En Afrique de l’Ouest se joue la sécurité extérieure du sud l’Europe pour la décennie à venir<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Un véhicule militaire de l'armée française appartenant à un convoi de troupes françaises est vu traversant le quartier du Lazaret à Niamey le 10 octobre 2023.
Un véhicule militaire de l'armée française appartenant à un convoi de troupes françaises est vu traversant le quartier du Lazaret à Niamey le 10 octobre 2023.
©AFP

Fragile

Une tribune de Loup Viallet, spécialiste géopolitique africaine et économie internationale.

Loup Viallet

Loup Viallet

Loup Viallet est spécialiste en économie internationale et en géopolitique africaine. Il est l’auteur de La fin du franc CFA (2020) et Après la paix (2021).

Voir la bio »

Combien de temps les Etats du golfe de Guinée résisteront-ils à l’effondrement de leur voisinage sahélien ? Le morcellement accéléré du Mali, du Burkina Faso et du Niger constitue une source de déstabilisation majeure pour les pays et les peuples frontaliers du Sahel. De la Mauritanie au Nigéria, ils sont en première ligne face à un faisceau de périls existentiels dont l’inflation menace de les entraîner dans une triple faillite : politique, sécuritaire et économique. Leur basculement aurait des conséquences désastreuses pour les Etats d’Afrique du Nord, déjà saturés par l’immigration clandestine subsaharienne et pour les frontières du sud du continent européen.

Depuis la fin de l’opération Barkhane, l’éclatement du G5 Sahel et le retrait de la MINUSMA, la fragile architecture sécuritaire du Sahel a volé en éclats, révélant une ligne de fracture à l’intérieur de la sous-région ouest-africaine. D’un côté, les régimes putschistes installés à Bamako, Ouagadougou, Niamey et Conakry, qui ont exploité les faiblesses de leurs pays pour se hisser et se maintenir au pouvoir. De l’autre, les gouvernements riverains à la fois du golfe de Guinée et de la bande sahélienne, qui gèrent les répercussions de l’instabilité attisée par les actions, les discours et les alliances des putschistes.

Les Etats du Golfe de Guinée font face à une recrudescence des incursions des groupes terroristes djihadistes sur leur sol. Pour endiguer ces mouvements, les gouvernements ouest-africains militarisent leurs frontières communes avec les Etats sahéliens. Le gouvernement sénégalais a redéployé ses forces militaires au sud-est du pays et a positionné une nouvelle caserne près de la frontière malienne. Les gouvernements de la Mauritanie, de Côte d’Ivoire, du Ghana, du Togo, du Bénin et du Nigéria ont tous renforcé leur présence militaire aux frontières partagées avec les Etats sahéliens. Seule la Côte d’Ivoire ne déplore plus d’attaques terroristes depuis 2021, mais elle a accueilli un nombre record de réfugiés fuyant les violences djihadistes. En juillet dernier, le Haut-Commissariat Des Nations Unies pour les Réfugiés des Nations Unies et le gouvernement ivoirien estimaient à plus de 31000 le nombre de réfugiés burkinabè présents dans les régions du nord de la Côte d’Ivoire. 

La multiplication des attaques terroristes et l’accroissement de la pression migratoire sur les pays du golfe de Guinée a institué un nouveau type de rapport de force, dont les juntes sahéliennes cherchent à tirer parti. Ils ont une puissance de nuisance qui se renforce au fur et à mesure que les faiblesses de leurs pays menacent la stabilité de leur voisins. Cette instrumentalisation de leurs propres fragilités semble être de nature à diviser le front des pays du golfe de Guinée, ainsi qu’en témoignait le discours du ministre des Affaires étrangères du Togo Robert Dussey prononcé à la tribune des Nations Unies en septembre dernier. Empruntant la terminologie des régimes putschistes du Sahel, ce dernier s’était opposé à une intervention armée de la CEDEAO (l’organisation multilatérale réunissant les gouvernements ouest-africains) visant à rétablir l’ordre constitutionnel au Niger, marquant ainsi ses distances avec les positions soutenues par la majorité des Etats membres de l’organisation régionale. Fait notable : en mai 2023, le ministre Dussey avait été élevé au rang de Commandeur de l’ordre national du Mali par le chef de la junte malienne, le colonel Assimi Goita.

La dérive des gouvernements putschistes du Sahel influence aussi des hommes politiques ouest-africains qui aspirent à gouverner leurs pays en imitant les modèles populistes. C’est le cas d’Ousmane Sonko au Sénégal, soutien public de la junte malienne et leader d’un mouvement insurrectionnel, le PASTEF, qui a tenté de renverser le gouvernement sénégalais en juin dernier en suscitant une série d’émeutes et de pillages dans la capitale. La poussée populiste, attisée de l’extérieur par des idéologues factieux comme les Français Juan Branco et Gilles Capochichi (connu sous le nom d’emprunt « Kémi Séba ») a finalement échoué à propager la terreur. Le Pastef a été dissous et la sûreté de l’Etat, garantie. Cette crise aura même renforcé l’attachement de l’Etat du Sénégal au principe de légalité : en annonçant sa décision de ne pas se représenter à la magistrature suprême, le président Macky Sall est devenu le premier chef d’Etat de l’histoire de son pays à ne pas solliciter un troisième mandat. Mais la stabilité est un combat de tous les jours : son successeur à la tête de l’alliance Benno Bokk Yakaar, le premier Ministre Amadou Ba, devra relever des défis vertigineux pour remporter le scrutin présidentiel de février 2024. La chute du Sénégal renforcerait le pouvoir des putschistes sahéliens et permettrait au groupe russe Wagner, solidement ancré au Mali, d’étendre son emprise en Afrique de l’Ouest.

Dans les semaines et les mois à venir, la stabilité des Etats du golfe de Guinée ne cessera d’être testée. Leur basculement hypothéquerait toute possibilité d’émergence économique dans la région, provoquerait une amplification des déplacements forcés en Afrique de l’Ouest, déclencherait de nouvelles crises migratoires en Afrique du Nord et en Europe tout en renforçant le pouvoir de nuisance des putschistes et du Kremlin en Afrique de l’Ouest. Leur échec dans cette épreuve serait un désastre géopolitique incommensurable pour l’Afrique comme pour l’Europe. Les Etats du golfe de Guinée doivent pouvoir compter sur des alliés déterminés. Le défi à relever n’est pas régional, il est intercontinental.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !