Enfin des profits record pour Amazon : Jeff Bezos vient-il de démontrer qu’il avait réussi son pari de réinventer le capitalisme?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le cours n'a jamais cessé de grimpé (sauf en 2007 - 2008), cet été la capitalisation d'Amazon.com a dépassé celle de Walmart (environ 200 milliards de $) elle dépasse ces jours les 300 milliards de $.
Le cours n'a jamais cessé de grimpé (sauf en 2007 - 2008), cet été la capitalisation d'Amazon.com a dépassé celle de Walmart (environ 200 milliards de $) elle dépasse ces jours les 300 milliards de $.
©Reuters

Success story

Après une année 2014 dominée par la baisse de son chiffre d'affaires et des pertes abyssales, Amazon.com revient en force en cette année 2015, notamment au travers de sa fulgurante progression boursière. 20 ans après avoir créé la société, Jeff Bezos tient enfin le succès de sa stratégie de long terme.

Christophe Benavent

Christophe Benavent

Professeur à Paris Ouest, Christophe Benavent enseigne la stratégie et le marketing. Il dirige le Master Marketing opérationnel international.

Il est directeur du pôle digital de l'ObSoCo.

Il dirige l'Ecole doctorale Economie, Organisation et Société de Nanterre, ainsi que le Master Management des organisations et des politiques publiques.

 

Le dernier ouvrage de Christophe Benavent, Plateformes - Sites collaboratifs, marketplaces, réseaux sociaux : comment ils influencent nos Choix, est paru en mai  2016 (FYP editions). 

 
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Atlantico : Alors qu'en octobre 2014, Amazon.com décevait une nouvelle fois ses investisseurs avec des pertes records, et un chiffre d'affaires en baisse, la société dirigée par Jeff Bezos a doublé son cours de bourse lors de cette année 2015. S'agit-il enfin de la consécration pour le géant de la distribution et de sa stratégie du long terme ?

Christophe Benavant : La consécration ? Elle n'est pas encore venue car au rythme de l'évolution de sa capitalisation boursière on peut s'attendre encore à des records. Le cours n'a jamais cessé de grimpé (sauf en 2007 - 2008), cet été la capitalisation d'Amazon.com a dépassé celle de Walmart (environ 200 milliards de $) elle dépasse ces jours les 300 milliards de $. Et le rythme c'est accéléré au cours de cette année. Très clairement les investisseurs font confiance à la stratégie de Bezos, et s'ils acceptent de ne pas recevoir de dividendes immédiatement c'est qu'ils ont confiance dans la valeur future de l'entreprise. Ils misent sur la croissance !

Dans sa lettre envoyée aux investisseurs en 2012, Jeff Bezos indiquait qu'il refusait de se plier aux exigences du court termisme des actionnaires, en soutenant la nécessité d'investir toujours plus dans son entreprise. Plus largement, le dirigeant d'Amazon critiquait ce capitalisme du court terme. En quoi ce refus de la rentabilité à court terme a été la voie du succès pour Amazon ?

Il n'y a pas de capitalisme de court-terme. Il y a du capitalisme tout court. La valeur d'une entreprise est la valeur des bénéfices futurs. Dans le cas d'Amazon.com, les actionnaires pensent qu'ils s'enrichiront plus avec la croissance que par une prise de bénéfice immédiate. La stratégie de croissance de Bezos les conforte dans ce choix. Et elle est remarquable. Dans l'activité traditionnelle : le e-commerce, amazon.com donne le rythme à toute la distribution en se focalisant sur l'essentiel : délivrer le plus vite possible, c'est à dire maintenant avec un objectif dans l'heure, et de la manière la plus gratifiante pour les clients et les meilleurs clients (le programme prime notamment). Sur ce point Amazon surpasse toute la concurrence, quand on pense que dans les années 2000 la VAD traditionnelle se battait pour la livraison en 48h puis en 24h ! 

L'excellence opérationnelle n'est pas tout. Amazon.com n'est pas un commerçant, ou seulement en partie, c'est une place de marché. Autrement dit au lieu d'acheter puis de vendre, et d'assumer les risque d'invendu, Amazon.com loue ses espaces virtuels à des tiers, se rémunérant par une commission sur les ventes : le risque est réduit et l'offre devient incroyablement large. Cette stratégie de plateforme a été mise au service de la diversification, une diversification qui déborde les rayons du bazar (livre, disque, électroniques, électro ménagers etc.…) jusqu'à l'alimentation pour toucher depuis cet été les services à la personne avec le lancement de Amazon Home Service et aussi le "fait-main" avec Hand Made at Amazon qui concurrence Etsy. Le dernier vecteur de croissance est celui de l'internationalisation en ouvrant des plateformes spécifiques en Inde, au Brésil, au Mexique, en Australie, au Pays Bas depuis 2012, et sans doute plus tard dans d'autre pays. 

La voie du succès d'amazon.com s'est au fond d'abord un modèle de plateforme qui n'est pas un modèle de commerce répétons-le : le commerçant achète et revend, Amazon relie vendeur et acheteur, c'est ensuite un modèle d'excellence opérationnel tant dans la maitrise logistique que dans l'acheminement des produits aux clients. C'est ensuite le pari intelligent du big-data mis au service de la plateforme, c'est à dire la capacité à coordonner des milliards de transactions de la manière la plus précise pour livrer le plus rapidement et de la manière la plus personnalisé : il y a autant de boutique que de consommateurs, plus encore autant de boutique que de situation d'achat. Le remarquable dans ce modèle c'est qu'il ne semble pas connaitre de limite d'échelle, ou plutôt que son échelle est celle du monde. 

La voie du succès est aussi une certaine manière de faire qui est d'apprendre, d'abord aux États-Unis, pour étendre à l'échelle ce qui a été maitrisé. Un apprentissage opiniâtre, qui passe par l'expérimentation et l'exploration systématique de toutes les techniques innovantes en matières de commerce : moteur de recommandation, bouton de commande, livraison sur abonnement, robotique et même cette idée de livraison par Drone, dont je ne sais si elle est avant tout publicitaire ou réelle, puis leur passage à l'échelle.

Elle est enfin, oui, une vision à long terme. Mais dans un sens très précis, Jeff Bezos est persuadé que la rentabilité à terme est liée à la très grande échelle. Pour distribuer efficacement à prix faible, c'est l'enjeu, il faut disposer zone géographique par zone géographique, d'un système logistique à grande échelle et intégré. Le long terme c'est la construction de cette infrastructure.

A l'inverse, Amazon est régulièrement critiqué pour ses pratiques fiscales et le traitement de ses employés. Les bienfaits du long terme vantés par Bezos ne sont-ils que le masque de pratiques douteuses ?

Les pratiques fiscales ne sont pas propres à Amazon et sont le fait commun des transnationales dont l'horizon dépasse les Etats, et qui jouent de la concurrence fiscale et des jeux de prix de transfert interne. Dans le cas français le fisc enquête et effectivement l'impôt payé en France est sans rapport avec l'activité effective car la facturation était effectuée à partir du Luxembourg. Ceci dit même si comme Amazon.com s'y est engagé les activités seront bien déclarées dans le pays où les activités sont effectivement réalisées, le jeu des facturation interne peut faire disparaitre les profits imposables. L'harmonisation fiscale au moins à l'échelle de l'Europe est indispensable, et ironiquement les souverainismes sont les alliés des transnationales ! 

Quant au traitement des employés, oui les emplois de picking, et de livreurs, qui forment la masse des emplois gérés directement et indirectement par Amazon.com sont à la fois peu gratifiants et soumis à un management à la performance intense. L'œil d'Amazon est certainement rivé sur les gains de productivité. Mais ce n'est pas spécifique à Amazon, c'est structurel aux activités industrielles où les tâches sont simples et répétitives et les salariés aisément substituables. Le seul remède passe par le dialogue social et donc par des syndicats assez forts, pour établir des règles acceptables de salaires et de conditions de travail. 

Les bienfaits du long terme de Bezos sont ceux d'un capitalisme ordinaire, ils sont tournés vers ceux des investisseurs et aussi soulignons-le celui des clients. Je n'utiliserais pas le terme de pratiques douteuses. Disons que ce type d'entreprise pose un problème de société important dans la mesure où c'est le bien-être du consommateur qui est favorisé parfois au détriment des travailleurs et des Etats. Les premiers veulent consommer vite et peu cher, les derniers en font les frais... La question est bien plus vaste qu'Amazon, elle est celle de trouver des équilibres entre les différentes parties de la société, des équilibres que la seule dynamique des marchés n'arrive pas en fait à trouver.

L'insolente réussite d'Amazon.com a au moins l'avantage de nous rappeler la difficulté à trouver ces équilibres, et le rôle fondamental de la politique ! 

De la même façon, le Prix Nobel d'économie Paul Krugman a pu critiquer la situation monopolistique du géant de la distribution. Globalement, quelle a été la valeur ajoutée, si elle existe, apportée par Amazon aux consommateurs ?

Krugman parle plus précisément de monopsone. Le problème qu'il évoque est celui du livre. Effectivement aux Etats-Unis surtout, mais en France aussi, Amazon est devenu le premier acheteur de l'édition et a tendance à exercer un pouvoir de négociation qu'on peut considérer comme excessif, imposant des prix d'achat faibles pour proposer des prix de vente faibles, à l'avantage des consommateurs, et augmenter ainsi ses ventes, mais cela au prix d'une pression insupportable pour les éditeurs, et par conséquence pour les auteurs surtout pour ceux dont l'œuvre originale et exigeante ne réalisent pas de fortes ventes, les bestseller sont moins concernés, ils se rattrapent par le volume. Krugman estime qu'Amazon abuse de ce pouvoir, et que par conséquent l'Etat doit corriger cet abus de pouvoir. Ajoutons que lorsqu'on lit la chronique de Krugman, il fait explicitement référence à la Standard Oil, et à son démantèlement ordonné en 1911 par la cour suprême américaine. Mais une telle décision n'est pas, encore, d'actualité, pour Amazon.com.

Cependant dans les deux cas, cela met en lumière une idée importante : si les consommateurs peuvent bénéficier pleinement du monopsone, cela peut l'être au prix de la destruction de pans entiers d'activité et de la diversité économique et culturelle. Faire du client un roi, c'est risquer de déséquilibrer une société toute entière. Le meilleur remède avant l'intervention de l'Etat serait naturellement que des concurrents sérieux émergent et c'est là où une critique véritable peut s'adresser à Amazon.com : certaines de ses pratiques ne vise pas tant à croître qu'à faire disparaitre la concurrence. C'est le cas du lancement de HandMade at Amazon, qui n'est clairement pas meilleur que Etsy, mais menace et peut déstabiliser cette plateforme d'un genre nouveau qui assure le lien commercial entre des artisans, des petits producteurs et les clients. L'innovation peut tuer l'innovation des autres !

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