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Entre indifférence et cruauté : le Coronavirus révélateur de notre attitude sinistre envers les Vieux
©LOIC VENANCE / AFP

Isolement

La crise du Coronavirus permet de révéler la relation de la jeunesse avec les aînés. Les personnes âgées isolées sont parmi les plus exposées par l'épidémie de Covid-19.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico.fr : Les crises sont souvent l’occasion de découvrir les symptômes de nos sociétés et le Coronavirus dévoile l’étrange relation que tient la jeunesse avec ses ainés. 

Ces derniers mois, l’expression « Ok Boomer » a animé les débats et maintenant ces mêmes Boomer dénigrés par une frange de la population doivent être sauvés. Est-il possible pour les millennials d’oublier la bataille climatique oubliée par leurs ainés pour tout mettre en œuvre afin de les aider ? 

Pascal Neveu : Nous sommes face à une situation inédite et exceptionnelle que les jeunes générations n’ont jamais connues par rapport à leurs aînés qui ont connu la guerre et des conditions de vie moins confortable.

Pourtant, les millennials ont su faire porter les valeurs de la vie dont ils rêvent, conscients qu’il faut changer la société, l’améliorer pour notre survie mais aussi celles des animaux et de la flore, et pensant le futur, pour les nouvelles générations.

En ce sens ils pensent le futur, sans doute car angoissés par leur réalité.

Et même s’il est des phénomènes de mode et des engouements différents en fonction de nos âges…, face à ce qui a lieu dans le monde, et dans les prochaines semaines se jouer dans leur vie quotidienne, auprès de leurs proches, chez leurs amis, les voisins… je ne doute pas de leur capacité à déployer un retour à un champ relationnel et de solidarité, une nouveauté relationnelle de par leur talent créatif.

Sauver la planète et, ce jour, d’autant plus les êtres vivants et humains est un moyen pour eux d’insuffler une dynamique qui fera oublier les clivages actuels de la société.

Il est des combats conscients et factuels à mener, menant à de belles évolutions de la société, par exemple pour notre bien-être et pour la santé.

Il est des combats inconscients contre des représentations symboliques parentales, tel un adolescent.

Les jeux de mots et combats identitaires entre Boomers et Millennials peuvent donner naissance à une réconciliation et la pensée d’un plan commun d’un monde pensant l’humain avec ses différences, sa singularité pour un bien-vivre ensemble.

Théophile Gauthier écrivait que la vie n’est que mort et renaissance.

C’est une opportunité pour toutes les générations.

Bertrand Vergely : Il faut être lucide. La question climatique est tellement importante aux yeux des millennials qu’il est hors de question pour eux de l’oublier. Maintenant, parce que ils en veulent aux Babyboomers de ne pas avoir été assez écologiques, les millennials vont-ils se contredire s’ils aident les Babyboomerds à l’occasion de la crise du Corona virus ? Bien évidemment non. Ils ne se contrediront pas. Pour la simple raison qu’il importe de ne pas tout mélanger. Il s’agit là de deux choses totalement différentes. 

Une divergence philosophique est une chose, le devoir d’assistance en est une autre. Quand on est intelligent, évolué et responsable, ce n’est pas parce que l’on a une divergence philosophique avec quelqu’un que cela remet en question le devoir d’assistance envers celui-ci. Comme ce n’est pas parce que l’on a le sens du devoir d’assistance envers autrui que l’on doit être philosophiquement d’accord avec lui. Qui ne porte pas assistance à un adversaire parce que c’est un adversaire est dans la haine. Qui pense que quand on porte assistance à quelqu’un on doit être d’accord avec tout ce qu’il pense est dans la bêtise. Entre la haine et la bêtise, il y a un juste milieu consistant à porter assistance à quelqu’un par principe sans pour autant être d’accord avec lui sur tout par principe. 

Par le passé, chez les Babyboomers, la haine et la bêtise ont existé. 

Chez certains Babyboomers d’extrême gauche, il y a eu des discussions politiques très sérieuses arrivant à la conclusion qu’un militant exigeant  ne doit jamais porter assistance à un adversaire politique. Dans Antigone de Sophocle Créon refuse que les traîtres soient enterrés. Les Baby boomers radicaux qui, par le passé, ont refusé  de porter secours à un adversaire politique ont été les Créon de leur époque. 

Les Babyboomers qui ont fait le voyage à Katmandou et qui se sont voulus tolérants au nom de la paix et de l’amour (Peace and Love) ont pensé que, quand on aide quelqu’un, il faut accepter toutes ses idées sans jamais le contredire. S’ils n’ont pas été pas dans la haine, ils ont été dans la bêtise. 

Aujourd’hui, les choses n’ont pas changé. On retrouve des millennials militants qui ne vont pas porter secours aux Babyboomers au nom de la question climatique, comme on va trouver des millennials tolérants qui vont avoir peur de la divergence philosophique au nom de la bienveillance. Cette continuité s’explique. 

Il faut une très grande puissance intellectuelle et morale pour pouvoir mener de front l’exigence philosophique et l’exigence morale. Très peu d’esprits y arrivent. Le plus souvent, par faiblesse intellectuelle et morale, on s’enferme dans une haine aveugle et une tolérance aveugle. Quand on est militant, on a peur d’apparaître comme un traître si on est moral en aidant un adversaire. Quand on est bienveillant, on a peur d’apparaître comme intolérant si on a une divergence philosophique. Que l’on soit militant ou tolérant, on est dans la peur. 

Lorsque l’on parle des « ainés » on a tendance à les déshumaniser en masse. Comment est-on arrivé à les transformer en sorte de troisième roue du carrosse ? 

Pascal Neveu : L’âge, et le grand âge font très souvent peur aux jeunes car en décalage avec une vie naissante et à construire, face à une vie qui s ‘épanouit différemment et pour certains est en déclin. De manière très synthétique, cela peut nous renvoyer inconsciemment à la vie face à la mort. Peur de la mort de ses parents, oubli de la vie joyeuse avec ses grands-parents gâteaux… Le psychisme est complexe et les aînés peuvent nous renvoyer, par des mécanismes d’identification, à différentes angoisses. D’ailleurs il est toujours intéressant de voir les qualificatifs utilisés tellement nous ne sommes pas à l’aise : séniors, personnes âgées, cheveux blancs, retraités…

D’autant plus dans un contexte où tous les jours un nombre de morts nous est livré, en oubliant au fond de nous le nombre de guéris.

Mais rappelons nous les comportements lors de la canicule en 2003, des personnes âgées oubliées, des familles ne se signalant pas après un décès…

Il ne faut bien évidemment pas généraliser car un grand nombre de plus jeunes s’inscrivent dans des accompagnements et aides à domicile, de visites en maisons de retraite, d’activités dans les EHPAD…

D’ailleurs le gouvernement va solliciter et « mobiliser les jeunes, dont les 58000 en service civique et la dizaine de milliers de volontaires qui s’apprêtent à accomplir, en juin, leur service national universel », rappelait le Secrétaire d’Etat Gabriel Attal.

En ce sens c’est une belle démonstration que les jeunes investis dans ces démarches font montre d’une solidarité, d’un humanisme qui restent finalement présents dans une société que l’on décrit néanmoins comme de plus en plus égoïste et autocentrée sur ses propres soucis.

Depuis plusieurs semaines les EHPAD ont pris des mesures de confinement des aînés qui sont plus fragiles que les plus jeunes. Les visites sont interdites pour des raisons sanitaires, ce qui n’est pas sans poser problème.

Des jeunes qui selon une étude disent ne pas avoir peur du coronavirus, pour quasi 1/3 d’eux.

Pour autant, les dernières études montrent que 50% des patients en réanimation ont moins de 60 ans.

Aussi, je ne pense pas que les jeunes soient si égoïstes et négligent leurs aînés. Ils vivent dans un univers de nouvelles technologies, de monde virtuel, de smartphones. Et la réalité de la vie et de la mort, de la perte de l’autre, de la crainte pour soi

Ce qui se joue actuellement ne peut que créer un réveil, un sursaut de solidarité qui fera oublier les scènes surréalistes dans les supermarchés. Espérons-le de manière non éphémère…

En tout cas la crise actuelle restera dans toutes les mémoires… car elle concerne la planète complète, tous les « Êtres » sensés être humains.

Bertrand Vergely : Il convient ici de faire une distinction entre deux types d’aînés. S’il y a les seniors, il y a le grand âge. 

S’agissant des seniors, ceux-ci étant encore en forme et donc jeunes, ils ne forment nullement une population déshumanisée. Au contraire. À la retraite, très actifs dans la vie associative, sociale et culturelle, ils forment une seconde jeunesse aux tempes argentées. Lorsque ces seniors n’ont pas de lourds problèmes physiques à traîner, on peut dire que tout va pour le mieux pour eux. Ce qui n’est pas le cas du grand âge. 

Diminué physiquement, relégué dans des EHPAD (Établissement Hospitalier pour Personne Âgée Dépendante),  là, effectivement, la personne âgée devient celle que l’on ne voit plus. Ne s’appelant plus aîné mais personne âgée, elle renvoie à une humanité que l’on ne voit pas  parce que, grabataire, elle est peu visible. 

Marie de Hennezel et son fils Edouard ont écrit ensemble un livre au titre révélateur : Qu’allez vous faire de nous ? C’est effectivement la bonne question. La génération qui vient, celle des millennials, va avoir peu de retraite tout en ayant à assumer une population vieillissante comportant de plus en plus de retraités. Les jeunes vont-ils accepter cette situation ? Ne vont-ils pas être tentés de la refuser ? S’ils ne veulent pas s’occuper des aînés, que va-t-il se passer ? 

La question de la vieillesse est inséparable de celle des moyens financiers. Lorsqu’on a de l’argent, la vieillesse n’est pas un problème. Comme on peut se maintenir longtemps en forme, on est socialement acceptable et accepté. Quand on a des problèmes physiques, ayant les moyens d’y faire face, on n’est pas rejeté à la lisière de la société. Tout se complique lorsque l’on est pauvre. On s’aperçoit alors que ce sont les inégalités économiques et financières qui creusent le gouffre dans lequel la vieillesse tend à s’abîmer en devenant un naufrage. 

Dans la société traditionnelle (l’Europe jusqu’au XVIème siècle), il y avait une sorte de devoir de veiller sur les personnes âgées sous peine de s’attirer les foudres des « revenants ». Est-ce que l’exclusion du « vieux » du champ social est-il un mal spécifique de nos sociétés modernes ?   

Pascal Neveu : L’observation des comportements culturels enseigne beaucoup sur les devoirs à accomplir, le naturel de la solidarité, le retour d’un d’une génération plus jeune envers une génération qui leur a donné naissance, qui les a éduqué, qui les a soutenu…

Ces comportements sont plus ou moins forts en fonction de nos appartenances religieuses, géographiques, éducatives, sociales, morales et philosophiques.

La crainte du revenant est très forte. Sur un plan anthropologique on observe des rituels funéraires, mais aussi de liens avec le mort auquel il faut continuer à rendre hommage. Le lien reste maintenu et si nous ne l’avons pas accompagné avec soin, dignité et respect dans cette « nouvelle vie »… le mort peut venir nous hanter et nous porter malheur.

« Comment se regarder dans un miroir ? » qui nous renvoie à la position de l’enfant se reconnaissant enfin dans le miroir et se rendant compte qu’il existe sans ses parents mais en est dépendant affectivement et en protection. Il est donc nécessaire de lui rendre la pareille.

Il existe aussi un champ que l’on appelle la clinique du vieillissement.

De quoi s’agit-il ? La perte de ce fameux champ social qui est susceptible de provoquer des troubles dépressifs chez les aînés, un isolement, voire des suicides sans oublier une prévalence à des troubles de la santé plus importants.

Le fait que nos aînés soient actuellement confinés risque de fortement altérer leur santé physique et psychique.

Car :

-       le personnel de santé ne peut pas passer une heure par jour auprès d’un patient

-       les règles sanitaires peuvent accroître leur sentiment d’insécurité et de rappel de périodes sombres de l’histoire pour un grand nombre

-       l’absence de visites et d’un minimum de contact chaleureux et affectueux les faire se replier sur eux et les amener à ruminer un sentiment de fin vie et de rejet

Toutes les études démontrent l’impact négatif de l’absence d’interactions relationnelles, qui vont au-delà de l’appel téléphonique : le présentiel, une bise, un regard, un toucher…

Les familles, les accompagnants, les jeunes bénévoles ou non font partie intégrante d’un support d’étayage qui permet aux aînés de ne pas « décliner » physiquement et psychiquement.

D’ailleurs ils disent eux-mêmes qu’ils ont besoin de transmettre, de se sentir encore utiles… et que c’est leur souffle de jouvence.

Alors oui, le « vieux » peut faire peur… mais nous le serons tous un jour.

Malgré les conditions actuelles il est nécessaire de rester en contact avec eux.

Appel téléphonique ou une lettre (nous n’écrivons plus) voire une carte postale… car les écrits restent et sont une fenêtre d’ouverture sur le monde qu’ils peuvent relire, et penser à l’autre, se sentant non-oubliés et donc vivants.

Bertrand Vergely : Pendant longtemps, la vie en Occident a été dominée par le passé. Était source de force, de pouvoir et d’autorité, ce qui avait su traverser le temps en demeurant le même. D’où le prestige de l’ancien. Quand la modernité est apparue, tout a été bouleversé. 

L’avenir remplaçant le passé, le jeune a remplacé le vieux. Il a remplacé l’ancien parce qu’e la capacité de changer et de se renouveler a été considéré comme source de force, de pouvoir et d’autorité. 

À la fin du Guépard de Lampedusa le héros a cette phrase « Que tout change pour que rien ne change ».  Cette phrase définit fort bien ce qu’est la modernité. 

Toute société a besoin de se conserver. Toutefois, il y a deux façons d’y parvenir. On peut se conserver par la permanence de l’ancien. On peut se conserver par le renouvellement de l’avenir. La modernité a choisi de se conserver par le renouvellement de l’avenir. D’où le passage du vieux au jeune comme source de force, de pouvoir et d’autorité.  Aux États-Unis, nation jeune, c’est particulièrement le cas. 

Les seniors se sont adaptés à ce changement. L’État également. La société devenant une société urbaine et non plus paysanne, comme il n’a plus été possible de garder les personnes âgées à domicile, des maisons spécialisées ont été crées en allant de la résidence à l’établissement hospitalier et aux services de soins palliatifs. 

À travers les retraites, les aides aux personnes âgées et le système hospitalier ou bien encore de soins palliatifs, on ne peut pas dire que le monde moderne ne veille pas sur les personnes âgées. Si la vieillesse n’a plus le pouvoir que donne le prestige symbolique, on se trompe quand on pense qu’elle est purement et simplement refoulée. Les choses sont plus fines et plus complexes que cela. Bien des choses sont faites pour les personnes âgées. Pas assez toutefois, beaucoup de personnes âgées, trop de personnes âgées vivant encore difficilement, trop difficilement du fait de la faiblesse de leurs ressources. 

Le Japon a su conserver un équilibre entre tradition et modernité en s’efforçant de faire cohabiter les deux. Il a su notamment donner une place à la vieillesse qui a un prestige symbolique qu’elle n’a plus en Occident. 

À Okinawa, il existe une communauté de centenaires qui vivent joyeux ensemble en buvant du thé, en mangeant des algues, en chantant, en dansant, en méditant. Respirant la joie, ils ont un hymne intitulé « La chaleur de nos coeurs empêche nos cœurs de rouiller ». Les centenaires d’Okinawa au Japon sont la preuve que la vieillesse est encoe possible au sein de la modernité. 

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