Espagne, nouveau maillon fort de la zone euro… ou pas ? La réalité sur le chemin à parcourir avant de retrouver le niveau de 2008<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
L'économie espagnole est en train de repartir.
L'économie espagnole est en train de repartir.
©Reuters

Retour de la croissance

Récemment, l'Espagne a annoncé une croissance de 1% au deuxième trimestre 2015. Il n'en aura pas fallu davantage aux défenseurs de l'austérité pour ériger le pays en exemple à suivre. Chômage de masse, fuite des travailleurs qualifiés, déficits toujours astronomiques, vulnérabilité aux taux d'emprunts... Il reste pourtant au pays de difficiles épreuves à affronter.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

Voir la bio »

Atlantico : Plusieurs commentateurs ont estimés que la croissance de 1% de l'économie espagnole au deuxième trimestre 2015 constituait dans une certaine mesure une victoire de la politique "austéritaire" demandée par les institutions européennes. Comment interpréter le retour de la croissance espagnole ?

Mathieu Mucherie : Au contraire, ce résultat est très exactement à mettre sur le compte de l'arrêt de l'austérité. Voilà 2 ans que les Espagnols ont cessés de mettre en œuvre une telle politique. Il suffit pour s'en convaincre de jeter un oeil à leur niveau de déficit structurel qui continue d'augmenter. Mais l'économie espagnole a aussi pu compter sur l'effet du début de détente monétaire qui s'est produit début 2012 grâce à Mario Draghi, quand la BCE a stabilisé les taux à la périphérie de l'Europe. Cette baisse des taux s'est accompagnée à partir de fin 2014, d'une baisse de l'euro qui a également participé aux résultats d'aujourd'hui.

Pour résumer, ces résultats sont donc le fruit d'une légère amélioration monétaire, et d'un arrêt de la politique qui consistait à augmenter aveuglément le taux de TVA tous les ans comme c'était le cas auparavant.

Le PIB réel espagnol demeure toujours à un niveau inférieur de 4% à son niveau de 2008. De même, son chômage est l'un des plus importants d'Europe. Que reste-t-il comme chemin à parcourir pour retrouver son niveau d'avant-crise ? Qu'en est-il des déficits, de la dette ?

Effectivement. Lorsque l'on observe le PIB nominal, plus parlant que le PIB réel, on s'aperçoit que son niveau n'est pas revenu à son niveau de 2007-2008. D'un point de vue pragmatique, l'économie espagnole est donc au stade "électroencéphalogramme plat".

Concernant le déficit, celui-ci demeure un vrai problème car les Espagnols ont cessés de faire de l'austérité budgétaire depuis deux ans. Et s'il demeure à 5.5% comme c'était le cas avant la crise, c'est beaucoup plus grave puisque la dette publique atteint aujourd'hui 100% contre 35% avant 2008.

De plus, avec un PIB nominal qui augmentait de 6 à 7 points tous les ans, beaucoup d'acteurs se sont endettés en pensant que leur taux d'endettement disparaîtrait d'autant. Or aujourd'hui, il n'a pas augmenté d'un seul point en 8 ans. C'est pour ceux-là que la BCE a procédé à une baisse des taux nominaux. Une situation où l'Espagne aurait des taux de 5% ou 6%, endettée comme l'est aujourd'hui, avec de surcroit des taux variables et des échéances courtes aurait été très délicate à gérer...

Autre chiffre à mettre en trompe l'oeil, celui de l'embellie récente sur le front du chômage qui est en réalité le résultats de deux phénomènes plus que préoccupants. Car elle s'explique à la fois par une sortie d'inactifs des statistiques du chômage, mais aussi car le décalage qui existait entre anticipation d'inflation et inflation réalisée (qui était en réalité une déflation, dont le décalage était à l'origine du passage de 8% de chômage à 25%) a augmenté de manière importante les coûts salariaux. Ce décalage n'existant plus aujourd'hui, il y a moins de destructions d'emplois. Mais cette cohérence se traduit en filigrane par une japonisation de l'économie espagnole, c'est à dire une inflation nulle... Ce qui ne permet pas vraiment de se réjouir.

Il est donc plus que crucial que les taux ne remontent pas. Une flambée des conditions de financement serait assez catastrophique, car contrairement à l'Italie, l'Espagne n'a pas réussi à dégager d'excédent primaire.  

Quels sont les autres facteurs qui pourraient pénaliser l'économie espagnole ?

L'Espagne souffre de conditions structurelles affreuses, que ce soit sur plan humain mais aussi sur l'équilibre épargne-investissement par exemple. Cette dernière a énormément baissé, car elle a été utilisée par les ménages pour pallier la baisse du niveau de vie. Aujourd'hui, l'épargne nationale est presque nulle, et la dette espagnole n'est plus détenue par des nationaux, ce qui pose de nouveaux problèmes potentiels : le jour où les créanciers étrangers n'ont plus confiance, rien ne les empêche de partir.

De même, il y a en Espagne un défaut de qualification des forces de travail. Quand une économie est basée sur la production d'oranges et sur le BTP, il n'y a pas forcément besoin d'avoir de Bac+5, mais l'Espagne tente coûte que coûte de diversifier son industrie. C'est dans un esprit de reconquête de marchés sur le plan international que l'Espagne, faut de pouvoir dévaluer l'euro, avait procédé à une dévaluation interne par une compression des salaires. Mais sur le plan macro-économique cela est demeuré un succès relatif.

Comme je le disais auparavant, l'Espagne a donc l'impérieuse nécessité de rester dans les petits papiers de la BCE, d'en rester le bon élève. Le jour où la Banque centrale européenne change d'avis, si le parti populiste Podemos entre dans une coalition gouvernementale par exemple, et qu'ils continuent à ne pas faire d'austérité mais qu'ils l'affirment cette fois au lieu de prétendre le contraire, ils seraient soumis à des hausses de taux très importants.

Quelles seraient les réformes utiles à un pays comme l'Espagne, aussi bien au niveau national qu'européen ?

Je me demande d'abord s'il très utile pour l'Espagne d'être en zone "deutsch mark". La peseta était adaptée à leur économie, ils pouvaient dévaluer face à l'Allemagne pour rester compétitifs. Aujourd'hui le seul moyen de dévaluer, c'est de baisser les salaires.

Deuxièmement, à la fois l'importance de la dette bancaire et sa transparence constituent une épée de Damoclès lourde.

Je crains qu'il y ait un besoin de repositionnement monétaire et une action publique à mener sur le très long-terme. Il faudrait baisser davantage les taux, si possible qu'ils soient négatifs, et un euro durablement à 0.80 face au dollar. Sur la qualification des actifs, le problème consiste aujourd'hui à se demander si leurs Bac +2 auront un jour du travail...

Globalement, je suis assez pessimiste sur l'Espagne. Je pense qu'ils ont été japonisés avant d'avoir été riches. Démographiquement il y a un problème, le pays étant aujourd'hui devenu une terre d'émigration, et je suis sceptique sur le fait qu'ils continuent à faire partie de la zone euro à moyen terme, quand l'Allemagne voudra arrêter le Quantitative easing et augmenter les taux, car cela sera fatal à l'économie espagnol.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !