« Faisons sauter un pipeline » : l’inquiétant tournant des écologistes radicaux allemands<!-- --> | Atlantico.fr
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Luisa Neubauer, militante allemande pour le climat, se tient devant le bâtiment du Reichstag, alors qu'elle s'adresse aux manifestants qui participent à la grève mondiale pour le climat "Fridays for Future", à Berlin, le 24 septembre 2021
Luisa Neubauer, militante allemande pour le climat, se tient devant le bâtiment du Reichstag, alors qu'elle s'adresse aux manifestants qui participent à la grève mondiale pour le climat "Fridays for Future", à Berlin, le 24 septembre 2021
©JOHN MACDOUGALL / AFP

Eco-terrorisme

Luisa Neubauer, activiste allemande de 26 ans et figure de proue du mouvement « Fridays For Future » a évoqué sur son compte Instagram l'idée de faire « sauter un pipeline ». Alors que les écologistes allemands s’installent de plus en plus fortement dans le paysage politique, comment expliquer la radicalité croissante de certains militants ?

Alexandre Robinet Borgomano

Alexandre Robinet Borgomano

Alexandre Robinet Borgomano est responsable du programme Allemagne de l’Institut Montaigne. Il a rejoint l’Institut Montaigne en 2019. Il a travaillé auparavant au Bundestag, comme attaché parlementaire d’un député allemand. Il a conduit pour la Fondation du patrimoine culturel prussien un projet d’exposition visant à présenter à Berlin les collections d’art moderne du dernier Shah d’Iran. Il a également participé au lancement d’un fonds d’investissement européen dans le domaine de la Smart City et pris part à l’initiative pour l’unification du droit des affaires en Europe. Diplômé de Sciences Po Paris, il est également titulaire d’une maîtrise en histoire moderne de la Sorbonne (Paris IV).

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Atlantico : Figure de proue du mouvement « Fridays For Future », Luisa Neubauer est devenue l’une des activistes allemandes les plus connues à propos de la protection du climat. Sur un Instagram, la jeune femme de 26 ans a évoqué qu’elle pensait à faire sauter un pipeline. Même si la menace semble être une plaisanterie, elle appelle à la destruction de biens et au sabotage d’installations industrielles. Alors que les écologistes allemands s’installent de plus en plus fortement dans le paysage politique, qu’est ce qui explique la radicalité croissante de certains militants ? Est-ce la conséquence d’une realpolitik du parti vert allemand ? 

Alexandre Robinet-Borgomano : La vidéo postée par Luisa Neubauer sur Instagram, dans laquelle elle affirme que “naturellement, nous réfléchissons au moyen de faire exploser un pipeline” visait à attirer l’attention de l’opinion sur le East African Crude Oil Pipeline (EACOP), un projet d’oledoc en Afrique de l’Est, porté par TotalEnergies et la compagnie pétrolière de l’Etat chinois visant à acheminer le pétrole ougandais vers l’Océan indien. 

Une fois achevé en 2025, cet oléoduc représentera l’une des plus grandes infrastructures pétrolières au monde. Le projet est critiqué pour son impact environnemental et pour les transferts de population qu’il impose au niveau local, mais également parce qu'il correspond, dans l’esprit des écologistes, à une logique économique dépassée tendant à accroître notre dépendance aux hydrocarbures. Le débat prend une tournure particulière en Allemagne, alors que le Gouvernement fédéral a choisi, après l’agression de l’Ukraine par la Russie, de ne pas mettre en service le gazoduc Nord Stream II. Ce fiasco économique et géopolitique majeur a jeté un discrédit durable sur les projets d’infrastructures fossiles menés avec des régimes autoritaires, ce qui est le cas de l’EACOP. 

La radicalité dont Luisa Neubauer a fait preuve dans cette vidéo n’est pas passée inaperçue : le très influent Bild Zeitung lui reproche déjà de vouloir faire revivre la “terreur” que la Rote Armee Fraktion (RAF) avait propagée en Allemagne dès la fin des années 60… Luisa Neubauer s’est justifiée en expliquant que cette phrase était chargée d’ironie et renvoyait au titre d’un livre du scientifique et activiste Andreas Malm. Mais cette mise à distance n’est pas dépourvue d'ambiguïtés. Dans son dernier ouvrage “How to Blow Up a Pipeline : Learning to Fight in a World on Fire” Andreas Malm justifie précisément l’usage de la violence et de l’expropriation pour faire avancer le combat en faveur de la protection du climat. 

Je ne crois pas, cependant, que nous assistions à une radicalisation des militants écologistes liée à la présence de Verts au pouvoir. Certes, Luisa Neubauer a critiqué dans une tribune publiée par Die Zeit l’action des Verts et leurs renoncements en matière de politique énergétique depuis qu’ils sont au pouvoir, mais il semble que ce soit surtout cette “nouvelle réalité” que crée la guerre en Ukraine -et qui impose à l'Allemagne un tournant à 180° en matière de politique énergétique et de défense- qui autorise ou légitime désormais l’expression d’une nouvelle forme de radicalité. “La radicalité est le nouveau réalisme” cette formule popularisée par le ministre Robert Habeck avant les élections est en passe de s’imposer. En témoigne la popularité croissante dont le mouvement Fridays for future et les Verts bénéficient aujourd’hui en Allemagne.       

Les verts allemands pourraient-ils se retrouver dans la même situation que la gauche en 1967 après 20 ans d’opposition ? Quels points sont-ils semblables ? 

En 1966, le SPD qui occupe depuis près de 20 ans les bancs de l'opposition  parvient à entrer au gouvernement au sein d’une grande coalition, menée par le Chancelier conservateur Kurt Georg Kiesinger. En montrant sa capacité à gouverner, en s’imposant comme un grand parti populaire (Volkspartei), en plaçant au gouvernement des personnalités charismatiques, comme le vice Chancelier Willy Brandt, le SPD parvient à s’imposer comme la nouvelle force politique capable de succéder aux conservateurs pour présider aux destinées du pays. Trois ans plus tard, en 1969, le candidat du SPD Willy Brandt accède à la Chancellerie en s’alliant avec les Libéraux. 

Il y a là un parallèle intéressant car il est probable que la législature actuelle permettra aux Verts allemands de gagner en crédibilité et en popularité pour in fine placer le prochain Chancelier. Les ministres verts apparaissent comme les forces motrices du gouvernement actuel et la dynamique qui les a porté au pouvoir semble se confirmer au niveau des régions. Comme le SPD dans les années 60’s les Verts allemands se révèlent capables, en gouvernant, de sortir de leurs zones de confort pour développer des compétences nouvelles. Et comme le SPD à cette époque ils se montrent moins idéologiques que pragmatiques dans la conduite des affaires du pays. 

Mais l’analogie historique ne devrait pas être poussée trop loin. Les années 60’s correspondent au début des années de plomb, marquée en Allemagne (comme en Italie) par le développement d’une violence d'extrême gauche. Cette radicalité nouvelle à l’époque s’inscrit dans un contexte bien particulier : celui de la guerre froide bien sur, mais surtout celui de l’avènement d’une nouvelle génération qui voient dans le capitalisme et la démocratie chrétienne le prolongement du fascisme ou du nazisme qui avait marqué la génération précédente. Le Chancelier Kiesinger par exemple fut lui même un membre actif du parti nazi... Le contexte n'a plus rien à voir avec la situation actuelle et le parallèle établi par le Bild entre les déclarations de Luisa Neubauer et les actions terroristes de la bande à Bader ne me paraît pas vraiment justifié. 

La scission entre un establishment vert et une opposition extra-parlementaire est-elle inéluctable ? 

Les Verts allemands n’ont pas attendu d’entrer au gouvernement pour se convertir au réalisme. La tension entre fundi et realos a toujours existé et continuent d’animer le parti même si la ligne réaliste est celle qui l’a emporté et qui permet aujourd’hui au parti de gagner de nouveaux adhérents. L’évolution de la composition des membres du parti révèlent une tendance en faveur d’un recentrement. Il est par ailleurs important de noter que l’action du gouvernement actuel n’est pas exempte d’un certain degré de radicalité. En effet, si la guerre en Ukraine contraint l’Allemagne à prolonger ses centrales à charbon, le gouvernement fédéral est également sur le point d’imposer des mesures extrêmement coercitives pour obliger les régions à construire davantage d’éoliennes et pour amener les ménages à consommer moins d’énergies. L’opposition extra-parlementaire, c’est à dire dans ce cas les grandes ONG environnementales, bénéficie désormais de relais puissants au sein du gouvernement et du parlement, et elle n’a pas intérêt à se couper d’eux si elle veut faire avancer ses combats. On le voit parfaitement avec les différentes prises de position de Luisa Neubauer : cette opposition aura un rôle déterminant pour soutenir et défier les gouvernements verts des années à venir, et éviter ainsi que l’exercice du pouvoir ne conduise à un renoncement en matière de protection du climat.  

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