Épicerie à horaires hommes-femmes séparés à Bordeaux : comment expliquer la rigueur des nouveaux convertis ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des gérants récemment convertis à l'islam d'une épicerie bordelaise ont voulu imposer des jours d'ouverture uniquement pour les femmes et d'autres uniquement pour les hommes.
Des gérants récemment convertis à l'islam d'une épicerie bordelaise ont voulu imposer des jours d'ouverture uniquement pour les femmes et d'autres uniquement pour les hommes.
©Reuters

Question d’islam

Des gérants récemment convertis à l'islam d'une épicerie bordelaise ont voulu imposer des jours d'ouverture uniquement pour les femmes et d'autres uniquement pour les hommes, suscitant l'indignation générale jusque dans les rangs de la communauté musulmane de Bordeaux.

Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel) ou L'islam devant la démocratie (Gallimard, 2013).

 

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

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Atlantico : Une épicerie bordelaise fait les gros titres en allouant certains jours aux hommes ("frères") et d'autres aux femmes ("sœurs"). Les gérants, un couple récemment convertis à l'islam, voulaient ainsi éviter la tentation à leurs clients. Comment expliquer que des mesures aussi rétrogrades soient mises en place par des personnes tout juste converties à l'islam ?

Philippe d’Iribarne : Cette séparation des hommes et des femmes est une caractéristique forte de l’islam. Dans les mosquées, les hommes et les femmes sont totalement séparés. Ils le sont de même, en pays musulman, dans les mariages et les enterrements. En France, les musulmans bataillent pour avoir des jours différents pour les hommes et les femmes dans les piscines. Le voile islamique sépare symboliquement les femmes de l’univers masculin. Les gérants de l’épicerie que vous évoquez se situent dans le droit fil de cette logique de séparation qu’ils appliquent avec zèle.

Ces mesures ont même été décriées par des membres de la communauté musulmane de Bordeaux. C'est d'ailleurs la première fois en France que ce genre de mesures sont proposées. Constate-t-on une tendance des convertis à adopter une pratique plus rigoriste de l'islam ?

Parmi les femmes qui portent la burqa, beaucoup sont des converties. De même, les convertis sont considérablement surreprésentés parmi les jeunes qui partent rejoindre l’Etat islamique pour participer au djihad. Il y a effectivement une radicalité des convertis.

Quels facteurs permettent de l'expliquer ? Quel rôle joue l'absence de tradition dans ce phénomène ?

L’islam que pratiquent les musulmans issus de familles musulmanes par tradition est largement un islam coutumier, qui s’est formé dans les divers pays musulmans par la rencontre de l’islam des origines avec les cultures préislamiques. Ainsi, l’islam indonésien est marqué par l’hindouisme, l’islam iranien par le zoroastrisme, l’islam africain par l’animisme. Ces islams locaux sont très divers, et cela est vrai, en particulier, concernant la séparation, physique et symbolique, des femmes. Ainsi, au Mali, pays très majoritairement musulman, on pouvait voir il y a quelques années encore plus de femmes à la poitrine découverte (les lavandières du fleuve Niger) que de tenues islamiques.

Cet islam coutumier fait horreur aux tenants d’un retour à la pureté de l’islam des origines, un islam qui soit fidèle aux enseignements du Prophète, au Coran, à l’exemple des pieux ancêtres. Ceux-ci, les salafistes, s’attaquent à ce qui est pour eux un symbole de l’affadissement de l’islam, d’une apostasie de fait de bien des musulmans. Ainsi ils détruisent les tombeaux de ceux que les fidèles d’un islam coutumier révèrent comme des saints. Cet islam qui se veut fidèle aux origines a actuellement le vent en poupe, aux dépens de l’islam coutumier. Ainsi on voit des jeunes appartenant à des familles pratiquant un islam coutumier reprocher de manière véhémente à leurs parents d’être de mauvais musulmans et adopter une pratique beaucoup plus rigoureuse. Ce mouvement est favorisé par la modernité : l’élévation du niveau d’instruction et le développement des traductions permettant un accès plus large au Coran, la multiplication des pèlerinages à la Mecque, avec maintenant Internet. C’est à cet islam retournant à ses sources qu’adhèrent les convertis et non à l’islam coutumier et il n’est pas étonnant qu’ils soient beaucoup plus radicaux que les adeptes de cet islam coutumier.

Est-ce une tendance commune aux convertis de toutes les religions ?

Dans toutes les religions, on a toujours eu des tendances radicales chez les convertis, avec un refus d’une religion embourgeoisée, pleine de compromis avec le monde. Mais les conséquences de cette radicalité sont très différentes d’une religion à l’autre, tant les religions diffèrent dans leur élan fondateur. Il y a, dans l’islam des origines, l’affirmation d’une séparation radicale entre les bons, fidèles à la parole du Prophète, et les mauvais, rebelles à cette parole, qui est sans doute au cœur de la séduction que l’islam peut exercer sur ceux qui sont épris d’absolu et qui est en même temps à la source de la violence dont l’islam est porteur. Dans les Evangiles, les bons ne sont jamais vraiment bons, les méchants jamais vraiment méchants, et il faut aimer ses ennemis. Pour ceux qui se convertissent au christianisme, le chemin qui s’ouvre est bien différent de celui où s’engagent ceux qui se convertissent à l’islam.

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