Emmanuel Macron, le plus à gauche des candidats de droite<!-- --> | Atlantico.fr
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Peut-on considérer qu'Emmanuel Macron a "réinventé" la gauche de gouvernement ?
Peut-on considérer qu'Emmanuel Macron a "réinventé" la gauche de gouvernement ?
©BENOIT TESSIER / POOL / AFP

Echiquier politique

Emmanuel Macron avait triomphé lors de l'élection de 2017 en récoltant une partie des voix des sympathisants du PS. L'identité politique d'Emmanuel Macron le rapproche-t-il d'un candidat de la gauche de gouvernement ?

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. Il a également publié en 2022 La vraie victoire du RN aux Presses de Sciences Po. En 2024, il a publié Les racines sociales de la violence politique aux éditions de l'Aube.

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Atlantico : On se souvient qu’Emmanuel Macron avait remporté l'élection de 2017 en s’appuyant notamment sur les sympathisants du PS. Cinq ans après, dans quelle mesure sont-ils en passe de lui permettre une réélection selon les sondages ? Emmanuel Macron est-il d’une certaine manière, le candidat de la gauche de gouvernement ?

Luc Rouban : Emmanuel Macron récupère environ 72% de ses électeurs de 2017 selon la dernière vague (janvier 2022) du Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF. Mais il faut lire les chiffres dans les deux sens car cet électorat de 2017 ne constitue que 56% de son électorat potentiel actuel. Par où s’est fait le renouvellement ? Pas par les électeurs de gauche qui n’apportent que 9% mais bien par les électeurs de droite, au sens large, qui en apportent 17%, et par les abstentionnistes qui en apporteraient 19%. Ceux qui avaient voté Benoît Hamon en 2017 n’iraient voter en faveur d’Emmanuel Macron qu’à 17% et ceux qui avaient choisi  Jean-Luc Mélenchon ne deviendraient macronistes en 2022 qu’à hauteur de 7%. En revanche, les électeurs qui avaient choisi François Fillon voteraient Emmanuel Macron à 19%. Tout cela pour dire que les électeurs de gauche en général et du PS en particulier ne s’orientent pas vers un vote en sa faveur. Autre preuve : si l’on prend les enquêtés qui s’estiment proches actuellement du PS, seuls 25% choisiraient Emmanuel Macron alors que 27% se dirigeraient vers Anne Hidalgo et 13% vers Jean-Luc Mélenchon. Donc, Emmanuel Macron reste bien le candidat du centre-droit. Mais il peut également, du fait de sa position institutionnelle, des nécessités de la lutte contre la pandémie et de l’éparpillement des candidatures à gauche, se présenter comme une solution pour certains électeurs de la gauche socialiste cherchant désespérant un homme ou une femme d’État pouvant contrer et la droite libérale de Valérie Pécresse et la droite radicale de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour.

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Dans quelle mesure son identité politique, et les réformes qu’il a mené pendant cinq ans, se rapprochent-t-elles de celles d’un Dominique Strauss Kahn, d’un Manuel Valls ou d’une Ségolène Royal ?

Emmanuel Macron se rapproche évidemment par son progressisme d’État - qui implique que l’État doit prendre en charge la modernisation, la libéralisation et l’ouverture de la société - du social-libéralisme d’un Dominique Strauss-Kahn. Il se rapproche aussi d’un Manuel Valls par son attachement à l’autorité de l’État. Sa proximité à Ségolène Royal est plus discutable car cette dernière a toujours beaucoup insisté sur la question de la justice sociale alors qu’Emmanuel Macron semble plus attaché à défendre la question de l’équité, notamment en célébrant la réussite ou en cherchant à favoriser la mobilité sociale. Pour le dire autrement, Ségolène Royal appartient bien plus à la gauche socialiste alors qu’Emmanuel Macron s’est toujours défendu d’être socialiste même pendant le quinquennat de François Hollande.

Peut-on considérer que Macron a "réinventé" la gauche de gouvernement malgré elle, comme Schröder l’avait fait en Allemagne et Blair au Royaume-Uni ?

Non, sa situation n’est guère comparable à celle de Blair ou de Schröder. Il ne faut pas oublier que le socialisme à la française n’est pas la social-démocratie à l’allemande ou le travaillisme à la britannique qui impliquent tous deux une forte implication des syndicats dans les décisions prises par des gouvernements de « gauche ». En France, les syndicats, sauf la CFDT et parfois l’UNSA , sont toujours restés très critiques à l’égard des gouvernements socialistes et notamment du quinquennat de François Hollande. On se souvient du bras de fer autour du refus de ce dernier de relever le point d’indice des fonctionnaires. En fait, si on lui cherche des accointances à gauche, Emmanuel Macron se rapproche en partie de ce que l’on a appelé la « deuxième gauche » bien plus favorable à l’économie de marché et aux entreprises et il rejoint dans sa vision progressiste un Michel Rocard qui était lui aussi, rappelons-le, un ancien inspecteur des Finances. Mais son tropisme est bien plus à trouver du côté du giscardisme (et Valéry Giscard d’Estaing est également issu de l’inspection des Finances) dont il partage à la fois le fort libéralisme culturel (abaissement de la majorité à 18 ans en 1974, droit à l’avortement, augmentation des droits de la minorité au Parlement, etc.) et le fort libéralisme économique. Il ne faut d’ailleurs pas s’y tromper. Si la lutte contre la pandémie a suscité une politique du « quoi qu’il en coûte » et des interventions budgétaires massives pour soutenir les entreprises ou le pouvoir d’achat des ménages (notamment sur le prix de l’électricité ou du gaz), le macronisme n’est pas devenu un gaullisme et encore moins un socialisme moderne. Il s’appuie toujours sur une vision libérale de l’économie qui autorise, pour sa survie, des interventions de l’État mais sans que le principe libéral soit contesté en tant que tel. Par exemple, sur un terrain apparemment technique, mais hautement sensible, on voit que la loi du 6 août 2019 sur la fonction publique permet de recruter des cadres sur la base de contrats et réduit au minimum le jeu du dialogue social en renforçant le pouvoir hiérarchique. Et cela, un socialiste ne l’aurait jamais fait, fût-il moderniste.

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Comment expliquer que malgré cet ancrage existant à gauche, la perception de Macron soit autre ? Comment a-t-il masqué ou brouillé son identité politique et celle de son apport à la vie politique française ?

Il faut en revenir au projet macroniste des origines. Le but en 2017 était de court-circuiter et le PS et François Hollande, qui a dû se retirer de la compétition. Il s’agissait donc de contourner l’appareil socialiste et ses luttes internes entre loyalistes et frondeurs qui avaient miné l’autorité et la marge de manœuvre du Président pendant cinq ans. La création du mouvement En Marche ! ne débouche nullement sur la constitution d’un parti à l’ancienne et ses cadres sont très souvent des inconnus issus du monde économique et de l’entreprise qui n’ont que rarement décroché des mandats locaux. L’ancrage à gauche est réel mais faible sur le plan de la sociologie du mouvement. Alors que le socialisme impliquait une longue période de socialisation politique au sein d’un militantisme très structuré, le macronisme n’est que l’émanation de la pensée et de l’action d’Emmanuel Macron. Le macronisme est de gauche comme on peut être de gauche dans les catégories supérieures, dans la mesure où il est très fortement libéral sur le plan culturel. Ses électeurs de 2017 comme ceux putatifs de 2022 se distinguent bien des électeurs potentiels de Valérie Pécresse en s’avérant bien plus tolérants à l’égard de l’immigration ou moins répressifs sur le terrain pénal mais ils s’en rapprochent en termes de profils sociaux. Le problème est que le niveau de libéralisme culturel (mesuré sur ces deux points fondamentaux) a beaucoup baissé en moyenne dans l’opinion y compris à gauche et y compris chez les diplômés qui soutiennent largement Emmanuel Macron. Un glissement de terrain général s’est produit vers davantage de répression de la délinquance et vers la fermeture des frontières aux courants migratoires. Emmanuel Macron qui avait commencé en 2017 comme un franc-tireur issu d’une gauche bourgeoise finit en 2022 comme le plus à gauche des candidats de droite.

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