Encore plus de chaînes demain : tout ce que la TNT a changé à la télévision et à notre manière de la regarder<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Assemblée nationale examine à partir de ce mardi 23 juin le projet de loi sur la nouvelle télévision numérique terrestre (TNT).
L'Assemblée nationale examine à partir de ce mardi 23 juin le projet de loi sur la nouvelle télévision numérique terrestre (TNT).
©Reuters

Zappette

Dix ans après son lancement officiel, l'Assemblée nationale examine à partir de ce mardi 23 juin le projet de loi sur la nouvelle télévision numérique terrestre (TNT).

Olivier Ezratty

Olivier Ezratty

Spécialiste des médias numériques, Olivier Ezratty conseille les entreprises des métiers de l’image (TV, cinéma, vidéo, photo) pour l’élaboration de leurs stratégies d’innovation dans les dimensions marketing et technologiques. Il intervient aussi bien auprès de grandes entreprises qu'auprès de start-ups et de fonds d’investissements.

Dans son blog Opinions Libres, il décode les mouvements des acteurs de l’industrie des médias numériques et publie notamment son rapport annuel de visite du Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas.

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Atlantico : Que va changer le projet de loi sur la TNT qui sera discuté à l'Assemblée nationale le 23 juin au soir ?

Olivier Ezratty : Cette loi prévoit surtout de réaffecter aux opérateurs télécoms des fréquences utilisées jusqu’à présent par les chaines de la TNT. Cette réallocation est rendue possible par le passage progressif du MPEG 2 au MPEG 4 / H264 pour l’encodage et la compression des images. A terme, cela devra aussi préparer le passage au DVB-T2 qui remplacera le T1 actuel et qui permettra de diffuser des chaînes TNT en Ultra HD (quatre fois la résolution de l’actuelle HD) sans occuper pour autant plus de spectre hertzien. 

Dix ans après le lancement officiel de la TNT, quel premier bilan peut-on en tirer sur les habitudes des téléspectateurs et les bouleversements qui s'en sont suivis ?

Il y a eu au moins deux bouleversements majeurs au milieu d'autres. D'abord, le lancement de la TNT a eu pour conséquence de multiplier l'offre de chaînes et donc de diluer l'audience des grandes chaînes qui doivent désormais se partager un gâteau moins gros. Les chaînes historiques représentent environ les deux tiers de l'offre et toutes les autres chaînes sont concentrées dans le tiers restant (62,3% vs 37,7% en juin 2015 selon Médiamétrie).

L'avènement de la TNT a aussi eu pour conséquence de consacrer le rôle des chaînes d'information en continu, jusqu'ici cantonnées aux bouquets payants. Les deux grandes chaînes que sont iTélé et BFMTV sont rentrées dans les moeurs, au point que celles qui sont restées payantes comme LCI périclitent.

Pourtant, la TNT n'a pas tant que cela changé les habitudes en dehors de la dilution de l'audience.

La pratique de la télévision a été beaucoup plus bouleversée par la consommation dite non-linéaire et sur d’autres écrans que celui du poste de télévision. Aujourd'hui par exemple, entre 10 et 20% de l'audience des programmes de grandes chaînes passent par d’autres écrans et par la télévision de rattrapage. Et plus la consommation se fait hors de l’écran de TV, plus les revenus publicitaires migrent vers d’autres sources.

Une véritable révolution technologique a accompagné l'essor de la TNT avec le développement des boxes, de la télévision de rattrapage, et maintenant des télévisions connectées. Comment des changements techniques modifient les habitudes de consommation de la télé ?

La TNT a surtout dilué l'audience. Les principaux changements techniques ont été introduits principalement par le non-linéaire. Un autre bouleversement technique qui a accompagné la TNT a été l'émergence des écrans 16/9 et la haute définition. La TNT a accompagné ce mouvement. La taille de l'écran n'a eu de cesse d'augmenter, de un à un pouce et demi tous les ans environ. En 2014, les écrans vendus en France faisaient en moyenne 35,9 pouces de diagonale (selon GFK). Trois ans plus tôt, on était à 31,4 pouces. Cette évolution, qui permet de profiter d'une meilleure qualité d'image, est liée à la baisse du prix des écrans plats, un mouvement qui a accompagné le lancement de la TNT il y a dix ans.

Un autre changement est intervenu à partir de 2011, l’arrivée de HbbTV, ce standard européen qui permet d’ajouter de l’interactivité issue d’Internet aux programmes de la TNT. Une bonne part du parc de TV supporte maintenant ce standard mais son usage reste faible en France car les TV sont prioritairement connectées à Internet via les box des opérateurs télécoms, qui ne supportent pas HbbTV.

Certaines évolutions ont modifié la donne plus que d'autres. Avec le replay et la vidéo à la demande, on ne regarde plus "une chaîne" mais "un programme". La valeur que les téléspectacteurs accordent à une chaîne de télévision a-t-elle été profondément modifiée avec l'essor de la TNT ?

En effet, les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux marques-programmes plus qu'aux chaînes. On note aussi un mouvement dont l'expansion est plutôt liée au piratage : la consommation de séries télévisées, conçues de façon à générer un phénomène d'addiction avec l'apparition des mini-séries, où chaque épisode suit le précédent alors qu'auparavant, les épisodes étaient indépendants. On a assisté aussi au développement du binge-viewing, popularisé par Netflix, depuis que cette plateforme a lancé il y a trois ans House of Cards en proposant toute la saison d'un seul coup. La TNT reste un mode de diffusion très traditionnel, vertical, top-bottom, avec une diffusion linéaire.  Il s'agit seulement d'une évolution technique des modèles anciens, qui s'est développée indépendamment d'Internet.

A-t-on constaté une évolution dans l'offre des programmes ? La concurrence accrue a-t-elle joué sur la qualité ? Paradoxalement, avec l'essor des nouvelles chaînes sur la TNT, le public regarde énormément de rediffusions....

Les réactions ont été différentes selon qu'il s'agisse de petites ou de grandes chaînes. Ces dernières ont été amenées à mettre de plus en plus l'accent sur l'évènementiel, le direct ou le pseudo-direct. Le premier Loft Story, qui date de 2001 sur M6, a engendré des petits, des émissions de télé-réalité sur l'habillement, la cuisine, la perte de poids et l’équipement des foyers. Tous les pans de la vie quotidienne ont été couverts par la télé-réalité pour se rapprocher des préoccupations des foyers. Deuxième point : la montée en puissance des séries télé encouragées par la VOD, dont la popularité est récente (CanalPlay et Netflix viennent à peine de totaliser à eux deux plus d’un million d’abonnés) et le piratage. Les jeunes consomment plutôt de la vidéo que de la télévision. Ils consomment de plus en plus de vidéos courtes sur Youtube, de séries télévisées et de télévision de rattrapage à l’exception peut-être des grandes compétitions sportives.

Pour la première fois depuis le lancement de la TNT, une chaîne, Numéro 23, a fait 0% de parts d'audiences en prime time. Une étude de Médiamétrie en date de 2013 révélait que malgré la multiplication des chaînes, les Français regardent en moyenne 6,5 chaînes - contre 5,5 en 2008. Comment expliquer cette stagnation ? A-t-on assisté à une "fragmentation" des publics ?

Le choix de contenus augmente pour couvrir des besoins différents. Ainsi, la petite part de l’audience qui apprécie les documentaires aime les petites chaines de la TNT ainsi que ARTE et France 5. Les plus jeunes peuvent aller sur Gulli. Il faut intégrer le fait que les audimats agrègent jeunes, moins jeunes et seniors. Les seniors ont tendance à consommer moins de contenus différents et à rester fidèles à une chaîne, France 3 par exemple. Ils zappent moins que les jeunes. Certaines évolutions de la consommation extrêmement développées chez les jeunes sont tempérées par les habitudes des seniors. Comme la population vieillit, en tout cas dans les pays occidentaux, on arrive à un équilibre statistique des usages entre le non-linéaire (TV de rattrapage, vidéo à la demande, autres sources) et le linéaire (chaines TV en direct). Ce phénomène est accentué au Japon où la population vieillit beaucoup plus vite que chez nous !

Dernière conséquence de l'apparition de la TNT : le rôle du cinéma à la télévision a beaucoup baissé, sauf peut-être chez Canal+. A une époque, le petit écran jouait un rôle important pour la diffusion des films. Aujourd'hui, les vieux films qui repassent font toujours de l'audience certes, mais leur rôle est moindre dans la programmation. La diffusion du cinéma par d'autres canaux est devenue au fil des années de plus en plus importante, avec les supports physiques (DVD puis Bluray, actuellement en déclin), la vidéo à la demande (en croissance), le piratage (toujours très élevé) et dans une moindre mesure l'expansion de l'offres des chaînes TV. Les jeunes accèdent aux films plusieurs fois avant leur diffusion gratuite à la TV. Et l’offre de contenus de fiction est pléthorique.

Avec la TNT, on voit donc moins de cinéma à la télévision, plus de séries télévisées, plus d'événementiel et plus de sports. Les informations et les documentaires sont plutôt stables. Le sport joue à ce titre un rôle important. C'est la dernière branche à laquelle les grandes chaînes télévisées s'accrochent car le sport, c'est du temps réel et de l'exclusivité. Canal + et les autres chaînes comme BeiN se battent en duel pour obtenir les droits de diffusion des ligues de football, des jeux olympiques, du Tour de France et de Roland-Garros parce que ce sont des évènements fédérateurs de grands bassins d'audience.

Pour autant, la dimension sociale de la télévision a-t-elle totalement disparu ? Qu'en est-il des grand-messes cathodiques ?

La dimension sociale de la télévision se retrouve désormais dans les trafics sur les réseaux sociaux. Les émissions de téléréalité et les grands évènements sont de très gros générateurs de flux de conversations dans les réseaux sociaux. C’est le cas aussi lors des principales échéances politiques, notamment pendant les élections présidentielles. TF1 avait battu des records avec The Voice en 2013. Cependant, si l'appétence à commenter des contenus à la télévision sut Twitter et Facebook a connu un décollage vers 2010-2011, elle semble désormais stable. Un phénomène d'usure qui se crée. Les chaînes de télévision ont essayé d'attirer leurs audiences vers leurs applications, en vain.

L'expérience de la social TV a plus de chances de se produire dans les réseaux sociaux horizontaux type Facebook ou Twitter que sur les applications dédiées des chaînes de télévision. Ce qui a engendré une bataille entre réseaux sociaux et télévisions. Au point que Canal + et TF1 ont signé, en octobre 2013, un accord avec Facebook pour avoir accès à des outils de mesure de conversation en temps réel sur leurs contenus. Comme les consommateurs de télévision passent plus de temps sur Facebook que sur les applications des chaînes télévisées, par simple mesure de bon sens, il faut savoir associer les usages de la télévision aux consommateurs.

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