fortes chances qu’elle le soit, Emmanuel Macron pourra apparaître comme un homme politique crédible qui, quand il promet quelque chose, le fait. Ce qui est un bénéfice non négligeable. Il y a tant de fois où les hommes politiques sont accusés de ne pas faire ce qu’ils promettent.

2. Emmanuel Macron est un libéral qui  défend la liberté de croire ce que l’on veut et d’aimer qui on veut. C’est ainsi qu’il s’est prononcé pour le droit au blasphème et qu’il a légalisé la PMA. En se prononçant pour la légalisation du suicide assisté, il apparaît comme un homme de conviction, fidèle à ses idées. Autre bénéfice non négligeable. On accuse tant de fois les hommes politiques de ne pas être fidèles à leurs convictions. 

3. Emmanuel Macron a construit son parti politique en rassemblant des hommes et des femmes de droite et de gauche. Depuis longtemps, au nom de la liberté de décider de sa mort, la gauche réclame une loi pour autoriser   l’euthanasie et le suicide assisté. En légalisant le suicide assisté, Emmanuel Macron va faire plaisir à la gauche de son mouvement. Troisième bénéfice non négligeable. La gauche lui reproche tant d’être un libéral antisocial faisant le jeu de la droite

4. L’opinion publique  est globalement pour l’euthanasie et le suicide assisté et ce  afin d’abréger des souffrances inutiles et des états de vie délabrée. En légalisant l’euthanasie et le suicide assisté, Emmanuel Macron va être en phase avec cette opinion, dont il s’ést coupé à l’occasion du mouvement des Gilets Jaunes. 

5. Enfin, quand Emmanuel Macron va avoir légalisé l’euthanasie et le suicide assisté, il va apparaître comme celui qui « l’a fait » et qui osant le faire va  opérer une avancée sociétale majeure. Il va pouvoir notamment donner l’impression qu’il aura enfin trouvé une solution pour la fin de vie. Cinquième bénéfice non négligeable. Tous les hommes politiques, surtout les chefs d’État, rêvent de laisser une trace de leur passage. François Hollande a réussi à se présenter comme l’homme du mariage pour tous. Emmanuel Macron entend se présenter comme l’homme de l’euthanasie. 

Donc oui, si on fait le bilan, on peut dire que la future loi sur l’euthanasie et le suicide assisté va être un « bon coup » politique. 

Est-il nécessaire de légiférer ? À quel point la loi Leonetti couvre déjà une bonne partie du sujet ?

Xavier Mirabel : La loi Claeys-Leonetti est favorable pour les familles qui sont bien entourées, avec des professionnels bien formés autour d'elles. On risque de glisser vers l’euthanasie des personnes isolées et sans défense ! C’est à nous de faire en sorte que personne ne soit abandonné à ce que nous appelons la « mort sociale ». On est dans une logique qui va être celle de revendications sans fin. Les militants de l’euthanasie veulent l’euthanasie pour tous, avec l’argument de la liberté individuelle absolue. Fausse liberté car en réalité c’est la pression de la souffrance mal prise en compte et du regard des autres qui fait demander l’euthanasie.

Dans quelle mesure légaliser l’euthanasie consisterait-il une forme de fuite en avant à l’heure où l’accès aux soinx palliatifs reste encore très insuffisamment développé et où les EHPAD demeurent en carence ?

Bertrand Vergely : Il existe des moyens de faire face à des fins de vie douloureuses, notamment les soins palliatifs et la loi Léonetti qui permet d’éviter la souffrance grâce à la sédation profonde. Ces dispositifs sont jugés insuffisants par toute une partie de la clase politique ainsi que de l’opinion pour des raisons purement idéologiques. On veut pouvoir dire que la vie étant tragique, il n’y a que des moyens tragiques pour mettre fin au tragique. Derrière cela, on veut pouvoir dire que la vie étant violente, il n’y a que des moyens violents pour mettre fin à cette violence. On peut parler de fuite en avant à l’occasion de ce parti pris idéologique parce que celui-ci étant  purement affectif, nul ne sait où il peut mener. Il est interdit de tuer et cet interdit est l’interdit fondamental non seulement de la société et de la civilisation mais de l’humanité.  Tant que cet interdit est maintenu, on limite et on évite les débordements affectifs. Dès qu’il est levé, on bascule dans l’affectif et ses débordements sans plus être capable de les contrôler. La mort rend fou. Il ne faut jamais l’oublier. À l’heure où la fin de vie coûte de plus en plus cher, où les EHPAD et les unités de Soins Palliatifs manquent, utiliser le levier affectif avec derrière cet usage des arrière-pensées financières  est une façon de contourner le manque de moyen matériels 

Avec la loi actuelle, les personnes souffrant de manière irrémédiable peuvent-elles déjà être aidées à mourir sans douleur ?

Xavier Mirabel : Elles peuvent être aidées afin de ne plus souffrir. Les outils médicaux, techniques et réglementaires existent pour calmer la douleur physique ou, si nécessaire, cette personne peut être mise en situation de sédation. Cela fait des décennies que des sédations sont faites. Bien avant la loi Leonetti, les professionnels proposaient des sédations proportionnées, en fonction de l’état physique du malade. Une sédation bien conduite par une équipe de soins palliatifs entraînée ne correspond pas du tout à l’euthanasie. On peut lever la sédation une partie de la journée pour favoriser le contact entre le malade et sa famille. En réalité, la loi Leonetti propose déjà une sédation profonde sans possibilité de réveil. Rappelons que chaque patient peut toutefois exprimer un refus d’obstination déraisonnable. 

Quelles interrogations pose philosophiquement cette idée ?

Bertrand Vergely : L’euthanasie et le suicide assisté posent trois questions philosophiques majeurs : 

1. L’euthanasie et le suicide assisté sont ils les  seules réponses qui vaillent face aux grandes souffrances de la vie. 

2. Avons nous le droit de nous suicider et de décider de notre mort ? 

3. A-t-on le droit de tuer ?

1. Quand on est confronté à certaines souffrances, la réaction est unanime. Que l’insupportable cesse. Là dessus, nous sommes tous d’accord. La discussion commence quand on entend dire que l’euthanasie et le suicide assisté sont les seules réponses. 

L’euthanasie et le suicide assisté ne sont pas des réponses. Ce sont des drames, des échecs et les réponses les plus sinistres, les plus tristes, les plus tragiques et les plus désespérées données à la vie et à la souffrance dans la vie. Un suicide est toujours triste, jamais il n’est joyeux, surtout quand il se veut joyeux. À l’égard des grandes souffrances de la vie, personne n’a la solution. Depuis toujours, on fait comme on peut. On bricole avec les moyens du bord en évitant de tuer. Ce qui fait de nous des êtres humains, a toujours consisté et consiste encore dans le courage de penser  ne jamais avoir la solution. Maintenir en vie n’étant pas une solution, tuer non plus, ce qui fait ainsi  de nous des êtres humains réside  dans la force d’accepter le poids de l’indécidable avec ce qu’il peut avoir de déchirant, C’est la raison pour laquelle, dans les discours à propos de l’euthanasie et du suicide assisté, entendre dire qu’ils sont des solutions fait peur. On va tuer quelqu’un qui souffre et le problème sera réglé. Et pour faire passer la violence d’un tel geste, on va changer les mots en n’appelant plus tuer du nom de tuer. Cette manière de régler la vie et la mort fait froid dans le dos. En ce sens, le problème soulevé par l’euthanasie et le suicide assisté est fondamentalement et avant tout un problème de pensée, le fait que l’on puise penser que l’euthanasie et le suicide sont des solutions étant le problème philosophique majeur qui est posé. 

2.  Il y a quelque chose d’inacceptable dans le suicide comme solution. Il y a quelque chose de tout aussi inacceptable dans le suicide comme liberté. À l’occasion de l’épreuve de philosophie au baccalauréat, les élèves ont eu à répondre à la question : « Est on libre de se faire du mal ? ».  Lorsqu’à la rentrée,  ce sujet a été corrigé par certains professeurs,  les élèves ont été très surpris de découvrir  que l’on n’est pas libre de se faire du mal. 

Quand on se fait du mal, on n’est pas libre. On est malade et on rend les autres et le monde malades. Respecter  les autres est le fondement de notre humanité, de la société et de la civilisation. Ce respect est indissociable du respect de soi-même. Quand on respecte les autres, on se respecte. Quand on se respecte, on ne se maltraite pas. Quand on ne se maltraite pas, on enseigne autant à soi-même qu’aux autres, qu’on n’a pas le droit de faire n’importe quoi avec soi-même. Cela vaut pour le suicide. 

Quand on est libre, on ne suicide pas. Quand on se suicide, on n’est pas libre. Les partisans de l’euthanasie déclarent vouloir mettre fin à leurs jours afin justement de ne pas faire n’importe quoi avec eux. C’est la vie qui fait n’importe quoi avec nous, disent ils.  En nous suicidant, nous allons mettre fin au n’importe quoi. Cet argument est spécieux. Il concerne non pas le suicide mais le droit. Par l’entremise du suicide, le but est devoir le droit sur le droit en tuant le droit comme raison transcendant l’individu afin de mettre à la place l’individu transcendant la raison. Cela porte un nom. Cela s’appelle la folie du droit. Si demain, ce droit  gagne, le droit fou aura philosophiquement gagné. 

3. L’enjeu du suicide est la folie. Il est aussi la violence. Parce qu’il faut oser appeler les choses par leur nom. On parle de mort douce, d’assistance au suicide, de mort dans la dignité. Derrière ces expressions civilisées, c’est de tuer dont il est question. L’homme n’est pas fait pour tuer l’homme ni pour se tuer. Il est fait pour vivre l’homme et pour le faire vivre. Avec le suicide assisté et l’euthanasie, c’est le droit de tuer qui va être  légalisé. Ce droit sera très encadré, entend on. On n’en doute pas. Et c’est bien là le problème. Comme il sera très encadré, on continuera de ne pas s’apercevoir de sa violence. On continuera notamment  d’ignorer sa violence symbolique débouchant sur une rupture d’humanité. Nous croyons que nous sommes un monde très civilisé parce que respectueux des droits de l’homme. Avec l’avortement, nous sommes déjà dans un monde violent qui transgresse sous prétexte de libérer les femmes. Avec l’euthanasie et le suicide, nous allons continuer la violence qui transgresse sous prétexte de mettre fin à la souffrance. 

Existe-t-il des dérives à l’étranger ?

Xavier Mirabel : Il y a beaucoup de rapports soulignant des inquiétudes très sérieuses sur des pratiques ayant eu lieu en Belgique et aux Pays-Bas. Des médecins belges en soins pallatifs ou généralistes sont en détresse face à la normalisation de l’euthanasie. Cette dernière est une injonction : si le malade juge sa situation “indigne”, cela a un effet de contagion sur l’ensemble de la société : chaque personne qui se trouve dans une situation similaire s’interroge et se demande quelle est sa place au sein de la société. 

À quel point est-ce délétère pour la société ?

Xavier Mirabel : C’est un abandon des plus fragiles. Cela abîme le regard que l’on porte sur le handicap, la fragilité et la dépendance. Mais pour les décideurs, cela fait gagner beaucoup d’argent sur les mutuelles, les retraites ou les soins. Les enjeux économiques sont énormes. Il y a un cynisme fou de la part des politiques. La loi Grand âge et autonomie promise depuis des années, a été abandonnée. À la place de ça, on propose l’euthanasie. Dans l’esprit de certains, c’est une façon de répondre aux problèmes économiques existants voire à la crise de l’hôpital. D’un autre côté, face au discours évoquant la liberté individuelle, il est nécessaire de revendiquer la protection des plus fragiles et la solidarité. Ce sont des choix de société primordiaux. 

Bertrand Vergely : En disant que l’euthanasie et le suicide sont les seuls moyens de faire face aux grandes souffrances de la vie, on envoie le message le plus triste et le plus désespéré qui soit aux futurs générations. En expliquant que le suicide est une liberté alors que rien n’en est aussi dépourvu, on ment. Enfin, en faisant du désespoir et du mensonge une loi, on met le doigt dans un engrenage qui tôt ou tard va nous dépasser. L’interdit de tuer nous protège. S’il est levé, nul ne sait  où va mener la levée de cet interdit. Robert Badinter a dit un jour à propos de l’euthanasie : « N’ouvrez pas la boite de Pandore ». Les lois vont toujours au-delà de leurs intentions initiales en détournant parfois celles-ci. La légalisation de l’avortement a été faite pour que ls femmes qui avortent ne soient pas mises en prison. Elle n’a jamais été pensée comme un moyen de contraception ni comme la possibilité de pratiquer dans certains cas des avortements à neuf mois. Le Pacs a été pensé pour que les couples homosexuels puissent avoir des droits. Le Pacs est devenu le mariage entre coupes de même sexe, la PMA et bientôt la GPA.  Aujourd’hui, il est question de supprimer la différence homme-femme ainsi que la notion de sexe. Aujourd’hui, le projet de légalisation du suicide ne va concerner que quelques demandes dans le cas de maladies graves. Mais demain ? Les lois sont faites par des majorités qui sont faites par l’opinion laquelle est faite par les humeurs et l’hyper-affectivité. Ne croyons pas qu’en légalisant le droit de donner la mort ou de se la donner nous allons toujours être les plus forts. Il y a des lois qui nous protègent. Ne faisons pas l’erreur de nous en affranchir.  

Ce débat semble être porté par des militants. Est-ce réductible à ça ?

Xavier Mirabel : Le débat favorable à l’euthanasie est clairement porté par des militants. La contradiction saute aux yeux lorsqu’on confronte les points de vue des militants pour l’euthanasie et les soignants en soins palliatifs. Ces derniers ne sont pas des militants. Leur force n’est pas dans l’argumentaire mais réside dans leur expérience et leur connaissance du terrain. Malheureusement, partout où l’euthanasie ou le suicide assisté sont légalisés, les soins palliatifs régressent et entrent en confusion. Euthanasie et soins palliatifs sont incompatibles.

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