Embellie sur le front du chômage : et sur le front du sous-emploi, tout va-t-il aussi bien Madame la Marquise ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme quitte une agence Pôle emploi. L'Insee prévoit un taux de chômage en forte baisse en France, à 7,6% au troisième trimestre.
Un homme quitte une agence Pôle emploi. L'Insee prévoit un taux de chômage en forte baisse en France, à 7,6% au troisième trimestre.
©LOIC VENANCE / AFP

Réalité derrière les chiffres

L'Insee prévoit une nette baisse du taux de chômage au troisième trimestre, à 7,6% de la population active contre 8% au deuxième trimestre. Comment expliquer cette embellie ? Cette amélioration bénéficie-t-elle à tout le monde ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Bertrand Martinot

Bertrand Martinot

Bertrand Martinot est économiste et expert du marché du travail à l'institut Montaigne, ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle. Co-auteur notamment, avec Franck Morel, de "Un autre droit du travail est possible" (Fayard, mai 2016). 

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Atlantico : L’INSEE prévoit une réduction du chômage au troisième trimestre. A quoi est due cette embellie ?

Bertrand Martinot : Elle est liée assez mécaniquement au très fort dynamisme du marché du travail qui se caractérise par des créations d’emplois massives que l’on n’avait pas vues depuis très longtemps. Elles s’expliquent évidemment en partie par le rebond conjoncturel. Mais si on fait le bilan provisoire de la séquence fin 2019 – fin 2021, donc les deux ans intégrant la crise sanitaire, on a une croissance à peu près nulle - nous sommes revenus à peu de choses près au niveau d’activité d’avant la crise - mais nous avons pourtant gagné, dans l’intervalle, 220.000 emplois nets. Cela a permis de diminuer le chômage de 0,6 point. Donc les chiffres du chômage sont en ligne avec les créations d’emplois et les tendances. Il y a un énorme effet de rattrapage mais ce n’est pas seulement ça.  

Michel Ruimy : Sous les hypothèses d’absence de nouvelles restrictions sanitaires et de nouvelle aggravation des tensions sur l’offre, les projections de l’INSEE en matière d’emploi sont particulièrement flatteuses. Une bonne nouvelle - fait rarissime - qui n’est, pour l’instant, qu’une prévision, les résultats définitifs du 3ème trimestre étant attendus mi-novembre.

Comparé au premier trimestre, l’emploi salarié a particulièrement augmenté dans le tertiaire marchand et, principalement, dans les branches touchées par les restrictions sanitaires (hébergement-restauration, commerce, services aux ménages).

Cette situation résulte de la dynamique apparue après la levée de la plupart des contraintes sanitaires entre mai et juin mais également du « quoi qu’il en coûte », qui a permis d’une part, aux entreprises de conserver leurs capacités financières - quand la demande mondiale a repris, plus forte que les anticipations, elles ont été en capacité de recruter - et d’autre part, l’embauche de milliers de personnels médicaux (cf. Ségur de la santé) et de fonctionnaires (Enseignement, Armée).

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Cette amélioration bénéficie-t-elle à tout le monde, y compris les chômeurs de longue durée ?

Bertrand Martinot : Elle bénéficie à presque l’intégralité des secteurs économique, sauf l’industrie. L’industrie est encore en territoire négatif par rapport à 2019. L’emploi industriel stagne depuis trois trimestres et est en légère baisse depuis 2019. C’est le tertiaire, marchand et non marchand, qui bénéficie principalement de l’embellie. En revanche, toutes les classes d’âge en bénéficient. Proportionnellement, les jeunes qui ont été très touchés pendant la crise bénéficient plus du rebond et cela est normal. On ne dispose pas plus des statistiques socio-professionnelles car ce n’est qu’une note de conjoncture et une première exploitation des données.

Concernant les chômeurs de longue durée, ce sont par définition ceux qui bénéficient le moins rapidement d’une baisse du chômage dans un premier temps. Quand l’embauche est forte, ce sont ceux les plus proches du marché du travail qui retrouvent un emploi plus rapidement. Donc la proportion de chômeurs de longue durée augmente par effet mécanique, mais il n’y en a pas plus. Ça ne veut pas dire que leur situation s’est dégradée dans l’absolu.

Michel Ruimy : Si ce taux de chômage de 7,6% reste conditionné à l’absence de nouvelles restrictions sanitaires, il risque surtout de n’être qu’une « parenthèse enchantée ». Il s’agit d’une situation conjoncturelle (rattrapage d’activité après la crise vécue en 2020).

Car les maux du marché du travail français sont toujours présents avec un chômage important chez les « jeunes » et les « plus de 55 ans ». Il a principalement baissé dans les catégories les plus proches de l’emploi, celles âgées entre 25 et 55 ans, moyennement ou très diplômées. Même s’il a diminué, le chômage des jeunes reste important. Traditionnellement, celui-ci atteint 18% en France, quand il est moitié moins élevé aux Pays-Bas et autour de 7% en Allemagne.

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D’où l’arbitrage tant attendu du président de la République sur le revenu d’engagement qui doit permettre, s’il n’est pas enterré, de réduire le taux de chômage des « jeunes » en les accompagnant dans leur parcours vers l’emploi. Le projet, déjà reporté, doit être présenté dans les prochains jours.

Qu’en est-il du halo autour du chômage, ceux qui ne travaillent pas mais ne sont pas comptabilisés dans les statistiques du chômage ? Ceux qui ne sont même plus sur le marché du travail par découragement ? Se félicite-t-on trop rapidement ?

Bertrand Martinot : Les bons chiffres du chômage ne s’expliquent pas par une diminution de la population active. Il y aurait une baisse en trompe l’œil si les personnes au chômage devenaient inactives. Ce n’est pas le cas. Quand on regarde la population active, après un effondrement en 2020 en raison des confinements elle a rebondi très fortement.

Michel Ruimy : Les prévisions produites par l’INSEE ont un horizon temporel limité (fin 2021). Pour la suite, l’Institut considère que la reprise économique sera marquée par un moindre recours à l’activité partielle car les entreprises, ayant de la main d’œuvre en rétention, devrait pouvoir la remettre au travail.

De son côté, la Banque de France estime que l’emploi pourrait ralentir début 2022, dès lors que l’extinction du dispositif d’activité partielle provoquerait une normalisation des conditions d’emploi dans l’ensemble des entreprises.

Par ailleurs, il est difficile d’évaluer, dans le contexte actuel, le nombre de personnes passées directement de l’emploi à l’inactivité, qui ne sont pas comptabilisées dans le taux de chômage. En effet, pour être pris en compte, il convient de rechercher activement un emploi et de se déclarer disponible dans les deux prochaines semaines pour occuper un emploi. L’arrivée de ces inactifs sur le marché du travail en 2022 fera potentiellement plus de chômeurs face à un nombre d’offres d’emploi stable. Ajouté à la fin de l’activité partielle, cette situation pourrait freiner la baisse du taux de chômage voire se traduire par une remontée du chômage en 2022, aux alentours de 8% en 2023.

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Lors de la campagne électorale de 2017, M. Macron s’était fixé, comme objectif, un taux de chômage de 7%. Si cet objectif peut être rempli à court terme, il est, pour autant, trop tôt pour lier ce bon résultat aux actions du chef de l’État d’autant qu’à moyen terme, cette décrue risque de se ralentir.

A cet égard, l’année 2022 sera cruciale. Pour réduire le chômage durablement, le principal levier est la croissance économique. La spécificité de la France est sa démographie dynamique qui fait qu’il y a plus d’« entrants » sur le marché du travail que de « sortants ». Par rapport à d’autres pays européens, la croissance doit donc être vigoureuse. Nous verrons si nous parviendrons à passer durablement en dessous du seuil des 7%, ce qui peut être favorable pour notre économie en générant du pouvoir d’achat et en facilitant le financement des retraites grâce à un plus grand nombre de cotisants. Un autre levier est une politique de formation efficace.

Est-ce que la situation est pérenne ?

Bertrand Martinot : L’économie semble ralentir sur ce troisième trimestre pour un ensemble de raisons et les créations d’emplois elles aussi. L’INSEE n’envisage d’ailleurs pas une poursuite de la baisse du chômage au quatrième trimestre. On butte sur des tensions concernant les capacités de production et d’approvisionnement et la pénurie de main d’œuvre. Le chômage peut-il continuer à baisser alors qu’il y a des des ajustements très importants entre les demandes de la part des entreprises et les capacités des chômeurs qui restent. On risque d’arriver à une situation où les emplois ne se créeront pas même s’il y a des chômeurs. Ils ne seront pas forcément suffisamment qualifiés, ou mobiles ou incités à reprendre un emploi jugé peu attractif. Parmi ces obstacles, le sujet des compétences est essentiel, mais c’est un problème de long terme.

Le second problème est plus politique. Nous avons encore 7,6 % de chômage et on constate dans les sondages d’opinion que le chômage et l’emploi ne figurent plus parmi les préoccupations principales des Français. Le débat se focalise sur la question du pouvoir d’achat et des salaires. Et c’est assez inquiétant car il y a une tolérance française pour le chômage qui reste importante. C’est ce que Denis Olivennes a appelé « la préférence française pour le chômage » alors que la France a encore un fort taux de chômage par rapport au reste de la zone euro.

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