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Et pour sauver le grand corps malade de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye inventa « le choc d’attractivité »
©LUDOVIC MARIN / AFP

C’est chaud !

A priori il ne s’agit pas d’étreintes fougueuses. Quoi que…

Isabelle Larmat

Isabelle Larmat est professeur de lettres modernes. 

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Pap Ndiaye, notre tout frais ministre de L’Éducation nationale était la semaine dernière l’invité de la matinale de France Inter. Pour ne pas déroger à la règle établie, notre éveillé a commencé par annoncer les sempiternelles discussions « à venir » avec les organisations syndicales afin de « revaloriser le métier d’enseignant. » 

Comme on connaît l’antienne et qu’on on a de surcroît parcouru la lettre inquiétante adressée par M. Pap Ndiaye au grand corps malade que constitue la gent enseignante (Dans celle-ci, il était assez peu question de l’autorité du maître restaurée, peanuts du savoir à transmettre, mais beaucoup du soin à apporter au « bien-être » de l’élève.), on s’apprêtait, blasé, à passer notre chemin. 

C’est alors que notre normalien, agrégé d’histoire et docteur en histoire, prêt à tout pour convaincre les sceptiques de son plein engagement pour l’école eut raison momentanément de notre lassitude : il n’avait pas hésité à déroger à la langue de ses pairs, usant d’une expression qu’on n’aurait même pas osé imaginer dans la bouche d’un étudiant en première année d’une école de commerce de troisième zone.

Ne mâchant pas des mots, au demeurant indigestes, il avait affirmé, téméraire, se proposer de créer ni plus ni moins qu’un « choc d’attractivité » pour le métier d’enseignant. Ben mes cadets ! On en est resté comme deux ronds de flanc ! Devait-on s’attendre au « double effet Kiss Cool » ou, à « l’effet magique d’Impulse » ? 

Tout de suite, mon imagination s’est emballée : j’ai fait un rêve. C’était la fin de la Grande Dépression dans l’Éducation nationale. Enfin les enseignants réconciliés avec un métier déclassant et déclassé allaient pouvoir se sentir utiles et œuvrer à la préservation d’une espèce en voie d’extinction depuis quelques décennies : « le surmulot » * de bibliothèque.

Par contre, du côté des psychiatres et chez les pharmaciens, on allait beaucoup moins faire les marioles. La Verrière (maison de repos des profs au bout du rouleau), allait être transformée en un musée dédié à la mémoire des « heures les plus sombres » de l’Éducation nationale ? Des générations futures de professeurs ayant succombé au « choc d’attractivité », réjouis d’être sortis des tranchées, iraient bientôt visiter ce lieu qui bénéficia pendant si longtemps d’une triste réputation ? Les Anciens se souviendraient en tremblant du temps où on évoquait cet hôpital psychiatrique devant les machines à café de tous les établissements de France, sur le ton d’une jaune plaisanterie, comme pour conjurer le sort.

La MGEN (Mutuelle générale de l’Éducation nationale) se félicitait de pouvoir enfin réaliser de substantielles économies. Elle allait cesser de devoir compléter, conséquemment le demi-traitement de légions de professeurs déprimés, en congé de longue maladie ou de longue durée. 

Fini le casse-tête pour recaser des enseignants devenus phobique de l’école, qu’on se devait d’occuper à d’obscures tâches administratives pour justifier le versement de leur salaire. Enthousiaste à l’idée de lendemains pédagogiques chantants j’ai donc fait l’effort d’écouter jusqu’au bout la parole ministérielle.

Las ! J’ai vite compris qu’espérer ce « choc d’attractivité » revenait à attendre Godot. Rien dans le discours ministériel n’a laissé augurer qu’on ferait la seule chose à faire : remettre le professeur au centre, qu’il n’aurait jamais dû quitter, de la classe. L’élève, devenu définitivement demeuré, demeurera « acteur de son savoir ». Conforté par ses parents, et soutenu par une administration qui a abandonné ses professeurs, il continuera à avoir à peu près tous les droits, sans l’ombre d’un devoir et surtout pas celui de s’instruire.

Revaloriser les salaires (Mais de combien, et quand ?), soit.

À notre avis, cependant, le mal vient de plus loin et le job dating, comme mode de recrutement de contractuels-animateurs de classes a de beaux jours devant lui pour pallier les absences des professeurs. 

Personne n’ose le dire et, pourtant, ça crève les yeux : si les enseignants multiplient les arrêts maladies, ça n’est pas parce qu’ils sont de grosses feignasses. C’est simplement parce qu’étant littéralement au front tous les jours, l’exfiltration ponctuelle ou malheureusement pérenne est pour eux une question de survie. 

C’est dans une ambiance sonore semblable, dans le meilleur des cas, à celle qui règne à Matignon quand Élisabeth Borne fait un discours de politique générale que les professeurs officient tous les jours. Il est Impossible de juguler les nuisances sonores occasionnées par nos apprenants car il n’existe aucun arsenal de réponses autorisées à opposer aux « incivilités » incessantes de nos jeunes. Il convient, au contraire, d’y répondre avec la « bienveillance » la plus absolue. Dans le cas contraire, parents et administration vous tombent immanquablement sur une échine courbée un peu plus chaque jour.

Nuits et week-end sont consacrés au déchiffrage de copies dépourvues de syntaxe et orthographe, on est tenu d’y dissocier le fond de la forme. Il ne s’agirait pas de passer à côté de pépites intellectuelles dissimulées sous une expression calamiteuse, n’en déplaise à ce vieux con de Boileau. Du reste, quiconque note justement, ne rend plus ses copies sans claquer des dents tant leur retour suscite l’indignation de nombreux génies s’estimant injustement méconnus. Leur dépit face à une note calamiteuse est souvent d’une extrême violence qui se contente de moins en moins de demeurer verbale.

Quand on n’est pas dans l’arène ou qu’on ne corrige pas nuitamment des écrits phonétiques et dépourvus de ponctuation, il faut préparer des cours qu’on doit s’échiner à rendre « attractifs » eux aussi, voire ludique (sans le dire : il ne faut effrayer personne avec un jargon incompréhensible, nos bacheliers viennent de nous le rappeler récemment) et si possible dépourvus de contenu.

Pour enseigner faut donc pouvoir résister à l’humiliation, au bruit, et de plus en plus à la peur. Alors, non, personne, dans ces conditions ne se précipite plus ,

et, qu’on arrête de nous rebattre les oreilles avec « la vocation ». Personne, doté d’une estime de soi raisonnable ne peut avoir vocation à servir de punching ball ou de paillasson.

Tant que la vie de l’enseignant restera, comme le dit Shakespeare dans « Macbeth » : « une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et qui s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on entend plus (…) une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien », le recours à des expressions de piètre communicant dans la bouche d’un ministre de l’Éducation nationale, dont on rappelle qu’il est quand même agrégé, ne serviront qu’à se gausser là où il s’imagine vendre du rêve.

 Nous, on attend la révolution copernicienne qui remettra le professeur au centre de la classe.

*Le Surmulot est le nom que les écolos de Paris ont décidé de donner aux rats pour qu’on cesse de discriminer ces rongeurs.

Isabelle Larmat, professeur de Lettres modernes. 

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