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Fiasco total et mauvais drame : "L'affaire du petit Grégory" ou le plus beau ratage d’enquête du siècle
©D.R.

Bonnes feuilles

Une goutte de sueur, un cheveu, une odeur ou une image capturée par une caméra de vidéosurveillance en disent parfois plus que de longs témoignages. Ce sont ces traces que les spécialistes de la police technique et scientifique (PTS) collectent, analysent et comparent. Malgré les représentations populaires que nous avons de ces experts en pleine action, leur travail reste méconnu. Extrait de "Les experts entrent en scène : la révolution de la science criminelle" de Richard Marlet, aux Editions First (1/2).

Richard Marlet

Richard Marlet

Commissaire divisionnaire honoraire, Richard Marlet a dirigé les services de l'identité judiciaire et de la documentation criminelle du 36 quai des Orfèvres. Il vient de publier Les experts entrent en scène : la révolution de la science criminelle, aux Editions First.

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Le 16 octobre 1984, ce qu’on a coutume d’appeler l’affaire Grégory débute. Plus de 30 ans plus tard, elle n’a pas connu son épilogue. S’il est difficile de la résumer en quelques lignes, un sous-titre vient tout de suite à l’esprit : le plus beau ratage d’enquête du siècle.

Ce jour-là, Christine Villemin est occupée à son repassage. Devant le pavillon, Grégory joue sur un tas de sable. À 17 h 20, elle constate la disparition de son jeune fils de quatre ans. Elle se précipite chez la nourrice, mais l’enfant n’y est pas. Il est recherché en vain dans le voisinage. Christine signale la disparition aux gendarmes. À 17 h 30, l’oncle de Grégory reçoit un inquiétant appel téléphonique : « Je me suis vengé du chef. J’ai kidnappé son fils, je l’ai étranglé et jeté dans la Vologne. Sa mère le cherchera mais ne le retrouvera pas. Ma vengeance est faite. » L’oncle reconnaît cette voix rauque. Celle d’un corbeau qui, depuis trois ans, harcèle la famille Villemin par ses coups de téléphone ou ses courriers. En 1982, elle avait déposé plainte et sur les conseils des gendarmes les appels avaient été enregistrés.

À 21 h 30, le corps de Grégory est retrouvé, coincé dans la rivière. Il a les mains et les jambes liées par des cordelettes. C’est un assassinat.

Dès le lendemain, un courrier arrive chez les Villemin. «  J’espère que tu mourras de chagrin, le chef  ! Ce n’est pas ton argent qui pourra te redonner ton fils. Voilà ma vengeance, pauvre con.  » Incroyable audace d’un assassin qui revendique son geste. Cette affaire qui aurait dû « sortir » comme disent les policiers, va s’emballer, connaître des rebondissements dignes d’un mauvais drame judiciaire et aboutir à un fiasco.

Tout est allé de travers dès le début. La scène de crime primaire, l’endroit où le petit corps a été découvert, n’est absolument pas protégée. Les curieux, les journalistes piétinent le sol, effaçant les traces qui pouvaient s’y trouver. Les environs ne font pas l’objet de recherches minutieuses. Ce n’est que trois semaines plus tard que l’on retrouve une seringue et une capsule d’insuline qui aurait pu servir à neutraliser l’enfant. Cette scène de crime secondaire est aussi maltraitée que la première. Pas de traces de souliers ou de pneumatiques à exploiter.

L’autopsie ne permet pas de répondre aux questions évidentes  : où, quand, comment Grégory a trouvé la mort. Les prélèvements effectués au moment de l’autopsie sont mal réalisés ou en quantités insuffisantes. On ne saura jamais d’où vient l’eau retrouvée dans ses poumons. De la Vologne  ? D’une baignoire  ? Des spécialistes en écriture manuscrite ont travaillé sur les courriers du corbeau, mais le juge n’a pas respecté le Code de procédure pénale. Leurs conclusions sont annulées. Des traces de foulage qui mettaient en révélation les initiales « LB », signature de Bernard Laroche, ne peuvent être photographiées, le courrier ayant été recouvert de poudre magnétique pour révéler les traces digitales…

Bernard Laroche est inculpé puis remis en liberté. Jean-Marie Villemin le tue d’un coup de fusil. Les gendarmes sont dessaisis au profit du service régional de police judiciaire de Nancy qui privilégie, quant à lui, la thèse « Christine Villemin ». Elle est arrêtée et incarcérée. Marguerite Duras s’enflamme dans Libération « Christine V. la mère sublime, forcément sublime ». Elle bénéficiera d’un non-lieu sans réserve à l’occasion d’une nouvelle instruction. Avec les progrès de la génétique, de nouvelles expertises sont réalisées sur les cordelettes, les vêtements de Grégory, les timbres des lettres du corbeau. Elles n’apporteront aucun élément probant.

Suite à cette affaire, la gendarmerie nationale24 piquée au vif retient la leçon et décide de construire un édifice cohérent englobant tous les aspects de la criminalistique. En 1976 avait déjà été créé le service technique de renseignement judiciaire et de documentation (STRJD) chargé de l’harmonisation de l’exploitation des empreintes digitales et de la documentation criminelle (depuis 2015, il porte le nom de service central de renseignement criminel – SCRC).

Extrait de "Les experts entrent en scène : la révolution de la science criminelle" de Richard Marlet, aux Editions First

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