La banque centrale américaine jette-t-elle de l'huile sur le feu de l'économie mondiale ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Il existe désormais quatre pouvoirs : le législatif, l’exécutif, le judiciaire et le monétaire.
Il existe désormais quatre pouvoirs :  le législatif, l’exécutif, le judiciaire et le monétaire.
©Flickr / zigazou76

Attention

La Fed, la banque centrale américaine, a lancé un nouveau programme de soutien à l'économie américaine. Une politique monétaire non conventionnelle qui consiste à injecter massivement des liquidités sur les marchés... non sans conséquences pour une économie mondiale déjà fragilisée.

Bruno Bertez

Bruno Bertez

Bruno Bertez est un des anciens propriétaires de l'Agefi France (l'Agence économique et financière), repris en 1987 par le groupe Expansion sous la houlette de Jean-Louis Servan-Schreiber.

Il est un participant actif du Blog a Lupus, pour lequel il rédige de nombreux articles en économie et finance.

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Un fléau s’est abattu sur le monde. Ils veulent nous transformer en zombies, nous réduire à n’être que des consommateurs de signes, séparer l’ombre des corps…

Nous avons épinglé la politique économique des 25 dernières années aux Etats-Unis du nom de « the Great Experiment » en souvenir de John Law. Nous pensons qu’il faut aller plus loin et enrichir et, surtout, approfondir, le sens que nous donnions à cette grande expérience. Ce qu’ont tenté les démiurges, ce qu’ils tentent encore, c’est une sorte de mutation génétique. Ils s’attaquent aux lois fondamentales de l’économie à peu près comme les chercheurs cherchent à modifier les gênes des animaux qu’ils triturent. Nous sommes les rats du laboratoire de docteurs en sciences économiques fous, lesquels manipulent, créent, brisent des relations, des comportements, afin, d’une part, de s’enrichir personnellement et, d’autre part, de servir la volonté de puissance des Etats-Unis.

La pratique économique, sous l’impulsion de ces hommes, Summers, Rubin, Greenspan et de leur pâle suiveur, Bernanke, a plongé le monde dans le relativisme généralisé, c’est-à-dire dans la tyrannie du plus fort. Car, vous le savez, là où la référence au vrai, au réel, au symbolique, disparait, c’est le règne de la violence. Le fait que ce soit violence sur les esprits est encore plus grave. Relativisme, oui, mais il y a une chose qui, en revanche, est devenue absolue, c’est le pouvoir des docteurs Folamour monétaires. A côté des pouvoirs traditionnels des Etats, ils ont créé, à leur profit et au profit d’une caste, un quatrième Pouvoir. Il y a maintenant le législatif, l’exécutif, le judiciaire et le monétaire. Et le monétaire n’est contrôlé par personne, il est tombé du ciel, nouvelle religion, produit de l’obscurantisme et de la Communication, produit de la science infuse des Diafoirus, entretenu par des discours abscons qui ne servent qu’à une chose : masquer la création continue et exponentielle de fausse monnaie au bénéfice d’eux-mêmes, de leur mandants et des gouvernements idiots et complices.

Il y a quelques jours, Jens Weidman, patron de la Buba, parlant, sans les nommer, de Draghi et des banquiers centraux, évoquait Méphistophélès. Weidman est nourri de la culture de Goethe. Le mythe de la séparation de l’ombre et du corps est un mythe ancien, l’inséparabilité de l’ombre et du corps constituant de façon constante, la caractéristique de l’humain vivant ; ce sont les zombies ou les morts qui n’ont pas d’ombre. C’est l’ombre de Dante qui le révélait comme un corps étranger dans l’Enfer. L’œuvre des trois démiurges et de leurs héritiers est une œuvre satanique qui consiste à séparer l’ombre, les monnaies et quasi monnaies, des corps, c’est-à-dire du Réel, du fondamental, du sous-jacent ; c’est cela, le relativisme. Ainsi, ils s’en rendent maîtres et maîtres de vous. Ils font de vous des zombies.

L’entreprise des disciples de Satan est vieille comme le monde, l’ironie est qu’on le retrouve dans un manga contemporain à succès : One Piece ! Dans One Piece, l’eau de mer (des liquidités) a le pouvoir de séparer l’ombre des corps. Les grands blocs économiques viennent de décider de nouvelles et importantes mesures non conventionnelles destinées à augmenter la quantité de monnaie dans le système mondial, Etats-Unis, Japon, Europe.

L’échec des mesures prises depuis 2008 en termes d’économie réelle et de chômage est avancé comme la cause de ces initiatives monétaires, il s’ajoute les craintes d’une éventuelle déflation et, bien sûr, l’état calamiteux du système bancaire et financier mondial. On passe pudiquement sous silence les deux causes majeures : créer les conditions de l’euthanasie des dettes et monétiser les déficits des gouvernements. L’un des arguments avancés par les responsables de ces politiques est que les risques d’inflation sont faibles, les conditions d’un enchainement inflationniste ne sont pas réunies, les anticipations sont bien maîtrisées.

Ces responsables se comportent et s’expriment comme si le lien entre la quantité de monnaie et la hausse des prix était définitivement brisé dans le monde moderne, voulu et contrôlé par les Etats-Unis.

L’histoire monétaire, aussi bien que le bon sens et la théorie, montrent qu’il n’en est rien. Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, simplement, il faut analyser, travailler, décortiquer afin de déterminer pourquoi, dans certains cas, les mêmes causes ne produisent pas, pendant un certain temps, les effets escomptés. Pour cela il faut toujours avoir à l’esprit notre fameuse Loi du Triangle. Notre loi nous dit que lorsqu’une force se manifeste, ce que l’on voit apparaitre, ce n’est pas son résultat, mais le résultat de la combinaison de cette force avec les réactions qu’elle déclenche ; ce que l’on voit apparaître, ce n’est pas le résultat de la force seule, mais la résultante du jeu de cette force avec celles qu’elle déclenche pour s’y opposer.

Les Etats-Unis sont passés très près de la catastrophe en 1971, puis en 1980. Plus exactement, ils ont flirté avec la catastrophe de 1971 à 1981.
Pourquoi ? Parce que, au mépris de toutes les règles de bonne gestion, ils ont financé le beurre, les canons, l’Etat Providence par le crédit et la création monétaire.

En 1971, Nixon était dans l’impasse ; le stock d’or américain avait chuté, de 20 000 tonnes  à l’issue de la deuxième guerre mondiale, à 8 000 tonnes. L’expansion non-contrôlée de la masse monétaire et du crédit avaient porté la hausse des prix à plus de 6% ? L’étranger devenait plus que méfiant à l’égard du dollar, son statut était en péril. Nixon, pour protéger le stock d’or et poursuivre la même politique - cela vous rappelle quelque chose ? - a choisi, non pas de traiter le problème, mais de le masquer. On a fermé la vitrine de l’or et instauré un contrôle des prix. Voilà, au moins, avec ces artifices, on était tranquille pour quelque temps. Le couvercle était mis sur la marmite. Pas pour longtemps.

En 1973, signe que les craintes ne sont pas apaisées sur la situation américaine et le dollar, le dollar doit dévaluer, l’or passe à 42,22 dollars l’once. En juin, à Londres, la relique barbare passe à 120 dollars l’once. L’inflation américaine galope, elle atteint, pourtant réprimée, 9% l’an. En octobre, inquiets d’être payés en monnaie de singe, les producteurs de pétrole prennent prétexte de la guerre du Kippour pour décréter un embargo pétrolier. Il faut noter que l’Égypte, la Syrie, la Tunisie, se joignent à cet embargo.

L’histoire montrera après coup, quand les langues se délieront, que le soutien des USA  à Israël n’était qu’un prétexte. Le prix du pétrole augmente, celui de l’or également. Le pétrole est multiplié par 4, l’or vaut 850 dollars. Les pétrodollars sont recyclés sur les marchés, la fameuse manne à laquelle les banques européennes n’ont pas su résister, ils se sont placés en valeurs du Trésor US, actions, obligations, titres de crédit. L’origine de l’anglo-saxonnisation des banques euros est là, dans l’appât du gain facile procuré  par le recyclage.

Volcker comprend la gravité de la situation. Les prix dérapent, la confiance dans le dollar chute vertigineusement. En 1979, pour casser la spirale, il monte les taux à plus de 11%. Les anticipations négatives résistent, Volcker tient bon. En 1980, l’inflation atteint 13,5%. Le taux des Fed Funds est porté à 20% à mi-81, le prime rate passe à 21,5%. Volcker a gagné, il renverse les anticipations ; l’or et le pétrole s’effondrent.

Vous avez tout compris. La chute de l’or et du pétrole, conséquence de la politique draconienne, déterminée, de Volcker a scellé le succès de la lutte anti-inflation. De la lutte contre l’inflation, considérée comme hausse des prix, considérée, non pas dans la réalité, la croissance des agrégats monétaires, mais comme manifestation de la dérive monétaire. Manifestation au sens d’apparence, de ce qui se donne à voir.

Il faut comprendre le mode de fonctionnement intellectuel des élites américaines ; si la chute de l’or et du pétrole scellent, attestent du succès de la lutte contre l’inflation, alors, on se le tient pour dit, pour éviter la perception de l’inflation et lutter contre les anticipations, il faut casser l’or et le pétrole. On ne comprend pas la politique et la gestion américaine si on ne tient pas compte de l’effet d’expérience, d’apprentissage, issu de ces années.
Les inventeurs de la politique financière américaine sont Summers et Rubin. Nous disons cela car, nous ne nous plaçons pas au plan théorique, ni technique, non, nous nous plaçons au plan pratique, opérationnel.

Ce n’est pas de la théorie, ce n’est pas de la logique et du concept à l’européenne. C’est du pratique, de la corrélation, de l’observation, etc. Dans ce travail, Summers établit que le prix de l’or est inversement corrélé aux taux d’intérêt; quand les taux baissent l’or monte. Qu’en conclut Summers, en bon américain constructiviste qu’il est? Il en conclut que, quand on veut baisser les taux  d’intérêt et que l’on ne veut pas déclencher les anticipations inflationnistes, il faut agir sur les perceptions, donc mettre un couvercle, «capper» les cours de l’or. Mais comme les travaux montrent qu’il y a une corrélation entre les cours du pétrole et ceux de l’or, à partir du moment où on manipule le cours de l’or, il faut manipuler également celui du pétrole.
Or et pétrole sont les deux variables qui ne doivent plus varier librement.

Vous voyez mieux pourquoi on a attaqué et fait chuter le pétrole en même temps que l’on annonçait le nouveau round de printing. Le pétrole était à près de 110  dollars en début Avril, quand on a parlé de nouveaux printings, il a chuté plus ou moins naturellement jusque 80. Quand tout le monde a été convaincu de l’approche de QE3 (une politique monétaire non conventionnelle, ndlr), il a remonté jusque 100. Rien de plus simple, alors que la spéculation est le fait de mains faibles, rien de plus facile que de la faire décrocher sur le fait accompli. Le pétrole est à 90.

Normalement, il faut, comme l’ont fait les élites américaines, intégrer la problématique des autres matières premières pour être complet, mais le format de cet article ne permet pas un tel développement; Il faut cependant avoir présent à l’esprit que cette donnée est à prendre en compte car les commodities constituent dans le système un empêcheur d’inflater la monnaie en rond, sans conséquence sur le CPI.

Les travaux du type Summers montrent qu’en dernière analyse, l’or et le pétrole sont corrélés à la valeur perçue des monnaies. N’oubliez pas le crédo de Rubin: «perception is all». Toute la politique américaine est en pratique bâtie sur les travaux de ces gens et les modèles construits pour en tirer profit. Les corrélations, cela s’utilise, cela se brise, cela se crée, voilà ce qu’ils ont compris.

Rien d’étonnant si les résultats de la gestion du fonds endowment de Harvard de Summers sont fantastiques en toutes circonstances. En toutes circonstances ou presque, car, en 200, Summers a pris une claque.

L’un des trucs, l’une des astuces des pilotes, a été de réussir à casser les relations entre taux d’intérêt, le CPI et les monney supply. C’était un trait de génie auquel Greenspan a apporté sa contribution, il faut reconnaître les mérites du Maestro, ce n’est pas pour rien que la Reine d’Angleterre l’a fait Lord. Les banques « too big to fail », la non transparence des dérivés, tout cela fait partie intégrante du modèle imaginé par notre trio.

La globalisation a parfaitement été analysée par nos compères comme permettant de briser ce lien entre taux d’intérêt, hausse des prix, valeur perçue la monnaie.

  • La Chine agit comme un manipulateur clandestin, secret, des prix par ses productions et surproductions mercantilistes.
  • La Chine agit comme un modérateur des taux par son recyclage et ses achats de titres américains.
  • La Chine agit comme un soutien du dollar par ses interventions pour empêcher la hausse du yuan.

C’est la Chine qui, en dernière analyse, empêche les conséquences des politiques monétaires désastreuses des Etats-Unis de se manifester. C’est la Chine qui est objectivement complice et qui permet de différer la manifestation des conséquences de la gestion calamiteuse des Etats-Unis.

La Chine agit comme une sorte d’opérateur qui contrôle les prix, les taux, les changes, en faveur de la perpétuation de la catastrophique gestion américaine.

Vous connaissez notre idée, tout ce qui est soutenu finit par chuter, tout ce qui est artificiel finit par être balayé, la réconciliation entre le réel et l’imaginaire est inéluctable, le réel gagne toujours. C’est une question de temps. En particulier, pour le camp déflationniste, nous affirmons que l’inflation américaine n’est pas à venir, elle est déjà là, mais réprimée.

Et de fait, ce que l’on voit en Chine va dans la  direction de la dislocation du système qui a fait le bonheur américain: forte hausse des prix, chômage inquiétant, voire, dans certaines régions, terrifiant. Le système chinois se délite et le comble est que les Etats-Unis, qui en sont les principaux bénéficiaires, avant le peuple chinois lui-même, les Etats-Unis font tout pour que la décomposition chinoise accélère.

Le nouveau round de QE, la hausse des prix des produits agricoles, les menaces sur l’Iran qui alimentent la Chine... tout cela complique la tache des dirigeants déjà passablement désarmés. En Chine, les prix augmentent, les salaires montent, le chômage enfle, les créances douteuses explosent, l’excédent extérieur se contracte. Bref, le système se disloque. Le mouvement de réorientation du modèle vers la consommation et la tentative de peser et limiter l’investissement va précipiter la dislocation car tout est rigide, inadapté, inadaptable. Le système chinois est le produit d’une situation, si la situation change, il s’effondre.

Certains cherchent le catalyseur, le facteur déclenchant, la cause proche, qui pourrait faire basculer la situation américaine dans l’incontrôlable, nous voyons deux possibilités. Une possibilité semi douce, « soft », c’est l’évolution de la situation chinoise, et une possibilité brutale qui démasquerait, dévoilerait la réalité dissimulée, qui jouerait sur un paramètre clef, une guerre avec un pays producteur de pétrole.

Billet préalablement publié sur Le Blog à Lupus

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