Emmanuel Macron peut-il sauver son quinquennat sans passer par la case crise ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'une réunion en ligne avec les dirigeants du G7 et le président de l'Ukraine au palais de l'Élysée à Paris, le 24 février 2023.
Emmanuel Macron lors d'une réunion en ligne avec les dirigeants du G7 et le président de l'Ukraine au palais de l'Élysée à Paris, le 24 février 2023.
©CHRISTOPHE PETIT TESSON POOL AFP

Sursaut

La résignation progressive des opposants à la réforme des retraites n’est pas forcément le scénario politique le plus favorable au président.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Après une période tendue à l’Assemblée, on semble observer la résignation progressive des opposants à la réforme des retraites. Même si cela peut être favorable à Emmanuel Macron à court terme, cela suffira-t-il à relancer son quinquennat de l’emporter sur les retraites ?

Arnaud Benedetti : Il est vraiment très prématuré de considérer qu'il y ait une forme de résignation, sauf à céder au piège et mal de notre époque, celui de l'immédiateté. A ce stade, il ne faut préjuger de rien et notamment de l'évolution à venir d'un mouvement social. Nous sommes dans une parenthèse entre la fin de la discussion parlementaire, la première lecture, à l'Assemblée nationale, sa reprise au Sénat et la journée d'action nationale du 7 mars. Cette journée sera décisive : de son ampleur dépendra la suite de la réforme… et peut-être du quinquennat. Un blocage qui s'installerait dans la durée avec un soutien de l'opinion publique changerait évidemment la donne. Nous n'en sommes pas encore là, c'est un fait, mais l'hypothèse, si elle prenait forme, constituerait à coup sûr l'entrée dans une phase de grande incertitude, avec une crise sociale qui pourrait muter en crise politique, voire de régime.

Mais si nous retenons votre question, à savoir l'option d'un succès de l'exécutif, et d'une résignation de l'opinion, malgré l'hostilité de cette dernière à la réforme, il va de soi que le Président pourrait se targuer d'avoir réussi à faire adopter un texte dont il fait l'un des emblèmes, même s'il en surestime la portée, de ce qu'il excipe comme son logiciel "réformiste". Cette réussite sur le court terme pourrait s'avérer être le meilleur carburant sur la distance pour d'autres révoltes sociales mais surtout politiquement pour le Rassemblement National qui ne manquerait pas dès lors de capitaliser à horizon électoral constant sur ce qui sera vécu et perçu comme une expression supplémentaire de la brutalité de ce que Jérôme Sainte-Marie appelle le "bloc élitaire".

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Les grandes crises, comme les Gilets jaunes, le Covid, sont les moments qui lui ont vraiment permis de rebondir. Pourra-t-il faire l’économie d’une vraie crise pour sauver son quinquennat ?

Ce n'est pas lui qui décide de l'histoire, il ne peut en être qu'un acteur relatif, voire même périphérique. L'idée que les grandes crises (Gilets jaunes ou Covid) lui auraient permis de rebondir me paraît être le résultat d'une lecture rétrospective des événements. La crise des Gilets jaunes aura surtout témoigné de l'expression de la peur quasi-physique d'un pouvoir peu habitué à la violence inhérente du surgissement de l'Histoire. Cela s'est vu, et l'exécutif comme le bloc élitaire dont il est l'émanation ont exorcisé l'événement en lâchant du lest d'un côté, notamment sur le plan budgétaire et en témoignant de l'autre côté et sans réserve d'un mépris social décomplexé digne du parti de l'ordre du milieu du XIXe siècle. Ils ont compensé leur faiblesse politique par une exacerbation de leur détestation de classe. Cela s'est vu, et même s’ils ont pu surmonter l'épreuve, notamment en raison de l'incapacité des Gilets jaunes à rationaliser leur discours et à s'offrir un débouché politique, ils ont trop dit d'eux-mêmes pour pouvoir échapper à la détestation populaire qu'ils ont suscité et qu'ils continuent de générer.

Sauver les meubles politiquement ne signifie pas s'assurer d'une victoire sur la durée. Ils ont perdu dans la mesure où ils ne sont pas parvenus à dissimuler leur fragilité intrinsèque et leur réflexe oligarchique, ce dépôt perceptif est un poison lent qui nourrit ressentiments et mobile à mobilisation. A cette défaite en termes d'image est venu se greffer une défaite idéologique dont la crise sanitaire a consacré l'acte. Le "quoi qu'il en coûte" c'est le retour de l'Etat social contre la "start-up", c'est le recours au "pognon de dingue" pour éviter le collapsus général. Tout le reste, les circonvolutions sur la nécessité de se "reconstruire", les commentaires des professionnels du commentaire sur l'habileté tactique de l'Elysée relèvent de la "littérature", de l'interprétation immédiate de l'immédiateté. Le macronisme s'est survécu et se survit encore non pas parce que les événements valident son corpus (au contraire ils l'invalident) mais parce qu'il est conditionné par la fracturation du champ politique et des oppositions.

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En outre, et c'est même le sujet principal, la question du quinquennat que vous posez est indissociable de la législature. Cette dernière ira-t-elle jusqu'à son terme ? C'est la seule question qui vaille. Pour le coup, Emmanuel Macron qui aime à tutoyer le précipice - ce qui fait son caractère éminemment romanesque - pourrait être tenté par une dissolution, le moment venu, pour fabriquer une nouvelle sorte de "golem" partisan. C'est au demeurant sa seule marge de manœuvre, elle n'est pas sans risque, mais elle pourrait être un levier pour refabriquer quelque chose d'inédit ou de totalement transgressif, si l'on se retrouvait dans une configuration inédite sous la Ve République avec une Assemblée à la majorité introuvable... ou interdite.

Sans un moment de crise qui ferait bouger les lignes, son quinquennat est-il condamné à une forme d’immobilisme ? Et à des victoires à la Pyrrhus ?

La malédiction du second mandat c'est l'asthénie. Une fatigue dont on ne se sort pas. Même De Gaulle y a été confronté, il a compris par une intuition hors pair qu'elle compromettait l'énergie nationale ; alors il a mis son mandat dans la balance, via un référendum qui l'a défait. Mitterrand a fait de même, avec Maastricht, mais les affaires, les luttes fratricides du PS, la maladie du Prince aussi ont épuisé son septennat qui s'est achevé sur une cohabitation. Chirac a tout brûlé dès sa première mandature ; il a installé le quinquennat et déséquilibré avec Jospin l'architecture constitutionnelle, puis il a inauguré les réélections par usage de la diabolisation des populismes, dont Emmanuel Macron a industrialisé l'esprit par deux fois en 2017 et en 2022.

Macron est-il condamné à cette fatalité qui veut que tout second mandat soit celui de l'épuisement, le mandat de trop ? Le Président sait que rien de collectif dans le premier quinquennat ne marquera l'histoire de la République, si ce n'est des événements exogènes comme la crise des Gilets jaunes et la crise sanitaire. Alors il investit dans cette réélection par défaut pour essayer de laisser une empreinte. Le problème c'est que structurellement cette Assemblée est une contrainte durable et épaisse qui entrave l'action présidentielle. Peut-il conserver avec une absence de majorité une motricité suffisante pour décliner un agenda dont il serait maître ? Rien n'est moins sûr. Les textes qui viennent seront l'objet d'une incertitude ontologique : l'immigration évidemment et ne parlons même pas de la réforme constitutionnelle qui à ce stade, au regard de la composition du Congrès, apparaît difficilement engageable. La psychologie profonde d'Emmanuel Macron, où ce que l'on paraît en connaître, incite à penser qu'il tentera le moment venu peut-être l'un de ces coups de poker dont un homme de pouvoir aussi joueur que lui aime à expérimenter.

Quel type de crise pourrait permettre à Emmanuel Macron de se relancer ?

Le pari qu'il fait vraisemblablement c'est le désordre, la radicalisation des oppositions, l'excès de la gauche insoumise et de ses surgeons, l'inaptitude du RN à se crédibiliser et l'incapacité des Républicains à se reconstruire comme alternative un tant soit peu charismatique et audible. Il est vrai que l’espace public est parcouru d'une telle inflammabilité qu'une crise sociale et politique pourrait d'une certaine manière servir une stratégie de sortie de crise, encore une fois par dissolution en première intention. De Gaulle l'a fait en 1968, mais Macron n'est pas De Gaulle et De Gaulle a fini, malgré des législatives victorieuses, par perdre la main aussi...

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