Emmanuel Macron et la crédibilité de la France en Europe : quel bilan ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors de la conférence de soutien à l'Ukraine, le 26 février 2024.
Emmanuel Macron lors de la conférence de soutien à l'Ukraine, le 26 février 2024.
©GONZALO FUENTES / POOL / AFP

Mitigé

La sèche réplique du chancelier allemand à l’idée d’envoyer des troupes au sol évoquée par Emmanuel Macron est le dernier épisode en date de la relation compliquée entre le président français et les autres capitales de l’Union.

Henri de Bresson

Henri de Bresson

Henri de Bresson a été chef-adjoint du service France-Europe du Monde. Il est aujourd'hui rédacteur en chef du magazine Paris-Berlin.

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Sébastien Maillard

Sébastien Maillard

Sébastien Maillard, Directeur de l'Institut Jacques Delors, a été journaliste à La Croix.

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Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : En n’excluant pas d’envoyer des troupes en Ukraine, Emmanuel Macron semble avoir pris de court ses partenaires européens qui n’ont pas l’air d’être emballé par cette idée. Dans ce genre de situations, quand est-ce que le Président français a réussi à convaincre les autres membres de l’Union ? 

Christophe Bouillaud : En fait, si l’on regarde les situations de crise européenne qu’a affrontées Emmanuel Macron depuis son élection à la Présidence de la République au printemps 2017, il faut bien constater qu’il a souvent fait partie de la majorité des pays européens qui soutenait une certaine ligne. Lors du COVID-19, que ce soit pour la commande en commun de vaccins ou bien pour le plan de relance et son financement en commun, il a clairement été dans la majorité. De là à dire que ce sont ses propres idées qui ont triomphé à ce moment-là, c’est là une écriture de l’histoire très favorable à la geste présidentielle. Comme l’ont remarqué les observateurs à l’époque, ce sont souvent de vieilles idées, portées de longue date par la France, par les gouvernements successifs depuis des décennies, qui finissent à la faveur de circonstances favorables par s’imposer à la majorité des partenaires. En particulier, en matière de montée en puissance d’une « Europe de la défense », on ne peut pas ignorer que le Président actuel soutient une ligne très ancienne chez les dirigeants français.  Il vit donc sur un acquis de crédibilité amassé par la France depuis des décennies. Idem pour l’idée d’une relance budgétaire au niveau européen, idée déjà exprimée dans les années 1980 par Jacques Delors.

Henri de Bresson : D’une certaine manière, Emmanuel Macron a réussi son coup, soulignait mardi une journaliste de la Libre Belgique. La réunion de dirigeants européens, convoquée à la hâte à Paris ce lundi 27 février par le président français pour discuter de quoi faire face à la dernière offensive russe qui met en difficulté l’Ukraine, venait de se terminer dans la discrétion, chacun étant pressé de rentrer chez soi.

Comme à la Conférence sur la sécurité de Munich, quelques jours plus tôt, et malgré les appels pressants du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, rien n’avait été franchement décidé. Il a bien été acté de tout faire pour accélérer la fourniture de munitions à l’Ukraine, notamment pour l’artillerie, mais le cœur n’y est pas. Paralysés par le blocage au Congrès de l’aide américaine promise par le président Biden, les Européens hésitent. La rencontre serait passée inaperçue si le président français, au cours d’une conférence de presse tardive, n’avait pas lancé que tout avait été discuté et que même si ce n’était pas d’actualité, il ne fallait pas exclure « l’envoi de troupes au sol ».

Emmanuel Macron a brisé là un tabou, qui veut depuis le début de l’offensive russe, que l’on peut fournir des armes à l’Ukraine, mais qu’elles ne peuvent lui servir qu’à se défendre sur son territoire. Le même jour, le chancelier allemand, Olaf Scholz, a annoncé qu’il s’opposait à la livraison à l’armée ukrainienne de missiles balistiques à longue portée Taurus, l’équivalent des scalps franco-britanniques, pour ne pas risquer de se trouver impliqué directement dans le conflit si les Ukrainiens les utilisaient contre des cibles en Russie.

La réaction du gouvernement allemand, dont la décision a pourtant elle aussi soulevé une polémique en Allemagne, ne s’est pas fait attendre. Ses représentants, comme ceux de la plupart des autres pays européen, ont nié qu’un envoi de troupes soit à l’ordre du jour. Et le vice-chancelier, le Vert Robert Habeck, a contrattaqué en enjoignant à la France d’augmenter son aide à l’Ukraine à la hauteur de ce que fait l’Allemagne depuis le début du conflit.  

Rarement les relations de la période moderne entre Paris et Berlin n’auront été aussi difficiles qu’aujourd’hui. Avec sa petite phrase, le président français place les Allemands et les autres Européens au pied du mur, les pressant de se déterminer au cas où une victoire de l’ancien président américain Donald Trump lors des élections américaines de la fin de l’année les obligent à assumer tous seuls leur conflit avec la Russie.

Sébastien Maillard : C'est une réussite globale, d'avoir fait passer le projet européen d'un projet de paix à un projet de puissance. En tout cas, il a activement participé à cette transformation du projet européen. Bien sûr cette émergence a été favorisée par la guerre ou encore le Covid. Ça se matérialise par une série d'initiatives que la Commission a prise, mais qui l'a beaucoup inspiré. Par exemple, ce qu'on appelle le mécanisme d'ajustement du cadre aux frontières, donc la taxe cadre aux frontières, pour les produits que nous importons, qui ne respectent pas les mêmes règles environnementales que nous en matière de l'émission de C02, soit taxé à cette hauteur-là, ce qui doit être mis en œuvre en 2026. Je pense surtout, une chose majeure qui va rester dans l'histoire, c'est le plan de relance. C'est la première fois que l'Union européenne s'endette. C'est un grand emprunt sur les marchés. L'Union européenne s'endette pour soutenir les économies, donc c'est une forme de keynésianisme européen. Et ça, beaucoup de ses prédécesseures en avaient rêvé. 

A contrario, sur quels dossiers Emmanuel Macron a essuyé des échecs dans ses négociations avec ses partenaires ?

Christophe Bouillaud :Le dossier ukrainien a été une suite de déboires. On fait mine aujourd’hui de ne pas se souvenir que Macron a cru pouvoir négocier avec Poutine jusqu’au dernier moment, en ignorant totalement les craintes de certains pays européens sur les intentions réelles du dictateur russe. La volonté de ne pas humilier la Russie affichée par Macron pendant les premiers temps du conflit ouvert en 2022 n’avait guère de soutien dans la majorité des pays européens. Aujourd’hui, on se trouve dans une sorte de renversement total de la situation. E. Macron a en effet évoqué avec l’envoi de troupes de pays européens en Ukraine une hypothèse que tout le monde rejette, y compris les dirigeants des pays les plus hostiles à la Russie poutinienne. C’est là une proposition dont on finit par se demander si elle correspond à de la pure bêtise de la part du Président et de ses conseils,  ou bien à une infiltration des cercles élyséens par des agents russes. Qui sait ? Les révélations de l’Express sur les agents payés par les services tchécoslovaques pendant la Guerre froide montrent que tout est possible en la matière. En tout cas,  à ce point de bêtise, la question se trouve à mon avis ouverte. En effet, toute la rhétorique russe, depuis 2014 au moins, ou même 2008,  dénonce l’avancée otanienne à ses frontières, qui se ferait dans une intention forcément hostile envers la Russie, citadelle du Bien agressée par les forces du Mal. Du coup, quel meilleur cadeau faire à Poutine que de valider par de tels propos macroniens cette rhétorique en annonçant que les troupes des pays européens pourraient rentrer en Ukraine au cas où ? On risque de voir rapidement du côté russe une utilisation forcenée de ce faux pas par la propagande du régime de Poutine. Quant aux opinions publiques, en France ou encore plus en Allemagne, elles risquent surtout de basculer dans une peur du conflit avec la Russie poutinienne. Dans la perspective des élections européennes de juin 2024, le RN et FI en France peuvent jubiler d’une telle bévue, tout comme l’AfD en Allemagne.

De fait, Macron n’en est pas à son coup d’essai en matière de propos déplacés dans le cadre des relations entre Etats européens. Se rappelle-t-on de son idée d’utiliser la coalition internationale contre Daesh, l’Etat islamique, contre le Hamas à Gaza ? Aucun pays européen n’a suivi cette galéjade. Et sa prétention de sauver le Liban par la vertu de son seul charisme ?  L’amateurisme confondant du Président en matière de relations internationales serait comique s’il n’y avait pas la réputation de la France sur la scène internationale et européenne et des vies humaines à la clé.

Henri de Bresson : Depuis qu’il est arrivé à l’Elysée, Emmanuel Macron n’a eu de cesse de pousser l’Allemagne et les autres européens à renforcer la souveraineté européenne. Il avait exposé son ambition dans un discours à la Sorbonne, en septembre 2017, discours auquel la chancelière Angela Merkel, avec laquelle il entretenait pourtant une bonne relation, n’a jamais vraiment répondu. Le chef de l’Etat s’inscrit dans une tradition française qui privilégie en matière de sécurité une vision européenne face à la tradition plus atlantiste de l’Allemagne, de la Grande Bretagne et des pays d’Europe de l’Est. Lors du déclenchement de la guerre en Ukraine, au cours d’un sommet européen convoqué au château de Versailles lors de la présidence française de l’Union européenne, il avait appelé au renforcement de la défense européenne. La suite ne lui a pas donné raison. La plupart de ses partenaires, Allemagne en tête, ont préféré laisser Jo Biden prendre le leadership avec l’Otan de la politique ukrainienne occidentale. C’est dans ce cadre que l’Allemagne a fini par accepter de relever ses propres dépenses militaires et de financer la fourniture d’armements à l’Ukraine, en privilégiant ses achats de matériels aux Etats Unis au détriment des programmes de coopération en cours avec la France, notamment pour le développement d’un avion de combat européen du futur.

Au temps d’Angela Merkel, avec l’aide de la présidente de la Commission européenne, la chrétienne démocrate allemande Ursula von der Leyen, Emmanuel Macron, soutenu par l’Espagne et le Portugal, avait pu en revanche trouver un terrain d’entente avec Berlin pour renforcer l’intégration économique européenne, financer les programmes de relance de l’activité lors de la crise du Covid. Avec l’appui actif du Parlement européen, la dernière législature européenne a permis d’avancer sur ces terrains, en matière d’environnement notamment. Depuis le Brexit, la relation franco-allemande a encore gagné en importance, mais les deux pays traversent une période d’instabilité politique qui ne leur permet pas de jouer pleinement leur rôle. L’activisme européen du président Macron, qui tranche sur la prudence du chancelier Olaf Scholz, manque aujourd’hui de relais pour être vraiment crédible. Ce que traduit aujourd’hui la gêne quasi unanime suscitée par son initiative, même parmi les pays en première ligne face à la Russie.

Comme Emmanuel Macron est-il perçu par les autres dirigeants de l’Union européenne ?

Christophe Bouillaud : L’étiquette européenne impose une très grande retenue dans les jugements publics à l’encontre d’un autre dirigeant européen. Tout le monde est censé apprécier tout le monde. Il est rarissime que les dirigeants européens laissent paraitre leur jugement, comme ce fut le cas en 2011 quand A. Merkel et N. Sarkozy se moquèrent publiquement de S. Berlusconi lors d’un sommet européen. Par contre, en consultant la presse des différents pays, on comprend bien quel est le jugement réel des uns envers les autres. De ce point de vue, en particulier en consultant la presse allemande, le premier partenaire de la France dans l’Union européenne, j’ai bien peur qu’Emmanuel Macron ait une image déplorable, un personnage velléitaire, autoritaire et dangereux. Par contre, cette image présidentielle est rattrapée par le caractère indépassable de la France dans le cadre européen. Comme pour l’Allemagne, rien d’important ne peut se faire sans l’accord de notre pays, il faut bien supporter notre Président comme nos concitoyens le supportent à grand peine. En tout cas, personne en Europe ne voudra « mourir pour Macron ».

Sébastien Maillard : Il est certes un fervent européen. Mais il est perçu comme quelqu'un qui a des initiatives parfois solitaires, qui évoque juste sans consultation, ce qui peut aussi irriter dans la manière dont elles sont présentées. Ça a beaucoup irrité l'Allemagne qui est notre premier partenaire. Je pense notamment au comité politique européen qui a été lancée sans son avertissement, sans consultation préalable, et donc en ce sens-là, il peut aussi être admiré pour son leadership européen, mais aussi irrité.

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