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Envoi de troupes en Afghanistan : Donald Trump serait-il en train de revenir sur le désengagement américain ?
©Reuters

Asie centrale

Jim Mattis, le Secrétaire à la Défense des Etats-Unis a annoncé le déploiement de 9800 soldats supplémentaires en Afghanistan. Une goutte d'eau par rapport aux deux millions de soldats américains qui ont déjà foulé la terre du pays. Une mesure symbolique mais qui pousse à questionner le "America First" de Donald Trump.

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : Jim Mattis, Secrétaire à la Défense des Etats-Unis a annoncé le déploiement de 9800 soldats supplémentaires en Afghanistan. Est-ce que ce nouveau déploiement n'est pas contraire aux déclarations et promesses de campagne de Donald Trump dans la logique "America First"

Emmanuel Dupuy : Le Président Donald Trump a relativement moins évoqué l’Afghanistan durant sa campagne présidentielle que l’Irak. Sans doute faut-il y voir une manière de concentrer ses critiques sur la politique moyen-orientale de son prédécesseur (notamment la Syrie et l’Irak et l’inextricable dossier israélo-palestinien) plutôt que sur le dossier AfPak (compte tenu, notamment, de la relative « efficacité » de la lutte contre les talibans en Afghanistan et au Pakistan).

Du reste, la décision américaine de renforcer son contingent - déjà fort de 8500 hommes répartis dans les bases de Bagram, Kandahar, Jalalabad, Gardez, Laghman et de l’aéroport militaire de Kaboul - de 9800 soldats supplémentaires, est, elle aussi, une promesse faite au président afghan : celle de renforcer, voire de « compenser » la présence autrefois massive des soldats américains sur le sol afghan : ils furent jusqu’à 90 000 parmi les 140 000 hommes, qui, au plus fort de la présence militaire internationale, entre 2011 et 2014, constituaient la Force Internationale d’Assistance à la Sécurité - FIAS/IFAS.

La décision américaine visant à renforcer leur présence s’inscrit aussi, avant tout, dans le cadre du Bilateral Security Agreement (BSA), qui, depuis sa signature en septembre 2014, garantit, une force de moins de 10 000 soldats, dont la principale mission reste celle de la formation et l’entrainement des 350 000 membres des forces de sécurité afghanes (ANSF), sans oublier les missions dévolues aux forces spéciales américaines et le maintien de la capacité offensive aérienne, notamment en matière de drones.

Le largage de la GBU-43/B, en avril, dernier, de Massive Ordnance Air Blast, aussi indiquée comme étant la Mother of All Bombs (MOAB) dotée d’une capacité de 11 tonnes de TNT, contre un complexe de grottes située dans le district d’Achin, dans la province du Nangarhar (est de l’Afghanistan), où avait trouvé refuge plusieurs centaines d’hommes de Daesh, prouve, du reste, que les Etats-Unis entendent risquer le moins possible la vie de soldats américains.

Le Président Donald Trump avait, durant sa campagne présidentielle, maintes fois rappelé qu’il n’entendait pas « sacrifier » pour rien la vie de soldats américains. Or, le conflit en Afghanistan aura été très lourd pour les familles américaines. 2016 militaires américains sont morts depuis 2001, près de 20 000 sont revenus d’Afghanistan blessés physiquement comme psychologiquement.

L’hécatombe continue, du reste…

Huit soldats américains, sont décédés, le 3 mai dernier dans l’attaque d’un convoi dans Kaboul, trois ont été blessés sur une base dans la région du Helmand, deux ont été tués la semaine dernière par un commando des forces armées afghanes lors d’une opération conjointe dans la province de Nangarhar.

En outre, Donald Trump, par la voix de son Conseiller national à la Sécurité, le général Mac Master, qui était à Kaboul, il y a trois semaines, avait clairement indiqué au Président afghan Ashraf Ghani, ainsi qu’au Premier ministre pakistanais, Nawaz Sharif, que les Etats-Unis entendaient éliminer autant que faire se peut, les principaux responsables des Talibans, de Daesh et du Réseau terroriste dirigé par Djalâlouddine Haqqani, à la fois en Afghanistan mais aussi au Pakistan.

Il en a résulté, la mise « hors d’état de nuire » des cibles terroristes, à l’instar du chef de Daesh en Afghanistan, Hafez Said, tué en juillet dernier dans la province de Nangarhar; du Mollah Akhtar Mohammad Mansour, tué lui en mai 2016, de retour d’Iran, dans la région du Balouchistan pakistanais ou encore, pas plus tard qu’il y a trois jours, Abubakar, le chef du réseau Haqqani - rendu responsable de la plupart des attaques ayant visé les troupes otanienne et américaine - en Afghanistan, tué par une frappe d’un drone américain, dans le district de Hangu dans les provinces tribales du Nord-Ouest du Pakistan.

Dès lors, les Etats-Unis, qui entendent continuer ces missions de contre-terrorisme, souhaitent également valoriser leur principale ambition en Afghanistan, à savoir, la mise en exergue des capacités des forces afghanes à faire face à une confrontation asymétrique, faite d’harcèlement sporadiques et s’inscrivant dans le contexte d’une longue guerre d’usure, pour laquelle, accessoirement, les forces de sécurité afghane, constamment pris pour cibles, mais de plus en plus prompts pour intervenir et riposter, semblent s’en sortir fort honorablement.

Si l'on ne peut évidemment pas parler de réengagement des Etats-Unis en Afghanistan, qu'est ce qui motive ce déploiement de 9800 soldats ? 

C’est très clairement, le contexte régional qui préoccupe essentiellement Washington.

En effet, Washington cherche à démontrer qu’elle « compte » encore dans une région, de plus en plus soumise à la concurrence des offres sécuritaires, au premier rang desquelles, la Russie, l’Inde et l’Iran, comme le récent Sommet de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) tenu à Astana, au Kazakhstan, les 10 et 11 juin derniers, l’a démontré.

Comme l’a récemment indiqué le président afghan, Ashraf Ghani, le contexte afghan « imposé aux Afghans, importé en Afghanistan » oblige les pays contribuant à l’opération otanienne « Resolute Support », à l’aune de leur mobilisation actuelle de 5000 hommes - auxquels, il convient d’ajouter les 8500 soldats américains, et ceux des membres de l’Alliance Atlantique, notamment allemands, turcs et italiens (mais également azerbaidjanais, géorgiens…) soit 13 500 hommes, visant à renforcer aussi leur présence afghane.

Le nouveau format à « quatre » (Afghanistan, Pakistan, Chine et Etats-Unis) voulu par Kaboul pour lutter contre le terrorisme, dans la foulée de la Conférence des donateurs (Bruxelles, 4 et 5 octobre dernier) et plus récemment du Processus dit de Kaboul, ayant réuni, dans la capitale afghane, près de 30 pays, au niveau des ministères des Affaires étrangères, de leurs vice-ministres et des envoyés spéciaux, oblige les Etats-Unis à tenir compte du « rapprochement » entre le Pakistan et l’Afghanistan, comme en témoigne la récente rencontre entre Ashraf Ghani et Nawaz Sharif, au cours de laquelle avait été décidé la ré-ouverture de la frontière commune, la fameuse Ligne Durand, dont la non-reconnaissance du tracé divise les deux pays depuis trop longtemps.

Néanmoins, la principale matière à préoccupation vu de Washington demeure que ce fragile axe de dialogue, semble aller de concert avec la montée en puissance de « l’agenda » afghan de l’Iran - accusée régulièrement de soutenir les talibans - , tout comme celui de l’Inde, de la Chine - à travers ses investissements colossaux passés et à venir, par le truchement de son projet des «  nouvelles routes de la Soie ». Les Etats-Unis voient surtout d’un très mauvais œil l’intérêt croissant de la Russie pour revenir en Afghanistan.

Moult projets économiques, près de 200, d’un montant de plusieurs milliards d’euros -  le confirment. C’est néanmoins, sur le volet de la coopération militaire dans le voisinage afghan, leitmotiv répété par Vladimir Poutine, que les choses se font plus précises. La Russie entend ainsi maintenir opérationnelle, et ce jusqu’à 2042, sa base militaire, au Tadjikistan, alors que Moscou avait obtenu, en 2014, la fermeture de la base aérienne de Manas au Kirghizistan, utilisée par les Etats-Unis

Il y a aussi le contexte actuel de la crise qui secoue le Conseil de Coopération du Golfe, au premier chef duquel le Qatar, désormais ostracisé et accusé de soutenir les talibans, eu égard au bureau de représentation qui existe à Doha, depuis 2012.

Les Etats-Unis ont récemment accusé la Russie, tout comme le Qatar, non seulement de soutenir les talibans, dont certains ont leurs ronds de serviette à Moscou, mais aussi de les armer !

C’est à l'issue du Sommet, clôturant la présidence annuelle de l'Organisation de Coopération de Shanghaï (OCS), tenu à Astana au Kazakhstan, les 10 et 11 juin derniers, que l'Inde et le Pakistan sont entré ensemble au sein de l'OCS.

Cette dernière organisation internationale, à vocation d’intégration eurasienne (crée en 2001, regroupant la Russie, la Chine, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan et l'Ouzbékistan...plus quelques autres puissances régionales qui y siègent comme membres observateurs, a l'instar de l'Iran, de la Biélorussie, de la Mongolie et de l'Afghanistan, sans oublier, également, la Turquie, tout comme l'Azerbaïdjan, en tant que partenaires à la discussion) va ainsi de pair avec l’élargissement du mandat actuel de l’OCS, au-delà de l’anti-terrorisme, mission dévolue au RATS, structure anti-terroriste régionale située à Tashkent, en Ouzbékistan.

Les deux "frères ennemis" - Pakistan et Inde -, rejoignent ainsi un espace de 37 millions de Km2, de 2,8 milliards d'habitants (40% pop mondiale !) et contenant 38% des approvisionnements mondiaux en gaz naturel, 20% des réserves de pétrole, 40% du charbon et 50% de l'uranium disponible sur la planète !

Cela aura un impact certain sur l’Afghanistan.

Il est indéniable que les 800 milliards d’euros que les Etats-Unis ont dépensés pour la stabilisation de l’Afghanistan entre 2001 et 2014, offre quelques prérogatives et responsabilités aux Etats-Unis, néanmoins, la concurrence régionale et du voisinage centro-asiatique pour la reconstruction du pays et l’accompagnement diplomatico-militaire de l’Afghanistan sur la scène internationale, est aussi devenue une réalité dont Washington ne peut désormais se soustraire.

Peut-on imaginer également une volonté de la part des Etats-Unis de voir s'impliquer dans le maintien de la paix d'autres pays alliés ? 

Cela n’a pas échappé à la Chancelière allemande, dont le contingent est stratégiquement situé dans la partie septentrionale du pays, à la lisière des frontières ouzbèkes et tadjikes. L’Allemagne, qui avait un temps, envisagé de retirer ses troupes de Mazar-e-Sharif et de Kunduz, a compris qu’il fallait, au contraire, renforcer le faisceau Nord et Nord-Est afghan. Ces deux régions sont ainsi des objectifs clairement affichés par Daesh pour étendre et exporter hors des frontières afghanes son ambition de créer un Califat sur la région du « Turkestan Oriental », sis sur l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizistan.

L’Allemagne, au même titre que les principaux alliés économiques et historiques, que sont le Japon et la Turquie, et bien sûr l’UE entend, ainsi, à l’avenir, faire rimer sa longue tradition de coopération diplomatique avec une offre sécuritaire renouvelée.

C’est sans doute au niveau européen, que cet enjeu est aussi le plus prégnant. La fermeture de l’opération EUPOL Afghanistan en décembre 2016, qui avait pourtant formé entre 2009 et fin de 2016, plus de 4000 policiers afghans formés, est néanmoins un signe hélas avant-courreur d’un certain désintérêt de Bruxelles pour la stabilisation en Afghanistan, et ce, malgré les 3 milliards de dollars sur lesquels la Conférence des donateurs, en octobre dernier, avait trouvé un consensus.

Donc, si le plan américain consiste à envoyer quelques milliers de soldats supplémentaires pour continuer à former les forces nationales de sécurité afghanes (ANSF) forte de plus de 350 000 personnes, cela risque de ne pas changer grand-chose !

Par contre si le plan américain consiste à faire en sorte qu'il y ait une grande coalition internationale transfrontalière, à vocation subrégionale, alors il faudra garder à l‘esprit qu’existe et s’exprime de plus en plus, une toute autre réflexion de la part des Américains, conscients de l’envie des pays du voisinage (Russie et Chine) de s’impliquer concrètement dans la crise sécuritaire afghane.

Dans cette configuration inédite, Washington, cherchera inexorablement à empêcher Moscou ou Delhi, de jouer un rôle de « mentor » militaire en Afghanistan, comme le Premier ministre indien Narendra Modi l’a pourtant proposé à Angela Merkel, il y a quelques jours encore à Berlin et à Emmanuel Macron, lors de sa visite à Paris, dans la foulée. 

Est-ce qu'un retrait des Etats-Unis de la zone vous semble être une possibilité envisageable ?

Tout est possible à l'ère du "trumpisme"Néanmoins, le contexte fortement crisogène – lié à l’éparpillement vers l’Asie centrale des combattants des groupes armés terroristes, notamment ceux issus de Daesh, rend peu probable un retour aux Etats-Unis des soldats américains qui vont venir renforcer l’opération « Resolute Support » otanienne.

Néanmoins, dans ce contexte régional, une augmentation de quelques milliers d'hommes qui viendraient rejoindre les 8500 soldats américains qui sont resté en Afghanistan depuis 2014 (alors même que le gros du continent américain était monté jusqu’à 90 000 hommes dans ce que l’on a surnommé le « Surge » entre 2009 et 2011) ne changera rien. Ce n'est pas quelques milliers d'hommes supplémentaires qui vont changer la donne sur le plan tactique.

Si l'on prend en compte, en effet, Al-Qaïda, les talibans, le Réseau Haqqani, les différents groupes islamiques présents sur le territoire afghan (à l’instar du Mouvement islamique d'Ouzbékistan - MOI) et les 2000 ou 3000 de combattants qui constituent le gros des troupes dont disposerait Daesh, on estime que près de 40% du territoire afghan n'est plus sous contrôle direct du gouvernement central.

Certains estiment même que le Gouvernement a d’ores et déjà perdu les zones non urbanisées, celles, qui, précisément aliment les organisations qui s’opposent au pouvoir central, par le biais de la culture du Pavot.

Néanmoins, l’éventualité, fort peu probable, d’un départ des soldats américains ne serait lié, en réalité, qu’à une pression de la population conjointement au gouvernement, qui serait de plus en plus forte et deviendrait de facto insupportable médiatiquement pour les Etats Unis.

Les récents bombardements américains ayant provoqué la mort de trois policiers dans la province du Helmand, ou encore le décès de deux enfants suite à des tirs américains, dans la province de Nangarhar et l’ire de l’opinion publique afghane et internationale à cette occasion, donne, ainsi des signes avant-coureurs d’une sourde colère qui commence à se cristalliser autour des forces américaines.

C’est, sans doute, là que réside le point de bascule quant au départ éventuel des troupes américaines et otaniennes du sol afghan, comme l’exige et le répète, par exemple, l’ancien président, Hamid Karzaï.

L’année 2016 aura ainsi vu près de 11500 civils afghans tués ou blessés, dont un tiers d’enfants (3500), ce qui constitue, le bilan le plus lourd ciblant les victimes civiles depuis 2009, comme l’indique le rapport de la mission onusienne en Afghanistan (UNAMA).

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