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Le président russe Vladimir Poutine et le dirigeant chinois Xi Jinping posent lors de leur rencontre à Pékin, le 4 février 2022.
Le président russe Vladimir Poutine et le dirigeant chinois Xi Jinping posent lors de leur rencontre à Pékin, le 4 février 2022.
©Alexei Druzhinin / Spoutnik / AFP

Confrontation

Le comité éditorial du journal chinois Guancha.cn a publié un article qui évoquait une véritable volonté de confrontation de la part de la Chine envers les Etats-Unis. Le conflit Ukrainien est-il la raison qui a acté ce changement de stratégie majeur du côté chinois ?

Emmanuel Lincot

Emmanuel Lincot

Professeur à l'Institut Catholique de Paris, sinologue, Emmanuel Lincot est Chercheur-associé à l'Iris. Son dernier ouvrage « Le Très Grand Jeu : l’Asie centrale face à Pékin » est publié aux éditions du Cerf.

 

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Atlantico : Il y a quelques jours, le comité éditorial de Guancha.cn, propriété de Eric X. Li a écrit un édito dans lequel on pouvait lire "Nous devons déterminer quelle est la contradiction principale et quelle est la contradiction secondaire. L'objectif principal de la lutte est l'hégémonie impérialiste américaine, tandis que le bagage historique entre la Chine et la Russie peut être mis de côté pour le moment." Les observateurs y ont noté la référence au texte de Mao "On confrontation". Cet éditorial revendique une véritable volonté de confrontation avec les Etats-Unis. Comment faut-il l’analyser ? A quel point est-ce important?

Emmanuel Lincot : L’éditorial se réfère à Mao et à son texte canonique « De la contradiction » qui est fortement imprégné de culture légiste. Il est assez révélateur des contradictions que traverse le régime. Son soutien à Poutine expose la Chine à des sanctions américaines. Dans le même temps, l’agression russe contre l’Ukraine rapproche un peu plus Moscou de Pékin. Xi Jinping condamne les sanctions occidentales et appelle Poutine à négocier. Il s’agit avant tout de gagner du temps. L’annexion de Taïwan par la force est-elle au bout de cette logique ? Une chose est certaine : le glacis russo-chinois pour le moment se consolide. Il consacre une nouvelle fracture du monde et la volonté pour ces régimes autoritaires de s’affirmer encore davantage face aux Occidentaux. Avec une révision toutefois pour Xi Jinping de son projet sur les Nouvelles Routes de la Soie revues désormais à la baisse et partant, la crainte de remettre en cause le principe auquel la diplomatie chinoise reste attaché: celui de la non-ingérence dans les affaires d’autrui. Fondamentalement, la Chine a tout intérêt à rester prudente. Autant la crise au Kazakhstan, survenue il y a un mois et demi à ses portes, lui importait directement. Autant celle-ci est géographiquement éloignée. Nul ne peut espérer comme l’exhorte Joe Biden que la Chine exerce la moindre pression sur Moscou. 

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Dans quelle mesure cette position peut-elle nous dire quelque chose de la position stratégique de la Chine au sens large ?

Emmanuel Lincot : La Chine est observatrice de tendances qui avec ce conflit s’accélèrent et valent réflexions pour elle-même. D’abord sur la qualité du renseignement américain qui depuis des mois alertait les Européens d’une attaque russe imminente. Une classe politique américaine par ailleurs divisée que Pékin aura à cœur de diviser davantage à son profit. La Chine constate en revanche une résilience européenne forte sur les sujets de défense et découvre un Chef d’Etat particulièrement proactif du nom d’Emmanuel Macron qui, par ailleurs, et sur le plan de la politique intérieure a su discréditer ses concurrents en matière de politique étrangère. Cette crise a donné des chances supplémentaires au candidat Macron qui restera en Occident et pour longtemps l’un des interlocuteurs privilégiés de la Chine; sa réélection ne faisant guère l’ombre d’un doute. La Chine constate par ailleurs la performance technologique de son partenaire russe dont elle s’est largement inspirée. Elle constate aussi le pouvoir de résistance des Ukrainiens qui vont développer et pour longtemps une guérilla qui sera dommageable au pouvoir russe.  Autant de leçons à prendre en cas de conflit contre Taïwan. 

Le conflit Ukrainien est-il la raison qui a acté ce changement de stratégie majeur du côté chinois ? Cela couvait-il depuis plus longtemps ? 

Emmanuel Lincot : Il n’y a guère à mes yeux de changement stratégique majeur venant de Pékin à l’égard de la Russie. La proximité idéologique entre Xi et Poutine est observable depuis des années. Logiques néo-impériales, postures anti-occidentales, eurasianisme autoritaire, pensées anti-modernes et complexe obsidional les animent. Pour autant, cette connivence reste précaire et suspendue à des trajectoires profondément divergentes en matière d’économie par exemple. Économie de rente pour la Russie, volonté de changer de paradigme économique pour la Chine, et axée sur une éco-durabilité induisent des choix de développement radicalement différents qui, à terme, obéreront chacune de leurs relations. Cette guerre en Ukraine va coûter par ailleurs très cher à la société russe. Pas sûr que la Chine veuille en supporter le coût. 

Quelles peuvent être les conséquences de cette nouvelle posture ?

Emmanuel Lincot : Ce n’est qu’une posture précisément que de croire à une relation de fer entre la Chine et la Russie. Donnons du temps au temps. Messieurs Poutine et Xi ne sont pas éternels.

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