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Excès, petits calculs et confusion idéologique : y-a- t il encore quelqu’un à droite ET au centre capable de dire ce qu’il pense vraiment ?
©BERTRAND GUAY / AFP

Double jeux

Les conflits qui opposent les personnalités à droite révèlent une crise plus profonde, celle du discours que peut tenir un dirigeant de droite.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico: Alors que Laurent Wauquiez semble tenir un discours politique qui pourrait être considéré comme "plus à droite" que celui qui serait mis en oeuvre en cas de mise en responsabilité, alors qu'Alain Juppé paraît défendre des intérêts locaux en apportant un soutien tacite à Emmanuel Macron, alors que Jean-François Copé tient également un discours plus modéré que celui qu'il tenait en 2012, et alors que Virginie Calmels est prise dans une polémique entre son ralliement à Laurent Wauquiez et des sollicitations du gouvernement actuel, l'ensemble de la droite paraît s'engluer dans une crise du double discours, une crise de sincérité de ses dirigeants. Comment expliquer une telle confusion à droite ? 

Edouard Husson : Repartons du cocktail concocté par Sarkozy avant 2007. L’ancien président avait tenté de résoudre la crise de la droite (en 2001 Jean-Marie Le Pen avait affronté Jacques Chirac,miraculé de la coahbitation, au second tour de la présidentielle). Nicolas Sarkozy avait cru possible de juxtaposer discours identitaire et engagement européen de la France. Il avait séduit et semblé un temps pouvoir réussir de par son appel à remettre la France en marche - déjà! -, à « travailler plus pour gagner plus ». Le pari gagné du président de 2007, c’est d’avoir à la fois été élu par les personnes âgées et repris une bonne moitié de son électorat à Jean-Marie Le Pen. Cinq ans plus tard, en 2012, le mélange n’a pas complètement perdu de son attractivité et ceci d’autant plus que Sarkozy fait une bonne campagne, clairement ancrée à droite. Il a tout de même perdu plus pratiquement 20% de son électorat de 2007 au premier tour. La raison en est simple: l’euro, parce que l’Allemagne refuse absolument une politique de change pourtant autorisée par le traité de Maastricht, a laminé l’effet des réformes économiques au fur et à mesure que Sarkozy les mettait en place.  Dans la guerre des monnaies renforcée par la crise de 2007, la France est beaucoup plus pieds et poings liés que l’Allemagne. Pour cette dernière, l’euro est un deutsche mark sous-évalué; alors qu’il est un franc surévalué. Le quantitative easing de Draghi atténue un peu les rigidités mais pas suffisamment pour permettre à la France les investissements dont elle a besoin ni l’intégration d’une main d’oeuvre jeune souvent peu qualifiée. Tous les cheffaillons de la droite actuelle, qui invoquent un « droit d’inventaire » de la période Sarkozy et de l’échec de Fillon ne veulent pas regarder la réalité en face, alors même que  1. Le Brexit a eu lieu un an avant la présidentielle française. 2. Marine Le Pen s’est retrouvée au second tour de la présidentielle. 3. L’Espagne est au bord de la partition catalane du fait de la politique monétaire et budgétaire européenne. 4. Angela Merkel est maintenue en survie politique artificielle. 5. La société grecque est rongée à petit feu  par un des accords financiers les plus iniques de l’histoire du continent. Tous sont impressionnés par l’élection de Macron sans voir que ce dernier a largement gagné par défaut.  Le problème c’est pourtant l’Union Européenne, qui, paradoxalement, nous provincialise alors qu’il nous faudrait à la fois regarder loin dans notre passé, retrouver une fierté française et nous ouvrir à une mondialisation polycentrique à laquelle nos territoires d’outre-mer, répartis aux quatre coins de la planète nous prédisposent. 

Le second tour de l'élection présidentielle a été le témoin d'une hésitation à droite, rappelée par Edoua​rd Philippe ce 27 novembre "On avait une réunion du bureau extrêmement importante. On avait réuni tout le monde après ce séisme du premier tour. On avait une question compliquée : il fallait savoir si on allait appeler à voter pour Emmanuel Macron ou contre Marine Le Pen." ​ Dans quelle mesure cette confusion à droite peut elle également trouver sa source dans ce choix ? La droite ne souffre t elle pas justement de pouvoir s'ancrer dans un nouveau clivage, plus profond que celui qui existait avant cette élection, notamment sur les questions économiques, migratoires, et européennes ? 

Le problème de la droite, depuis longtemps, c’est qu’il n’y a plus de gaulliste, ou pratiquement plus, dans leur rangs. Macron offre une sorte de giscardisme quasi-parfait, dont le seul défaut est qu’il n’est pas issu des rangs de la droite - mais on n’est pas à ça près. Plus à droite, vous avez Marine Le Pen, qui ne veut pas voir qu’elle laisse un espace politique inoccupé en s’obstinant à poursuivre le mirage de la séduction des électeurs mélenchoniens alors qu’il faudrait qu’elle s’embourgeoise - ou au moins qu’elle utilise le talent politique de sa nièce. Laurent Wauquiez sent bien qu’il y a un espace à occuper. Mais il a aussi peu de colonne vertébrale que Chirac; et il est incapable de se faire la réputation, usurpée mais efficace, de « mec sympa », qu’avait l’ancien président. Au contraire, Wauquiez semble fasciné par son propre talent, qui semble illimité, pour se faire des ennemis. Il pourrait compenser son propre caractère s’il avait une vision politique. Mais il est d’abord une « bête à concours », un premier de la classe qui régurgite la leçon des professeurs de mondialisation. Alors oui, il y a bien certains profs qui esquissent des critiques timides de l’ordre en place; et Wauquiez nous met un peu de protectionnisme et un peu d’identité nationale dans un discours par ailleurs bien fade, émaillé de grossièretés et débité dans un style faussement simple pour faire « peuple ».  Le gaullisme, ce conservatisme français, est à portée de main mais personne ne s’en sert. De Gaulle n’a pas réussi à fonder une tradition vivante, à la différence de Benjamin Disraëli (1804-1881) avec le parti conservateur britannique. Et pourtant un trésor est à disposition, qui permettrait de ramener à une Europe des réalités, de réhabiliter la capacité d’assimilation des étrangers qu’a eue longtemps la France, de redonner à tous le goût de l’entreprise, de refaire de l’école un creuset de la République et de la recherche française l’une des plus créatives au monde etc....

Nicolas Sarkozy en 2007, François Fillon en 2017, offraient un discours qui pouvait être perçu comme sincère, au contraire de ce qui est observé actuellement. Quelles sont les leçons à en tirer pour la droite ? ​

Sarkozy s’assumait comme « homme de droite ». Il était d’ailleurs tellement homme de droite qu’il croyait que la culture était de gauche. Mais regardez comme il a transformé l’Université; comme il a tenu bon face à la rue sur l’ensemble de ses réformes. Face à la crise, il a su abandonner une partie du dogme néo-libéral. Evidemment, avoir appris à regarder la France depuis Neuilly fait manquer des choses fondamentales. Sarkozy n’a jamais fait le lien entre les difficultés des banlieues et le choix qu’ont fait les milieux dirigeants français, depuis quarante ans, de préférer l’intégration européenne à l’intégration des immigrés à la nation. Comme maire de Neuilly vous pouvez assigner des objectifs chiffrés à la police et il y a de bonnes chances qu’ils soient atteints; à l’échelle nationale, cela ne fait aucun sens, surtout si, austérité budgétaire oblige, vous laissez diminuer les effectifs. L’épuisement des forces de police auquel nous assistons actuellement, avec son triste cortège de suicides, est largement un produit de la période Sarkozy. De même nos forces armées sont à bout, exténuées par l’écart croissant entre les tâches confiées et le rétrécissement budgétaire. Fillon ne manquait pas de sincérité non plus; mais il n’a rien compris aux implications de la contraction budgétaire permanente. Auprès de Sarkozy, il était l’homme raisonnable, celui qui rassurait Bercy et la BCE. Mais il faut bien dire qu’être le candidat de la droite en 2017 sur le thème de l’austérité budgétaire avait quelque chose de comique, surtout quand il s’agissait d’affronter un Inspecteur des Finances enfant chéri des élites financières internationales. Fillon aura passé sa vie politique à vouloir faire oublier qu’il avait été fasciné et formé par Philippe Séguin - alors que c’était la carte à jouer après les primaires! Ceux qui aspirent à succéder à Sarkozy et Fillon n’ont pas tiré les leçons de leurs échecs. 

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