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Et la majorité au sein du Parlement européen serait détenue par… ? Le sondage européen sur les différentes dynamiques électorales à l’oeuvre au sein de l’UE
©GERARD CERLES / BELGA / AFP

Exclusif

Au lendemain des élections européennes, l'hémicycle devrait être assez diversifié, selon notre sondage, avec trois blocs s'imposant : le PPE (droite), le bloc social démocrate, et l’ALDE dans lequel les macronistes pourraient siéger.

 Ifop

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L'Ifop est un institut de sondages d'opinion et d'études marketing.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet

Jérôme Fourquet est directeur du Département opinion publique à l’Ifop.

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L'enquête entière à retrouver sur ce lien

Atlantico : Au regard des intentions de vote actuelles, quelle est la projection actuelle de la future composition du Parlement européen ? En quoi l'orientation européenne pourrait-elle en être modifiée ?

Jérôme Fourquet : Nous avons travaillé sur la base de sondages qui ont été réalisés dans différentes pays, qui ont été complétées par d’autres enquêtes hors de ce dispositif d’étude, tout en sachant que les pays qui sont couverts par le périmètre de ce sondage fournissent une part très importante des députés qui seront amenés à siéger à Strasbourg.  Sur cette base là, ce que l’on constate, c’est que nous voyons un hémicycle assez diversifié sur le base des chiffres dont on dispose actuellement, avec trois blocs qui surnagent. D’une part le PPE (droite) avec 174 sièges , le bloc social démocrate avec 141 sièges, et puis l’ALDE dans lequel les macronistes pourraient siéger avec 101 sièges. Puis, l’Europe des nations et des libertés atteint 67 sièges qui domine un bloc souverainiste de droite qui pourrait atteindre au total une centaine de sièges, mais qui est aujourd’hui éclaté. A date, nous sommes donc loin d’un scénario de raz de marée populiste de droite. Le clivage droite gauche reste encore assez puissant mais quand même dans un contexte d’éclatement fort de la représentation politique.

Autre constat, alors que les marches pour le climat mobilisent dans les grandes métropoles européennes depuis plusieurs semaines, le groupe des verts ne serait pas significativement regonflé par ce mouvement, pour l’instant. Il y a donc des évolutions par rapport au précédent hémicycle mais nous ne sommes pas sur un véritable changement, les anciennes structures font encore de la résistance. Le souhait d’Emmanuel Macron de "disrupter", comme on le dit dans le nouveau monde, la scène politique européenne apparaît comme un voeu hors de portée à cette heure.

Christophe Bouillaud : Si l’on regarde la projection en sièges proposée par l’IFOP en cette fin du mois de mars 2019 pour l’ensemble de l’Union européenne (en supposant bien sûr que le Royaume-Uni ne participe pas à cette élection européenne), on retrouve les rapports de force habituels au Parlement européen : le groupe du Pati populaire européen (PPE) reste le premier groupe du Parlement européen, celui du Parti socialiste européen (PSE) le second et celui de l’Alliance des libéraux et démocrates pour l’Europe (ALDE) le troisième. Certes, très probablement, comme le montrent aussi d’autres simulations faites par ailleurs, le PPE et le PSE n’auront pas à deux la majorité, mais avec l’ALDE une majorité « centriste » à trois est garantie. La poussée des partis nationalistes, souverainistes, à droite, existe bel et bien, mais elle est contenue sous le seuil physiologique de perturbation des affaires parlementaires. La droite extrémisée (comme le Fidesz d’Orban ou le PiS polonais) et l’extrême-droite (comme la Ligue de Salvini ou le RN de Marine Le Pen) sont encore très loin de pouvoir constituer quelque majorité parlementaire que ce soit à eux seuls. Logiquement, on devrait donc voir être reconduit, comme aux précédentes élections, la même orientation « centriste » du Parlement.

Pour comprendre cette absence de changement significatif, il faut bien comprendre que le résultat global des élections européennes au suffrage universel est toujours plus stable que les résultats particuliers par pays. En effet, comme chaque pays de l’UE est gouverné par des partis d’orientation politiquement différente au moment de l’élection européenne, les votes-sanctions contre les gouvernements en place ne vont pas dans le même sens, et, au final, tout cela se compense plutôt. En plus, il ne faut pas oublier que chaque pays a le choix de son mode de scrutin, pourvu qu’il s’agisse d’une forme de proportionnelle, du coup, tous les mouvements électoraux sont transformés en sièges sans grande prime aux partis arrivés en tête. De plus l’Allemagne, qui élit le plus de députés européens, est sans seuil minimal de représentation, donc la représentation en sièges y est presque strictement proportionnelle. Tous ces éléments concourent donc à stabiliser l’ensemble des rapports de force  – ou à les figer si l’on rêve à un choix électoral au niveau européen à la française façon suffrage majoritaire à deux tours, ou façon « mid-terms » aux Etats-Unis.

Au niveau français, la représentation de la France au Parlement européen, si ce sondage se confirmait, ne lui garantit une présence forte que dans un seul des trois grands groupes parlementaires, qui gouverneront sans doute ensemble le Parlement après juin 2019. En effet, le Parti socialiste se trouve très proche du seuil de 5% qui lui assurera ou non des élus. Au pire – ou au mieux pour d’autres -,il pourrait donc ne pas avoir de socialistes français à siéger au sein du groupe PSE. Génération(s) va avoir du mal passer la barre des 5% et ne siégera pas nécessairement dans le groupe PSE. Les Républicains sont sûrs de leur côté d’avoir une représentation au sein du PPE, mais ils sont encore à un étiage plutôt bas de 10% des intentions. Quant à la République en Marche (LREM) et au Modem, ils sont de leur côté sûrs au vu des sondages disponibles de siéger en nombre, presque certainement au sein du groupe de l’ALDE. Tous les autres élus possibles (écologistes, insoumis, ou souverainistes/nationalistes), seront dans des groupes marginaux au Parlement européen. En particulier, il est probable selon les sondages que le Rassemblement national (RN) aura de nombreux élus, mais, comme pour son ancêtre direct, le Front national (FN), il sera à coup sûr confiné dans la minorité parlementaire. En effet, les résultats globaux de l’élection européenne ramèneront comme je l’ai dit les mêmes équilibres.

Quelles sont les dynamiques dans les autres pays européens ?

Christophe Bouillaud : Pour les pays européens sondés par l’IFOP (France, Espagne, Allemagne, Autriche, Pologne), ces élections européennes ne devraient pas amener un bouleversement du paysage partisan, mais plutôt des confirmations ou des stabilisations. En particulier, en Italie, la Ligue devrait s’imposer comme le grand vainqueur, et son partenaire de gouvernement le M5S comme le grand perdant, avec le Parti démocrate comme seconde force du pays. En Allemagne, les Verts ont peut-être là l’occasion de surclasser à gauche le SPD, et la dynamique de l’AfD n’est visiblement pas la seule à droite de l’échiquier politique. En Autriche, les grands équilibres devraient se confirmer, tout comme en Espagne. C’est peut-être en Pologne que les choses vont le plus évoluer, avec la tentative de mettre en danger la domination de Droit et Justice (PiS) sur le pays.

Il me semble au vu de ces premiers sondages d’intention de vote que, contrairement aux élections de 2014 où des surprises liées aux conséquences de la crise économique des années 2008-2012 pouvaient s’observer (comme la percée surprise de Podemos en Espagne ou la contre-performance du M5S en Italie), les élections de 2019 risquent plutôt d’enregistrer une certaine stagnation des rapports de force.

Quels sont les pays ou le clivage droite-gauche existe encore et quels sont ceux ou le clivage nationalistes contre progressistes s'est imposé ?

Jérôme Fourquet : La France pour commencer. Elle est en voie de mutation. Le nouveau clivage est en train de s’installer mais l’ancien n’a pas encore complètement disparu. Nous sommes dans un sorte d’état transitoire mais on peut penser que c’est le nouveau clivage qui est plutôt dominant dans le pays.  

Concernant l’Allemagne, cela reste plutôt comme avant mais si on se place à l’aune des résultats électoraux pour statuer sur l’état de fragmentation d’une société, cela fait plus de 40 ans, en Allemagne, que nous ne sommes plus sur un condominium SPD contre CDU. Nous avons les verts qui pèsent depuis longtemps, et, réalité nouvelle, introduite par la réunification, Die Linke pèse également. Et depuis la crise des migrants, nous avons l’AfD. Quand on regarde les scores en Allemagne, et si on fait une frise évolution entre un niveau avancé de l’instauration du nouveau clivage, imparfait et s’accompagnant d’une grande fragmentation, et l’ancien clivage gauche-droite. Sur cette frise, la France est déjà bien avancée, alors que l’Allemagne affiche un paysage qui serait celui de la présidentielle de 2012 en France. L’Allemagne a donc quitté la forme monolithique ou bipolaire, ils sont déjà dans un stade de fragmentation, certes plus avancé en France.  

Pour ce qui est de l’Autriche, nous sommes sur trois forces et cela fait déjà un moment qu’ils en sont là, avec notamment Jorg Haider qui avait fait monter en puissance le FPÖ.  Mais les vieux partis sont quand même encore bien enracinés, ce qui tient aussi à une culture politique et à une sociologie très particulière, avec des syndicats et une église encore très puissants, et toute une société organisée en silos autour de ces deux blocs. Ce système s’érode mais garde une consistance.

En Espagne, on voit encore deux grandes forces dominantes, mais en comparaison avec une situation ou le PP et le SPO écrasaient tout, on voit qu’il y a quand même du changement, avec Ciudadanos à 15%, Podemos à 16%, et le nouveau parti d’extrême droite, Vox, à 8%. Ici encore, on constate la fragmentation. Il n’y pratiquement plus un pays ou la tripolarisation résiste pour des raisons et des histoires différentes.

Sur notre frise, par contre, l’Italie est en avance. Nous observons un parti totalement hors système à 22%, le M5S, qui fait jeu égal avec le parti de gauche, et un parti d’extrême droite à 33%, avec une droite historique à 9% qui est complètement marginalisée. On voit aussi que le Parti communiste italien a totalement disparu. Il est aussi intéressant de voir que si la Ligue a très bien tiré son épingle du jeu de la coalition, les deux formations restent en tête des sondages.

Enfin, en Pologne, avec une histoire électorale et démocratique plus récente que chez nous, le système est encore bipolaire.  

Ce qui est intéressant, c’est de constater que par exemple en Autriche ou en Italie, les systèmes qui se stabilisent sont au moins tripolaires. Pour l’instant, la France est bipolaire, mais avec un total de 40% des voix pour les deux formations que sont LREM et le RN. A mon sens, nous ne retrouverons plus un système avec des blocs de 35-40% de chaque côté et une dispersion du reste. Cela sera au moins un système tripartite ce qui montre bien la complexité des sociétés d’autant plus que même un système tripartite n'embrassera pas 80% du corps électoral. La culture historique française et l’organisation des forces politiques avait engendré un système bipolaire et majoritaire à deux tours. Avec cette nouvelle fragmentation, cela ne marche plus.

Si on regarde les choses par groupes de pays, on constate qu’il va être très difficile d’harmoniser l’ensemble. Parce qu’au sein de chacun des pays nous sommes en phase de recomposition politique. On pouvait dire, dans le monde d’avant, qu’une droite d’un pays pouvait parler à la droite d’un autre pays. Mais tout cela est en train de bouger.  

Christophe Bouillaud : Pour répondre à cette question, tout dépend bien sûr de ce qu’on met dans le clivage droite-gauche : il peut être plus sur des aspects économiques, ou plus sur des aspects culturels. Quant au clivage nationaliste/progressiste, c’est du point de vue de la science politique une invention d’Emmanuel Macron. Il tente de s’imposer en imposant sa description de la situation. En effet, on peut très bien être nationaliste et partisan du progrès au sens que ce mot a pris au XIXème siècle. Ce que veut dire Emmanuel Macron, si j’ai bien compris son intention, c’est qu’il existe des partisans de plus d’intégration européenne avec des valeurs européennes qui vont avec, définies comme les libertés économiques, les libertés politiques et les libertés de mœurs, et les autres moins intégrationnistes et parfois moins partisans de l’une ou l’autre de ces libertés, voire montrant des tendances à en finir avec l’Etat de droit.

L’un des pays présent dans l’enquête de l’IFOP  où la lutte politique se trouve effectivement structurée par cette opposition ainsi construite est la Pologne. Après l’écroulement électoral du socialisme polonais, du principal parti de la gauche polonaise,la lutte politique y oppose deux partis de droite, prétendant chacun à incarner l’héritage anti-communiste de Solidarité : d’une part, un parti nationaliste-conservateur, le PiS, actuellement au pouvoir, et, d’autre part, un parti libéral-conservateur, PO, dans l’opposition. Lors de ces élections, le PO et ses alliés entendent représenter le camp europhile et le PiS le camp souverainiste, même si chacun est lui-même concurrencé dans son camp par d’autres partis et même si la gauche voudrait essayer d’exister de nouveau sur la scène politique.

En Italie, on s’oriente probablement vers une configuration semblable, avec d’un côté la Ligue de Matteo Salvini et de l’autre côté le Parti démocrate (PD), qui semble enfin se reprendre de sa défaire de l’année dernière. Selon les sondages, le M5S devrait chuter lourdement. Mais ce clivage entre la Ligue et le Parti démocrate reviendrait en fait à la résurrection du clivage droite/gauche qui s’est modernisé dans les années 1990 avec la social-démocratisation du Parti communistes italien (PCI) et l’entrée en scène de Silvio Berlusconi pour sauver le pays du communisme qu’il voulait y voir.

Inversement, ni l’Espagne, ni l’Autriche, ni l’Allemagne, ne peuvent être analysés selon une telle opposition. Plus généralement, la plupart des pays européens vivent toujours des oppositions partisanes issues de l’histoire nationale, où l’aspect européen qu’invoque Emmanuel Macron reste absent ou subsidiaire.

Quant à la situation française, en réalité, nous sommes très loin d’une situation à la polonaise – pour autant que cette dernière puisse être simplifié comme je l’ai fait ici en une opposition « nationalistes contre progressistes ». La droite et la gauche, dans leurs diverses nuances, restent bien vivantes malgré tout.L’opération de formatage de la réalité politique selon un seul axe « nationalistes contre progressistes » correspond sans doute bien à l’opposition  qu’Emmanuel Macron veut visiblement se choisir, celle avec le Rassemblement national (RN), comme l’a montré l’entrée en campagne de la tête de liste de LREM, Nathalie Loiseau, mais elle ne correspond pas  exactement à l’éclatement du champ politique français. Déjà, même si l’on accepte cet axe, il faut déjà remarquer qu’il existe toute une série de critiques de gauche du « progressisme », critiques plus ou moins européistes : EELV, le PS « gluksmanisé », Génération(s), la France insoumise. Idem à droite : avec les Républicains et DLF.

En fait, ce qu’il faut remarquer, c’est qu’aussi bien LREM/Modem ou le RN, selon les sondages, restent à des étiages de partis incapables de représenter plus de 30% de l’électorat. Cela veut dire que les 55% et plus d’électeurs qui vont voter pour d’autres partis que ces deux duettistes ne se reconnaissent pas dans ce clivage trop simpliste. En Pologne, selon le sondage IFOP, le PiS aurait 42% des suffrages, et le PO et ses alliés 41%, soit 83% des intentions de vote pour l’un ou l’autre côté de la barricade – en France, nous en sommes loin.

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