Fermetures d’agences bancaires en série : ce que l’économie virtuelle coûte (mais aussi rapporte) au lien social<!-- --> | Atlantico.fr
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La Société Générale a annoncé la fermeture de 20% de ses agences bancaires.
La Société Générale a annoncé la fermeture de 20% de ses agences bancaires.
©Flickr/myahya

Quand internet remplace le magasin

Une enquête réalisée par OC&C sur l'attractivité des enseignes publiée jeudi 1er octobre montre une évolution de taille chez les consommateurs Français : selon ce sondage, les pure player d'Internet sont désormais mieux notés que les enseignes issues de la distribution physique sur certains critères dominés jusque-là par les secondes, notamment la confiance.

Dominique Desjeux

Dominique Desjeux

Dominique Desjeux est professeur émérite à la Sorbonne, université de Paris. Il est le directeur de la Formation doctorale professionnelle en sciences sociales et responsable du Centre de Recherches en SHS appliquée aux innovations, à la consommation et au développement durable. 

Il est aussi notamment co-auteur, avec Fabrice Clochard, de "Le consommateur malin face à la crise. : le consommateur stratège" (juillet 2013) aux éditions de L'Harmattant

Il vient de publier L’empreinte anthropologique du monde. Méthode inductive illustrée, Peter Lang

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Quel rôle les sociétés de service physique, ainsi que les commerçants, ont comme rôle social ? De quoi est privée la société en générale quand une agence physique est clôturée ?

Dominique Desjeux : En réalité la société perd autant qu’elle gagne. Tout d'abord, elle perd évidemment en chaleur humaine. Mais il n'y a pas que de la chaleur dans ce que l'on nomme le lien social. N'oublions pas que le "village", métaphore fréquemment utilisée pour définir une sorte de lien social souvent fantasmé, est un système de contrôle très fort. Il est à la source de conseil, de relations positives... Mais aussi de contrôle, de perte d'autonomie et de tension.

A chaque fois qu'une nouvelle technologie bouscule nos modes de vie, les grands mécanismes humains se maintiennent et sont réincorporés dans les nouveaux schémas qui s’imposent. La chaleur humaine peut alors se recréer. Je note que l’on mettait également en avant cette hypothèse de perte de rapports humains au moment de l'essor du téléphone portable, de virtualisation des communications. Effectivement, et comme de nombreux philosophes le soulignent, une partie des rapports humains disparaissent, mais c’est souvent pour en recréer d’autres. La réponse est donc ambivalente, et je pense qu'au final, les humains réinventeront d'autres formes de chaleurs humaines, qui à leur tour apporteront des tensions, un contrôle social etc

Il y a quelques jours, la Société Générale a annoncé la fermeture de 20% de ses agences bancaires. L'enseigne a déclaré qu'elle s'adaptait à la baisse de la fréquentation de sa clientèle dans ses agences physiques. Quels intérêts les consommateurs trouvent-ils dans le fait de préférer les enseignes en ligne ?

Dans les enquêtes réalisées dans les services, que ce soit pour les commerces ou les grosses entreprises de service (Orange, EDF, etc), à chaque fois qu'il y a un problème à résoudre, les consommateurs usagés préfèrent l'automatisation du service. Ils cherchent à n'avoir aucun contact avec l'entreprise. Par contre, à chaque fois qu'il s’agit de négocier, un report de paiement de facture, ou un découvert bancaire, ou tout simplement pour contrôler la qualité des produits comme chez un commerçant, le consommateur préfère alors un contact direct. Et cela d’autant plus s’il fait partie des couches défavorisées.

Depuis 50 ans, les consommateurs français répondent à deux dynamiques : d’une part minimiser le temps passé avec l'entreprise, ce qui pousse cette dernière à automatiser ses services, ou bien de plébisciter les relations humaine, dans le cas de la négociation d’un crédit par exemple. Ce qui est en train de se passer avec la virtualisation des banques est un processus qui remonte à Ikea. Pourquoi ? Parce que c'est le moment où une entreprise passe de "faire" à "faire faire", il délègue au consommateur la finition, en l'espèce l'assemblage, ce qui permet de faire baisser les coûts et les prix. La relation est donc gagnant-gagnant.

Et pour les entreprises ?

Nous sommes aujourd'hui au cœur de ce processus de baisse de coût que l'on appelle "ubérisation". Grâce aux smartphones et aux applications qu’ils permettent d’héberger et d’emporter partout, n'importe quelle entreprise peut proposer un "standard" automatique, ce qui constitue donc une baisse de coût. Les services traditionnels sont menacés par des entreprises dont les coûts fixes sont extrêmement faibles. Cela induit d'une part une diminution des emplois, mais aussi un retour au fordisme, je pense notamment au portage chez Amazon. Toutes les entreprises de service se retrouvent actuellement dans un magma informatique qui devient également une charge mentale pour le consommateur. Cette informatisation-là a pu augmenter les tensions entre les consommateurs et les entreprises.

Quelles profils socio-économiques préfèrent les enseignes en ligne aux agences/ boutiques physiques ?

Il est vrai que dans un premier temps, ce sont surtout les personnes âgées qui sont réticentes à la généralisation de ces nouvelles technologies. Mais au bout du compte, on s'aperçoit que cette même catégorie d'âge lui trouve une utilisation. J'ai beaucoup travaillé, en tant qu'anthropologue, sur l'utilisation du téléphone portable il y a une vingtaine d'année. Ce qui leur a donné le goût de l'utiliser, c'était la possibilité de discuter avec leurs petits-enfants, qui par ailleurs se sont bien souvent faits leurs professeurs. D'autant qu'il y a un effet "écosystème" qui peut faire effet : si autour de vous tout le monde touche à l'informatique, il y a une connaissance collective qui se met en place. Mais si un individu est isolé, il ne les utilisera pas. Bien entendu pourtant, il y aura toujours une fracture numérique, mais comme il y aura toujours des fractures sociales.

Quel avenir peut-on imaginer ?

Dans les enquêtes que nous avons faites en Chine, certaines personnes nous ont signifiées qu'elles pouvaient rester toute la semaine chez elles, et tout commander sur internet. Je pense que nous aurons des gens qui vivrons dans un univers complètement numérique, mais qui vivront bien dedans. De l'autre côté du spectre, il y aura au contraire des personnes qui auront fait le choix de privilégier une forme local de lien, probablement minoritaire. Entre ces deux groupes minoritaires, la majorité jonglera entre les deux et ira toujours dans des boutiques physiques... Lesquelles auront très probablement changées.

Les librairies arriveront donc toujours à se maintenir, à partir du moment où elles recréeront un contre-modèle plébiscité par les consommateurs.

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