Et pendant ce temps-là, les céréales russes circulent toujours en Europe<!-- --> | Atlantico.fr
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Une moissonneuse-batteuse récolte du blé près de Kramatorsk, dans la région de Donetsk, le 4 août 2023
Une moissonneuse-batteuse récolte du blé près de Kramatorsk, dans la région de Donetsk, le 4 août 2023
©ANATOLII STEPANOV / AFP

Sanctions économiques

Le saviez-vous ? Les produits agroalimentaires ne sont (toujours) pas inclus dans les sanctions que l’Europe a adoptées face à la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore se discute le prix des céréales exportées par Moscou vers Bruxelles.

Certes la quantité est relativement faible, au regard des besoins européens en la matière. 4,2 millions de tonnes en comparaison aux 300 millions fournies par l’ensemble des pays européens, cela ne fait que 1,4 % des céréales sur le marché (chiffres 2023). Pour autant, il s’agit là d’une réalité : malgré son opposition claire et nette à l’invasion de l’Ukraine, malgré de nombreuses mesures de rétorsion prises à l’encontre du régime du Kremlin, l’Europe continue de commercer avec la Russie, au moins sur les produits agroalimentaires.

Au nom du soutien à la sécurité alimentaire mondiale

Il s’agit même (jusqu’à présent en tout cas) d’une règle d’or : en continuant à échanger des denrées agroalimentaires avec la Russie, l’Europe prétend soutenir la sécurité alimentaire mondiale. En d’autres termes, en aucun cas le conflit russo-ukrainien ne doit la perturber, même si les trains de sanctions économiques de Bruxelles à l’encontre de Moscou se multiplient par ailleurs. Des céréales russes et (à un degré moindre) biélorusses rentrent ainsi sur le marché de l’Europe.

Précisément, on parle, pour 2023, de 4,2 millions de tonnes, d'une valeur de 1,3 milliard d’euros, de céréales, d’oléagineux et de produits dérivés russes arrivés en Europe. Pour la Biélorussie, il s’est agi de 610 000 tonnes soit 246 millions d’euros. A mettre en parallèle avec l’ensemble des importations de l’Europe en 2023, à savoir 37,2 millions de tonnes de céréales et 39,1 millions de tonnes de produits oléagineux (chiffres fournis par Olof Gill, porte-parole de l’Union européenne pour le commerce).

Commerce, mais aussi transit

Autre aspect, d’autres céréales de même provenance transitent par l’Europe avant d’être expédiées sous d’autres cieux, sur le marché mondial (aucun chiffre officiel n’est donné pour ces dernières).

Connue de tous, cette politique irrite certains États-membres. Cinq d’entre eux (Pologne, Tchéquie, les trois pays baltes) ont vu leurs ministres de l’Agriculture signer une lettre commune demandant la limitation des importations de céréales russes. Argument essentiel : le commerce participe à aider les belligérants à s’armer contre l’Ukraine, ils considèrent donc comme une « obligation morale » (sic) la remise en cause du dispositif actuel.

La Commission européenne a ainsi transmis une proposition au Conseil de l’Europe (qui doit se positionner prochainement dessus) pour taxer les entrées de céréales russes et biélorusses si fortement qu’il n’y ait plus d’intérêt à vouloir conserver ce marché. Évidemment, les représentants gouvernementaux (Chefs d’États ou ministres concernés) sont libres d’amender le texte soumis par l’administration bruxelloise.

Excédents russes ? Des céréales volées à l’Ukraine !

Déjà avant février 2022, les deux puissances céréalières que sont l’Ukraine et la Russie s’opposaient sur les marchés à l’export. La guerre a, dans un premier temps, donné une forme de prédominance à la Russie, profitant du fait que l’Ukraine ne pouvait plus, ou presque plus, exporter. Puis, des couloirs céréaliers ont été établis en faveur de Kyiv, maritimes depuis Odessa, mais aussi à travers l’Europe. Dès lors, la Russie a vu sa capacité à vendre sur les marchés mondiaux diminuer au fur et à mesure que l’Ukraine retrouvait la sienne...

Or les Russes présentent aujourd’hui des excédents, importants. Au plus haut niveau décisionnaire européen, on craint ainsi que ces surplus russes ne viennent abonder un marché européen déjà saturé (visiblement, comme les règles n’ont pas été changées, le plafond des entrées céréalières russes en Europe n’est pas atteint). Et parallèlement, les agriculteurs des pays européens sont toujours aussi remontés face à la baisse de leurs revenus.

D’où une « solution », consistant à taxer très fortement le grain moscovite, qui doit donc être discutée très prochainement.

Mais ce n’est pas tout. L’origine des excédents russes en question n’est pas neutre du tout : on est très loin de la bonne année avec de bons rendements, ou même d’une manœuvre hostile avec la mise sur le marché de stocks stratégiques : il s’agit de prises de guerre aux dépens de l’Ukraine ! (au passage, j’ai posé la question à mes interlocuteurs de la Commission européenne, aucune estimation chiffrée officielle de la hauteur de ce que représentent ces céréales ukrainiennes détournées n’est rendue publique à ce jour, on sait juste que c’est important)

En d’autres termes, et en attendant la décision du Conseil de l’Europe, aujourd’hui circulent en Europe : des céréales que l’on achète aux Russes (une partie venant de Russie, le complément de vols à l’Ukraine), et des céréales que l’on laisse passer en transit pour permettre aux Russes de commercer... Autant de sources de rentrées pour un pays dont on dénonce par ailleurs le bellicisme, et que l’on sanctionne sur d’autres sujets économiques. En sachant pertinemment que l’essentiel est réinvesti dans l’industrie de guerre. N’est-il pas temps de devenir cohérent ?

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