Et (seul) le quart Sud-Ouest de la France résista à la vague bleue : l’histoire d’une géographie électorale <!-- --> | Atlantico.fr
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La ville de Toulouse reste rose.
La ville de Toulouse reste rose.
©Flickr / musical photo man

Les irréductibles

Un simple coup d’œil sur la carte des résultats aux départementales le montre : la droite domine l'ensemble du territoire, sauf le quart sud-ouest où presque tous les départements restent "rose". Malgré la débâcle, la gauche se maintient dans ce qui reste au niveau local son dernier fief, qui résiste même à la crise profonde du Parti socialiste au pouvoir.

Laurent  Chalard

Laurent Chalard

Laurent Chalard est géographe-consultant. Membre du think tank European Centre for International Affairs.

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Atlantico : A l'exception du Tarn-et-Garonne, et des Pyrénées-Atlantique, tous les départements regroupés autour des pôles d'attractivité que sont Bordeaux et Toulouse ont vu les candidats de gauche s'imposer. Leur succès s'est d'ailleurs fait sans conquête, cette région étant un fief de la gauche française. A quand remonte la domination de la gauche "modérée" sur la région ? Comment s'y est-elle implantée ?

Laurent Chalard : L’implantation de la gauche "modérée" dans le sud-ouest de la France est ancienne, mais concerne historiquement plutôt la région Midi-Pyrénées que l’Aquitaine, puisque lorsque l’on regarde la géographie électorale de la France dans les années 1930, la région Midi-Pyrénées émergeait déjà comme un territoire de force de la gauche modérée. L’attachement au républicanisme a été beaucoup plus ancien et solide que dans l’ouest de la France car la région a été largement déchristianisée au cours du XIXe siècle, l’instituteur prenant très tôt le dessus sur le curé dans les campagnes. Cependant, étant donné la faible industrialisation, le parti communiste n’a jamais réellement pris au cours du XXe siècle, la région gardant un attachement à la gauche modérée, en l’occurrence la SFIO et les radicaux de gauche. Elle présente donc une tradition politique moins extrémiste que le sud-est.

Les référents culturels et le rapport à la politique en général sont-ils les mêmes dans le Sud-Ouest que dans le reste de la France ? Comment expliquent-ils l'impact sur le vote ? 

Effectivement, le Sud-Ouest de la France présente certaines singularités sur le plan culturel qui peuvent éventuellement expliquer le vote modéré et plutôt de gauche que l’on constate aujourd’hui.

Sur le plan culturel, comme nous l’avons déjà précisé précédemment, le facteur religieux rentre peu en compte car ce sont des territoires déchristianisés depuis longtemps, mais surtout le plus important est l’absence d’une forte culture ouvrière héritée. En effet, le Sud-Ouest est traditionnellement une région de fonctionnaires et de gens plus diplômés que la moyenne nationale, catégories beaucoup moins tentées par le vote extrémiste, mais aussi plus susceptibles de voter à gauche, cette dernière étant considérée comme le garant de la défense de l’emploi public.

Sur le plan du rapport à la politique, le Sud-Ouest de la France, à l’exception des deux grandes métropoles de Bordeaux et de Toulouse, se caractérise par un taux d’abstention sensiblement moindre qu’ailleurs, expliquant un intérêt plus fort pour la politique, mais aussi aujourd’hui défavorable au vote extrémiste. En effet, ce sont dans les territoires de forces de l’extrême droite de tradition ouvrière du Nord-Est que les taux d’abstention sont les plus élevés. Il faut aussi garder en tête que le Sud-Ouest est en moyenne plus âgée que le reste du pays, or les retraités votent plus que les autres classes d’âge et moins souvent pour les partis extrémistes.

Avec des taux de chômage de 9,8% en Aquitaine et de 10,3% en Midi-Pyrénées, les régions sont dans la moyenne nationale, ni plus, ni moins. Y a-t-il pourtant des raisons économiques qui peuvent impacter les résultats du vote ? Lesquelles ?

Comparer les taux de chômage à l’échelle des régions n’a aucun sens car les populations n’ayant pas d’emploi migrent des régions qui détruisent des emplois vers celles qui en créent, ce qui a tendance à gonfler artificiellement le chômage dans les régions dynamiques. Or, l’Aquitaine et le Midi-Pyrénées sont depuis le début des années 2000, deux des régions les plus créatrices d’emplois en France, en particulier grâce au développement de l’industrie aéronautique. Rappelons qu’alors que l’ensemble de la France est touchée par la désindustrialisation, par contre, le Sud-Ouest connaît des créations nettes d’emploi dans l’industrie. Cette meilleure situation de l’emploi local peut expliquer le moindre vote d’extrême droite, le vote contestataire se justifiant moins que dans le Nord-Est par exemple.

Les régions de Bordeaux et de Toulouse sont attractives démographiquement. Que sait-on de ceux qui s'installent dans la région ? Ont-ils un impact sur le paysage électoral ?

Bordeaux et Toulouse sont avec Montpellier les métropoles les plus attractives de notre pays, c’est-à-dire que leur croissance démographique est autant le produit d’un solde migratoire positif que d’un solde naturel positif, contrairement à la plupart des grandes métropoles, dont l’Ile de France, qui affichent des soldes migratoires négatifs.

Parmi les nouveaux venus dans ces deux métropoles sont largement surreprésentés les cadres et les professions intermédiaires, donc des populations plus diplômées que la moyenne, avec un nombre non négligeable d’anciens résidents franciliens. En conséquence, leur profil électoral ne prête pas au vote extrémiste, qui est rappelons le dominant chez les ouvriers et les employés et moindre chez les plus diplômés. En outre, la présence de nombreux chercheurs du secteur privé comme public parmi les nouveaux arrivants peut renforcer le vote à gauche.

Y a-t-il des caractéristiques spécifiques à l'aménagement de la région, de l'habitat ou de l'organisation sociale qui peuvent expliquer cette permanence de la gauche ? 

Il n’existe pas vraiment de caractéristiques spécifiques pouvant expliquer la permanence de la gauche. Au contraire, le modèle de développement des grandes métropoles, qui repose sur un étalement pavillonnaire considérable, devrait en théorie plutôt favoriser la droite, si on part du principe que la propriété d’un pavillon conduit plus fortement à voter à droite qu’à gauche. Le vote de gauche est beaucoup plus un produit de l’héritage culturel local qu’une conséquence d’un modèle spécifique d’aménagement régional, d’autant que le développement économique y apparaît assez inégal selon les départements.

La structure familiale dans cette région joue-t-elle également un rôle ? A-t-elle des spécificités qui la rapproche d'un "vote de gauche" ?

Si les structures familiales, telle que la "famille souche" chère à Emmanuel Todd, ont pu par le passé expliquer certaines caractéristiques sociologiques des régions du Sud-Ouest, et plus particulièrement des Pyrénées, cela n’est plus le cas aujourd’hui. Les différences de structures familiales avec le reste du territoire sont résiduelles et ne peuvent être considérées comme un facteur explicatif du vote de gauche.

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