Et Poutine disparut à la façon des dictateurs<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président russe Vladimir Poutine.
Le président russe Vladimir Poutine.
©Reuters

Fuite calculée

Depuis une semaine, Vladimir Poutine n’est plus apparu officiellement et son agenda politique a été allégé. Cette opacité fait naître les rumeurs les plus folles...

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Comment expliquer la disparition de Vladimir Poutine ? Un journal suisse a même affirmé qu'il s'était absenté pour assister à la naissance de son enfant...

Cyrille Bret : Un porte-parole officiel a une mission et une seule protéger l’image de la personne pour laquelle il parle. Il n’est ni un journaliste tenu de communiquer des informations fiables et vérifiées au public, ni un haut fonctionnaire chargé de préserver les intérêts de l’Etat. Le service de presse de la présidence russe, comme tous les services de presse présidentiels au monde, calibrent les messages, les explications et les justifications selon un critère simple : qu’est-ce qui portera le moins de tort au président ? En l’occurrence, invoquer un "agenda très chargé" cumule deux avantages : d’une part, c’est vrai car tous les dirigeants de la planète ont effectivement des emplois du temps pour le moins dense, et, d’autre part, c’est vague de sorte que ce retrait médiatique est interprété sans jamais mettre en difficulté le président russe.

Si on prend un peu de recul sur le sort réservé à cette "absence", on peut remarquer que l’absence d’exposition médiatique du président russe depuis sa rencontre avec le Premier ministre italien, Matteo Renzi, le 5 mars 2015 contraste sensiblement avec l’omniprésence de Vladimir Poutine dans les médias nationaux et dans les médias internationaux depuis plus d’une année. Ses conférences de presse, ses interviews dans la presse et sur les plateaux de télévisions, en Occident et en Russie, ont rythmé la vie publique de la Russie et du continent depuis des mois. La question est moins d’expliquer son retrait passager que son omniprésence. Pourquoi le président russe attire-t-il autant l’attention, par son silence et par ses discours, par ses absences et par ses manifestations ?

Vladimir Poutine ne paraît absent que parce qu’il a été omniprésent depuis des mois.

Quel intérêt pour le gouvernement russe de ne pas communiquer sur cette absence et de laisser naître les rumeurs les plus extravagantes ? Est-ce que le contexte politique et économique actuel -assassinat de l’opposant Boris Nemtsov, conflit qui s’enlise en Ukraine, chute du Rouble- permet de comprendre une stratégie de l’absence médiatique ?

Florent Parmentier : Effectivement, l’absence prolongée d’un dirigeant, à l’heure de l’immédiateté des réseaux sociaux, a de quoi faire naître un certain nombre de rumeurs. Celles concernant l’état de santé du dirigeant sont probablement celles qui se rendent le plus vite et le plus largement. L’époque dans laquelle on demandait à un chef d’Etat de se plier à la règle de la rareté est probablement aujourd’hui dépassée, dans la mesure où la nature médiatique a horreur du vide. Cependant, la stratégie de l’absence médiatique montre également un Vladimir Poutine qui cherche à être maître du temps, il souhaite montrer qu’il peut imprimer son propre tempo au conflit en Ukraine comme aux chaînes d’information.

Si c’est une stratégie délibérée, c’est certainement plus pour affirmer sa maîtrise du tempo que pour masquer des difficultés politiques particulières. Certes, l’assassinat de Boris Nemtsov ne fait que renforcer les difficultés de communication qu’il rencontre sur la scène internationale, mais ce n’est pas un problème politique interne insurmontable. Boris Nemtsov avait beau être l’un des leaders de l’opposition, il n’était pas aux portes du pouvoir. Aussi, le conflit en Ukraine semble avoir trouvé un point d’achoppement provisoire autour des accords de Minsk 2, ce n’est donc pas là-dessus qu’il est mis en difficulté. C’est plus vraisemblablement les difficultés économiques qui risquent, à la longue, de peser sur une opinion publique qui pourrait se lasser de cette situation.

En un mot, si Dimitri Medvedev était présent sur les réseaux sociaux pour donner une image plus moderne de la Russie, cette page semble tournée pour le moment dans la communication de Vladimir Poutine.

Cette absence opaque rappelle celle de son prédécesseur, Boris Eltsine (pour des raisons de santé) mais dont les porte-paroles excusaient les disparition sous d'autres prétextes. Cette création de la figure d’un homme fort, qui peut se permettre de ne pas rendre compte de ses actes devant les citoyens est-elle celle d'un dictateur ? Peut -on parler de "démocrature" comme on a ou l'entendre?

Cyrille Bret : Votre question est double et doit être traitée comme telle. D’une part, en quoi la comparaison entre l’épisode d’aujourd’hui et la période eltsinienne est-elle pertinente ? D’autre part, et c’est une question fondamentale, quel est le rapport des régimes forts, autoritaires ou dictatoriaux avec l’exposition médiatique ?

La comparaison avec la période eltsinienne est évidemment tentante : Boris Elstine – et avant lui plusieurs dirigeants de l’URSS, Staline et Brejnev – cessaient parfois d’apparaître en public pendant des périodes relativement longues. En Russie, le pouvoir se cache autant qu’il se montre et l’absence d’un dirigeant, sur le mausolée de Lénine, à la commémoration de telle ou telle bataille, ou encore après une séquence dense, revêt parfois des significations politiques particulières. Toutefois, sou Eltsine, le mystère était peu épais : les difficultés de santé du président russe apparaissaient à tous. Absences et maladie soulignaient la vacance du pouvoir.

Concernant Vladimir Poutine, son absence temporaire a une portée différente : depuis une quinzaine d’année, le président russe intervient partout dans l’espace médiatique russe. Un retrait de quelques jours est immédiatement remarqué. Son absence souligne non la vacance du pouvoir comme sous Eltsine mais au contraire sa plénitude.

L’interprétation que vous donnez de cette absence – mépris de l’opinion, indifférence aux aspirations démocratiques – joue sans doute dans la perception que nous avons de l’événement. Vladimir Poutine est devenu en Occident l’incarnation du cynisme politique de sorte que son absence apparaît comme un signe supplémentaire d’autoritarisme.

Je crois qu’il convient de modérer cette interprétation : le président russe, comme les dirigeants des démocraties occidentales, est expert en communication politique. Il sait qu’il convient de ménager des temps fort (la conférence de presse du 18 décembre 2014 par exemple) et d’organiser des temps faibles (un retrait, une prise de parole plus rare). Cette alternance est indispensable pour que les messages présidentiels passent mieux. Après tout, à combien de président français n’a-t-on pas conseillé de se "re-présidentialiser" en organisant la rareté de leurs prises de paroles ? Une sous exposition médiatique n’a donc pas à mon sens un caractère intrinsèquement dictatorial.

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