Et si Bernard Tapie n’était pas que dans la vantardise lorsqu’il prétend pouvoir atteindre les 5 à 6% aux prochaines présidentielles<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Et si Bernard Tapie n’était pas que dans la vantardise lorsqu’il prétend pouvoir atteindre les 5 à 6% aux prochaines présidentielles
©POOL New / Reuters

Revenant

Bernard Tapie confirme son retour dans l’arène politique et dévoile sa stratégie pour la présidentielle de 2017 pour capter le vote FN. Dans une interview donnée au Financial Times, il prétend pouvoir s'approcher de la barre des 5-6% aux présidentielles de 2017, et ainsi jouer un rôle d'arbitre dans cette élection.

Denis  Tillinac

Denis Tillinac

Denis Tillinac est écrivain, éditeur  et journaliste.

Il a dirigé la maison d'édition La Table Ronde de 1992 à 2007. Il est membre de l'Institut Thomas-More. Il fait partie, aux côtés de Claude Michelet, Michel Peyramaure et tant d'autres, de ce qu'il est convenu d'appeler l'École de Brive. Il a publié en 2011 Dictionnaire amoureux du catholicisme.

 

Voir la bio »
Valérie Lecasble

Valérie Lecasble

Valérie Lescable est vice-présidente de TBWA Corporate. Elle a été une des conseillères en communication de François Hollande pendant sa campagne. Elle était auparavant journaliste.

Valérie Lecasble est également l’auteur de trois ouvrages : « Le Roman de Canal+ », Grasset, 2001 ; « Forages en eau profonde, les secrets de l’affaire Elf », Grasset, 1998. Prix du meilleur livre d’investigation Jacques Derogy - L’Express ; et « Le Flambeur, la vraie vie de Bernard Tapie », Grasset, 1994.

Voir la bio »

Atlantico : Quels sont les moyens dont dispose Bernard Tapie pour parvenir à ses fins, notamment en termes de soutien politique et de capacités de financement ? 

Valérie Lecasble Bernard Tapie nous joue un mauvais remake du milieu des années 1990 quand il avait rêvé être maire de Marseille. Après avoir dû démissionner de son poste de ministre du gouvernement Bérégovoy et fort de son titre de patron de l'OM, il avait voulu se faire élire maire de la deuxième ville de France avant de devoir renoncer, rattrapé par son passé judiciaire. Confronté aujourd'hui à de nouvelles difficultés, à la suite de la remise en cause de son arbitrage avec le Crédit Lyonnais, il sort du bois pour la prochaine élection présidentielle. C’est toujours la même tactique : faire pression sur le politique pour régler ses affaires personnelles. Et ensuite, pouvoir affirmer que c'est parce qu'on lui en veut pour son engagement politique, parce qu'il est une menace pour les autres candidats, qu'on le fait plonger pour ses affaires personnelles. Je doute vivement que cette fois-ci la mayonnaise prenne. La ficelle est trop grosse, la méthode trop éculée pour que les électeurs s'y fassent prendre. 5 à 6%, même pas en rêve ! Par ailleurs, maintenant que les signatures sont devenues publiques, je doute même qu'il obtienne le soutien des élus locaux pour se présenter. Et étant donné les enjeux de la prochaine élection présidentielle dont le critère d’efficacité est mis en avant pour juger de la pertinence d’une candidature qui serait capable de rassembler le plus grand nombre d’électeurs, cela me paraît compliqué. Avec le risque d’un vote FN au second tour, le premier tour sera tout de suite déterminé par un vote utile.

Denis Tilliniac : Bernard Tapie ne peut avoir de soutien politique qu’à droite parce qu’il est effectivement en mesure de prendre un certain nombre de voix au Front National. Plus le FN engrange des voix et mieux les socialistes se portent, donc prendre des voix au parti de Marine Le Pen ne peut qu’avantager le ou les candidats à droite qui ont donc tout intérêt à soutenir Tapie. Quant aux moyens financiers, je répondrais en citant De Gaulle qui disait "lorsqu’il y a une volonté, il y a un chemin !", autrement dit l’intendance suivra et elle suivra toujours. Tapie présente une candidature intéressante pour la droite puisque par sa gouaille, son style direct et son discours sans langue de bois, c’est un homme qui parle aux électeurs du FN et qui est pour le moment le seul à pouvoir capter une partie du vote frontiste. Il faut rappeler que Tapie a été le seul à avoir accepté un débat avec Jean-Marie Le Pen à une époque où la diabolisation fonctionnait à plein pot et où la qualité d’orateur du président du FN donnaient des sueurs froides aux politiques de droite comme de gauche. Rappelons-nous du refus de Chirac de débattre entre les deux tours des présidentielles de 2002 marqué par l’élimination de la gauche au premier tour par le score historique du FN. Tapie, lui, est allé au charbon et il s’en est plutôt bien tiré. Il a fait preuve de courage et cet exemple est resté dans les mémoires. Madame Le Pen va donc devoir se méfier de lui.

Les affaires dans lesquelles s'est retrouvé impliqué Bernard Tapie, dont celle de l’arbitrage frauduleux dans l’affaire de la revente d’Adidas au Crédit Lyonnais pour ne citer que la plus récente, ne l'ont-elles pas définitivement mis hors jeu politiquement ?

Valérie Lecasble : Bien sûr ! Franchement, je ne vois vraiment pas comment il pourrait être crédible. Même quand il rappelle qu'il est un enfant des banlieues né au Bourget et qu'en tant que tel il pourrait s'opposer au Front National, on ne le croit plus. Les banlieues d'aujourd'hui ne sont plus celles de son enfance. L'enjeu est devenu beaucoup plus complexe. Dans les années 90, son image d’homme d’affaires qui réussit était en phase avec son époque. C’était le temps de la déréglementation des marchés financiers et le thème de la réussite sociale avait un impact électoral. Mais aujourd’hui, avec le taux de chômage galopant, la crise économique, la précarité, son image écornée par les affaires et la suppression des emplois suite aux restructurations ne peut plus passer. Sa figure de self-made man est trop contestée. Bernard Tapie n’est pas un entrepreneur qui peut justifier d’une formidable réussite comme Bernard Arnault ou Vincent Bolloré.

Denis Tilliniac : Non, je ne crois pas. L’opinion publique est tellement convaincue que tous les politiques, de quelque bord que ce soit, entretiennent un rapport pas très net avec l’argent, qu’elle n’en tiendra pas rigueur pour ce qui est de Bernard Tapie. Et d’ailleurs, sa franchise et son culot peuvent favoriser une certaine indulgence à son égard. Et l’impression qu’il est victime d’un acharnement judiciaire peut jouer en sa faveur. Sarkozy avait repris des points lorsque les magistrats le harcelaient un peu trop. Surtout que d’après les dernière études d’opinion, la défiance des Française par rapport aux politiques et aux magistrats est de plus en plus grande. Bernard Tapie peut donc prendre le peuple à témoin contre les médias et l’institution judiciaire comme Silvio Berlusconi l’a fait en Italie pendant 20 ans. 

À l'inverse, Bernard Tapie est une figure médiatique appréciée du grand public. Sans faire de comparaison entre les deux hommes, a-t-il le potentiel pour apparaître comme un candidat hors-système, pouvant jouer sur un effet de sidération médiatique à la Donald Trump aux Etats-Unis ?

Valérie Lecasble : La comparaison avec l’élection américaine ne tient pas vraiment. Les sources de financement ne sont pas les mêmes. Aux Etats-Unis, les candidats comptent sur des riches donateurs pour faire compagne. En France, ils sont investis par les partis politiques. Or, quel parti politique accueillerait Bernard Tapie pour rentrer en campagne ? De plus, l’effet de sidération ne jouerait plus aujourd'hui comme il a fonctionné il y a 20 ans. La France n'est pas vraiment l'Amérique et surtout, je ne crois pas que Bernard Tapie fasse encore rêver. Il était symbolique d'une époque où l'argent était facile quand la France s'est ouverte aux monde et aux marchés financiers. Personne n'a oublié les restructurations et les suppressions d'emplois lors de la reprise d'entreprises par Bernard Tapie. En période de chômage de masse comme aujourd'hui, ce ne serait pas une très belle publicité. S’il y avait un sondage pour savoir si les électeurs se sentent représentés par Bernard Tapie, les réponses ne seraient pas franchement positives.

Denis Tilliniac : Comparaison ne vaut pas raison. Donal Trump est un ultraconservateur qui appuie sa candidature sur un registre idéologique bien précis. Ce qui n’est pas le cas de Bernard Tapie. En revanche, il bénéficie assurément d’une capacité médiatique hors-normes qui peut le faire franchir la barre des 5% voir de monter jusqu’à 10%. Et puis, comme il est hors-système comme l’a été longtemps Jean-Marie Le Pen, il n’a pas de barrière. Il est en capacité de perturber le jeu politique. C’est un homme talentueux qui a démontré une capacité de rebondissement formidable. Tapie est un personnage romanesque haut en couleur. Son parcours atypique a de quoi fasciner bien plus que le parcours tout tracé et bien morne de nos énarques. Voilà quand même un homme qui a commencé par acheter un certain nombre d’entreprises sans avoir un radis avant de devenir champion d’Europe avec l’Olympique de Marseille, d’être à deux doigts de devenir maire de Marseille, de conduire une liste de gauche avec Elisabeth Guigou en Paca, de se retrouver ministre de la ville sous Mitterand, de faire un tour en prison et puis de finir, avec panache, sur les planches de théâtre. Chapeau ! 

Bernard Tapie a été ministre de François Mitterrand en 1992 puis tête de liste PRG aux européennes de 1994. Il a ensuite soutenu Christiane Taubira aux élections présidentielles de 2002 puis Nicolas Sarkozy à celles de 2007 et 2012. Cette fois, se positionnerait-il plutôt à gauche ou à droite ?

Valérie Lecasble : C'est l'une des difficultés. D'après ses déclarations, il ne s'agirait d'être ni de gauche ni de droite mais de bousculer le jeu entre les deux candidats Hollande ou Sarkozy. Le mot bousculer est révélateur. Il s’agit seulement d’un pouvoir de nuisance sans rien derrière. Est-ce une façon de tenter de se rendre utile ? Ou de monnayer ses voix ? Au plus offrant ? Au vainqueur ?

Denis Tilliniac : Monsieur Jouyet, Secrétaire général de l’Elysée, a été ministre sous Hollande. Monsieur Kouchner, après avoir été communiste dans ses jeunes années, et ministre socialiste, a été ministre des Affaires étrangère sous Sarkozy. 80% des Français souhaiteraient qu'Emmanuel Macron soit ministre de l’économie dans un gouvernement libéral centre-droit. Tout ceci montre bien que le clivage gauche-droite est brouillé. L’opinion s’intéresse plus à la personnalité des hommes politiques et moins à leurs positions partisanes qui est considérée comme une nomenclature qui a perdu sa signification. Tapie est donc vu comme un électron libre qui est allé un peu avec Taubira, un peu avec Sarkozy. Je ne pense pas que cela soit handicapant. Aujourd’hui, de toute façon, les hommes politiques sont tous considérés comme des girouettes. Les politiques à droite passent leur temps à se placer les uns par rapport aux autres. Dernièrement, Fillon et Juppé ont laissé entendre qu’il y avait un pacte entre Sarkozy et Hollande sur la déchéance de nationalité. Et puis l’élection présidentielle est un moment particulier de la vie politique. Le candidat qui remportera l’adhésion populaire ne le fera pas grâce à son programme économique, mais sera celui qui parviendra à répondre à un fantasme du moment, et aujourd’hui l’heure est à l’allergie à un système au bout du rouleau, comme le montre le désir de renouvellement exprimé par les citoyens. Et Tapie est en mesure de cristalliser ce désir.

Finalement, dans quelle mesure Bernard Tapie pourrait-il représenter une véritable menace pour les protagonistes du prochain scrutin présidentiel ? 

Valérie Lecasble : Encore une fois, on n’est plus dans le même contexte politique qu’en 1995 où Bernard Tapie était pressenti comme candidat aux municipales à Marseille avant d’avoir renoncé à briguer la mairie à cause des affaires. Il était dans une dynamique, il faisait partie d’un parti politique, il était régulièrement sur les plateaux télé. Mais aujourd’hui, qui parle encore aujourd’hui de Bernard Tapie ? Il n’est plus dans l’air du temps. Certes, avec 5% il pourrait disqualifier un candidat mais étant donné qu’il est ni à gauche ni à droite, on ne sait même pas à quel candidat pourrait-il prendre des voix. Cette incohérence dans la ligne politique très irréaliste conduit à penser que Bernard Tapie est loin de faire peser une menace. D'ailleurs, le fait qu'il ait fait ses déclarations au Financial Times, lui qui connaît toute la presse française comme sa poche, plutôt qu'à un journal français pourrait laisser penser qu'il n'y croit même pas lui-même. 

Denis Tilliniac : Bernard Tapie ne sera jamais président de la République mais peut chambouler le système. Sa candidature va satisfaire ce désir de renverser la table et de rebattre les cartes. En prenant des voix au FN, il peut semer la zizanie au sein du camp de Marine Le Pen qui pourrait mettre un terme à sa spirale ascensionnelle. Mais la limite de son ascension, c’est le vote des retraités qui vont se replier au second tour sur des candidats du système. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !