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Face à la culture woke qui envahit les universités, les entreprises et les donateurs seront peut-être les seuls à protéger la liberté d’expression
©©EITAN ABRAMOVICH / AFP

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Quand Sciences Po empêche un journaliste classé à droite de venir faire une conférence, c’est le symptôme d’une maladie woke qui commence à ronger le monde occidental et contre laquelle les entreprises, qui financent pourtant les écoles et les universités, seront les seules remparts.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Quand la direction générale de Sciences Po s’oppose à la venue d’un intervenant notoire jugé trop à droite, elle ne fait qu’épouser ce courant qui a envahi beaucoup d’universités américaines depuis quelques années. Ce courant de la culture woke qui impose un enseignement et des réflexions politiquement correctes, mais qui revient très souvent à repousser sous le tapis beaucoup de valeurs de progrès, principalement quand elles sont rangées à droite sur l’échiquier politique. 

Geoffroy Lejeune, le directeur de la rédaction de Valeurs actuelles, qui avait été invité par un groupe d’étudiants à venir donner son analyse de la percée d’Eric Zemmour dans les sondages, a donc été interdit de s’exprimer dans l’amphi de sciences politiques. Pourquoi ?  Parce que la direction de l’école le juge trop à droite. 

 A priori, cet incident est très curieux puisque depuis quelques mois, Sciences Po avait réussi à ouvrir ses portes et ses amphis à JeanLuc Mélenchon, qui lui, n’a pas été jugé trop à  gauche et c’est tant mieux.  

Cet incident serait très anecdotique s‘il était le premier de son espèce. Il serait très marginal si de plus en plus d’universités américaines n’alimentaient pas ce courant répressif. Un courant qui s’exporte sur toute la planète, presque mieux que le Coca Cola.  

Ce qui est paradoxal et inquiétant avec ce courant, c’est qu’il est animé par des universitaires et des chercheurs venus de la gauche sociale-démocrate, celle qui a dominé la pensée occidentale pendant le demi-siècle qui a suivi les tragédies de la deuxième guerre mondiale. Nourris par les philosophes classiques, éclairés par les « Lumières », tous les penseurs modernes sont devenus des biens penseurs, ignorant des leçons de l’Histoire, effaçant tout ce qui pourrait heurter leurs certitudes, et surtout protecteur de minorités face à une démocratie qui serait devenue envahissante. Que les minorités soient protégées; c’est plutôt bien, mais que cette minorité impose aux autres ce qu’il faut penser ou s’interdire de penser commence à être invraisemblable. 

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Etes-vous contaminé par l’épidémie de “woke” (ça n’est pas parce que vous ne savez pas ce que c’est que vous n’êtes pas concerné) ?

La" bien-pensance" woke se manifeste donc quand elle dispense des blâmes contre la modernité et même des interdits face à des comportements publics ou sociaux, jugés insupportables. La plupart du temps, cette répression s’exerce en réduisant lentement et surement la liberté d’expression individuelle. Ce qui nous guette n‘est pas la censure mais l’autocensure. 

Donc Sciences po vient de refouler un conférencier considéré comme politiquement incorrect par le seul fait que ses propos pourraient justifier l’existence de Éric Zemmour.

Mais la culture Woke va beaucoup plus loin, au grand désespoir des libéraux, des classiques et des gens disons normaux,  puisqu’elle va jusqu'à réécrire l’histoire, et particulièrement quand cette histoire est celle de ces peuples de blancs accusés de toutes les injustices sociales et raciales, dont la seule issue serait de se sentir coupable et de s’en absoudre par un discours et une attitude condescendants à l'égard de toutes ces minorités qui s’arrogent le droit de tracer la frontière entre ce qui est bien et ce qui est mal. 

Que ce genre d’idées se diffuse d’abord dans le milieu universitaire n’a rien d’étonnant, ce qui est grave c’est qu’il interdit la contradiction et le débat. Ce qui est grave, c’est que dans  l’enceinte universitaire, les intellectuels ne protestent pas.  Ou alors, on ne les entend pas. Comme si personne ne pouvait prendre le risque de critiquer la culture Woke. 

Personne, sauf peut-être les organismes de financement qu’on sent très agacés aux États- Unis. Parce qu’aux Etats-Unis, les écoles supérieures, les grandes universités sont totalement financées soit par les étudiantes eux-mêmes et leurs familles, mais aussi par les entreprises qui engagent beaucoup d’argent dans les centres de formation et de réflexion, et par les banques qui distribuent les crédits étudiants.  

Tous ces acteurs-là ont des raisons de s’inquiéter de la tournure des événements :  

Les parents d’élèves, qui s’étonnent que cette université qu‘ils paient si cher réussissent à semer le trouble sur les valeurs de la société. 

Les entreprises et les donateurs, qui réfléchissent à lâcher un certain nombre de lieux d’enseignement parce qu’ils considèrent qu’on ne prépare pas l’avenir si on ne respecte pas ni le passé, ni les faits et les chiffres. 

Quant aux banques, très sollicitées pour organiser le financement à crédit des études, elles s’interrogent pour savoir si ce type d’enseignement prépare véritablement l’avenir professionnels des étudiants, dans la mesure où c’est la qualité de cet enseignement qui va garantir les prêts. 

L’enseignement en France bénéficie de structures de financement différentes dans la mesure où ces financements sont publics. C’est donc à l’Etat de vérifier que les valeurs inculquées sont conformes aux valeurs de la république. Les universités publiques ne seront pas épargnées par la culture Woke, sauf à ce que l’Etat intervienne, tout comme le corps des enseignants profondément républicain. Pour l’instant, ce n’est pas le cas.

L’enseignement universitaire privé est dans une position différente. Ses sponsors, ses donateurs, c’est à dire les entreprises, peuvent intervenir. Officiellement, elles ne le feront pas, mais officieusement, elles ont déjà très souvent mis en garde les directions sur les risques de la culture Woke. 

Sciences Po n’échappe donc pas à la surveillance, non pas par l’Etat qui n’est pas son tuteur mais par le board. A côté d’un conseil pédagogique, il existe en effet un conseil d’administration ou un conseil de surveillance dans lequel siègent des représentants des entreprises et  des financiers, qui ne manquent pas d’intervenir. Et rien ne leur interdit de donner leur avis sur le contenu de l’enseignement, le choix des professeurs et des projets de recherche. Avec trois critères : la qualité de l’enseignement, son utilité sur le marché et l’image que laisse l’école. 

C’est ce même conseil d’administration qui avait d’ailleurs laissé carte blanche à Richard Descoings, l’ancien directeur général de Sciences Po, dans son effort de réforme et de transformation de l’école alors qu’il y avait débat; parce que le conseil des sages considérait que l’école s’adaptait ainsi aux réalités du marché, aux besoins des entreprises en cadres de haut niveau et à la sociologie française. 

En revanche, au moment de l’affaire Duhamel, ce conseil d’administration était intervenu, non pas sur le fond de l’affaire, mais sur la forme et son impact sur la réputation et l’image de l’école. Ce conseil de surveillance était en fait dirigé par Michel Pébereau et l’ex-patron tout puissant de la BNP avait jugé cette affaire désastreuse, imposant des mesures de correction pour éviter les effets financiers. L’ostracisme intellectuel exercé à l’encontre d’un Geoffroy Lejeune pourrait avoir les mêmes effets si elle se reproduisait avec qui que soit d’autre. 

Ce que le conseil jugera, c’est l’impact de la culture Woke sur la qualité des produits issus de Sciences Po et sur l’image dans le monde des sponsors et des financiers. Les grandes écoles de commerce, HEC, Essec, l’EDHEC, l’Em Lyon, qui sont financées à 100% sur fonds privés (frais de scolarité et donations) sont particulièrement sensibles à ce genre de phénomène. Ces grandes écoles sont terriblement en concurrence pour recruter les meilleurs et pour obtenir les dotations les plus généreuses. Elles veillent donc scrupuleusement à la qualité du diplôme et à la réputation de l’établissement. 

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