Envolée des taux grecs : 2009, le retour<!-- --> | Atlantico.fr
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Les taux grecs s'envolent.
Les taux grecs s'envolent.
©Reuters

Déjà vu

Les taux grecs à dix ans ont atteint leur plus haut niveau sur un an, à presque 9%. La perspective d'un nouvel emprunt obligataire d'ici à la fin de l'année s'éloigne dangereusement.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Ce mercredi les marchés ont été bien contrariés par les fissures apparues dans la chape de plomb de mauvaise qualité qui recouvre le dossier grec depuis deux ans et demi, et plus généralement dans la faillite (prévue dans ces colonnes…) du "whatever it takes" de Draghi, cette fausse promesse d’un mécanisme de soutien (conditionnel !) actuellement en discussion auprès de la Cour de Justice européenne après une contestation surréaliste de la part des juges et des banquiers centraux germaniques. Les trompe-l’œil tombent un à un ces derniers temps : l’OMT fantôme et l’illusion d’un prêteur en dernier ressort, le "bon ancrage" des anticipations d’inflation et la politique "accommodante" de la BCE (avec un CPI à 0,3% sur un an et en dessous de sa cible pendant des années ? Avec une masse monétaire morose depuis 2008 ? Avec des prix d’actifs qui baissent ?), etc. Nous l’avions dit ici : en matière de déflation, l’existence précède l’essence, et toutes les guerres monétaires perdues se résument en deux mots : trop tard.

L’Ukraine, EI, Ebola, maintenant la Grèce : tout est bon pour géopolitiser cette crise de déflation après l’avoir budgétarisé et structuralisé dans tous les sens. Et si un jour nous la monétisions ?

Au fond la Grèce n’est qu’un révélateur ; comme en octobre 2009. Un symptôme. Tout le monde se moque de ses taux d’intérêt, qui ne signifient plus rien. Tout le monde sait que non seulement elle ne remboursera pas (faibles perspectives de croissance nominale avec un stock à 150 points de PIB pour la seule dette souveraine après haircut pseudo volontaire, dévaluations régulières de la Turkish Lira qui minent tous les efforts dits de "compétitivité") mais qu’elle ne devrait pas le faire. La Troïka est en réalité une Monoïka allemande qui exerce un chantage odieux, qui organise la plus grande contraction monétaire depuis 1932 et qui diffracte le blâme avec des histoires sidérantes d’armateurs et de popes qui ne payent pas leurs impôts. Et comme d’habitude c’est au moment où les choses vont un peu mieux (mais revenir vers 0% après un choc de PIB réel de plus de 4 points chaque année pendant 4 ans, ce n’est pas un retour en fanfare !) que la marmite saute ; comme en Argentine en 2001 le peuple / l’électeur en a marre. Espérons qu’il fera sauter le système, pour que nous puissions enfin faire céder la BCE sur le quantitative easing (vous savez, cette politique pratiquée partout ailleurs et qui ne "serait pas la panacée", mais qui provoque un retour en crise à chaque fois qu’elle est retirée, comme en ce moment avec la fin du QE3 de la FED).

Suis-je trop radical ? Je devrais peut-être faire comme tout le monde et me fier à la mesure officielle de l’inflation, le CPI, qui nous dit que la déflation n’a jamais existé en Grèce ou ailleurs… Si l’on en croit le CPI, le prix des voitures monte chaque année, le prix des maisons ou des actions n’est pas une chose importante ; tout va bien. Oh, il y a juste un petit souci ces derniers temps, mais dormez tranquilles : primo, c’est la faute à pas de chance (depuis que les livres de Milton Friedman ont été brûlés, nous savons que l’inflation est liée aux matières premières et pas à la politique monétaire, et bien entendu le triple dip de la zone euro n’a rien à voir avec la baisse de la demande mondiale et avec cette baisse des prix des matières premières, voyons) ; deusio, on s’en occupe : nous achetons des produits titrisés chypriotes et nous nous amusons avec des stress-tests bancaires, c’est dire à quel point l’inflation va repartir.

J’ai quand même quelques doutes. Même pour les pays flexibles, bien gérés, comme l’Irlande. En dépit de taux courts négatifs, en dépit d’un regain de confiance, en dépit des bonnes notes de la BCE, le tigre celtique connait sa 4e phase de contraction monétaire en 7 ans. Oups.

Pour un pays comme la Grèce, mais c’est globalement valable pour tous ses "collègues", l’amélioration des comptes extérieurs exigée par Berlin et Francfort ne peut pas se faire via les exports (demande globale faible, surcapacités industrielles), ou seulement transitoirement en serrant la masse salariale (ce qui accentue la déflation) ; elle se fait par contraction des imports, la voie la plus malthusienne et celle qui, en limitant l’incorporation du progrès technique, est la plus coûteuse en termes de croissance future.

Contributions à l’amélioration des comptes extérieurs :

Pour paraphraser le slogan du film Alien : en zone euro, personne ne vous entend crier. On devrait plutôt dire : personne ne vous entend délirer, car le délire est devenu trop collectif pour être audible ; c’est d’ailleurs à cela que l’on reconnait les déflations sévères ; la FED dans les années 1930 recevait plein de courriers qui dénonçaient les risques d’hyperinflation. François Fillon redoute une hausse des taux d’intérêt (causée par les déficits !) en pleine chute verticale des taux. Madame Michu ma voisine de palier affirme depuis plusieurs années que ces mêmes taux sont "bas", mais elle se garde bien d’acheter la voiture qu’elle voulait acheter ; j’aimerais lui expliquer la contradiction, mais je ne veux pas me fâcher.

(Ici, le volume des transactions immobilières en France, plus bas qu’à une époque de taux deux fois plus hauts ; merci à Friggit pour les données, c’est un personnage d’utilité publique) :

Les financiers quant à eux critiquent la bulle obligataire le soir et le lendemain matin, ils achètent des OAT à 1% (ces mêmes OAT qu’ils avaient il y a fort peu de temps juré de ne surtout jamais acheter en dessous de 2,5%). Là aussi,  je ne veux pas trop me fâcher, l’hostilité envers les taux nominaux négatifs et envers la notion de remise des dettes est très forte. Et ce serait embêtant de perdre mon job en pleine déflation… Mais quand le taux allemand 10 ans se situe à 0,75%, quand son équivalent français est à 1,15%, voilà ce qu’on peut dire, ce qu’on devrait dire, ou plus radoter en l’occurence :

- La japonisation du vieux continent continue.

- Elle ira jusqu’au bout, sauf que pour les maillons les plus faibles ce sera une argentinisation.

- Mario Draghi a été jusqu’ici plus restrictif que Jean-Claude Trichet ; il n’a même pas l’excuse d’un CPI à 2% ou d’anticipations ancrées ; il ne faut pas confondre "agence de communication plus habile" et "détente monétaire concrète".

- L’euro ne nous protège pas : les pays qui s’en sortent le mieux depuis quelques années sur ce continent de malheur sont les Suisses, les Norvégiens, les Anglois, les Polonais, les Hongrois. Tous ces gens sont ravis de ne pas subir le carpet bombing d’une monnaie trop chère, d’une banque centrale autiste et de marchés financiers dépendants de quelques juristes bavarois ou luxembourgeois.

- L’euro pourrait nous protéger si la BCE ne se prenait pas pour un superviseur bancaire ou un contrôleur des finances publiques ou un stimulateur du "marché" de la titrisation mais se remettait à son job qui est de créer de la monnaie quand plus personne ne peut en créer : QE, forward guidance, stratégie FX,… idéalement, avec la fixation d’une cible de PIB nominal.

- Si la BCE continue dans ses diversions, ses TLTRO dans le vide et ses ABSPP consanguins, ses contrats de consulting opaques et son refus d’embaucher le moindre économiste dissident, alors prions pour que la FED nous sauve une fois de plus, nous les passagers clandestins. Nous pourrons ensuite la critiquer hypocritement, comme toujours.

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