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Derrière la vague rose, 
a-t-on assez vu les dangers 
de la déferlante de l'abstention ?
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Rose fânée ?

Avec une abstention de plus de 44%, le PS remporte ce second tour des législatives avec seulement 16,5% des inscrits (7,6 millions de voix sur 46 millions d'inscrits). Une faible représentativité démocratique qui pourrait affaiblir le gouvernement socialiste à l'heure de choix aussi cruciaux que le projet de fédéralisme européen conditionné à la mise en place de la rigueur, le mariage homosexuel, la réforme éducative ou l’évolution de la politique pénale...

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Bien entendu, les apparences sont sauves. La majorité présidentielle est confirmée par une majorité parlementaire confortable, et institutionnellement indiscutable. Grâce à cette victoire, le Parti socialiste dispose aujourd’hui des leviers nécessaires pour gouverner et mettre en œuvre son programme.

Comme le soulignent certains analystes, le poids de la gauche en France atteint même des proportions inhabituelles dans notre histoire. Depuis plusieurs décennies, et peut-être comme jamais depuis que nous avons balayé la monarchie, aucune force politique n’avait jamais autant pesé que le Parti socialiste de 2012. En ce sens, la Constitution de la Ve République, qui avait voulu un décrochage majeur avec les atermoiements de la IVe République, se porte bien et fonctionne excellemment : elle a une fois de plus donné une majorité exécutive et opératoire au gouvernement.

D’une certaine façon, la France a l’apparence surréaliste de l’eau qui dort. La campagne électorale s’est centrée sur des affaires de famille, des histoires de couple, et a totalement évacué les sujets graves. Officiellement, le gouvernement ne lancera pas de politique d’austérité. La France va se battre pour des mesures de croissance. Avec un peu de chance, les Grecs auront désigné une majorité de consensus avec l’Union Européenne. Celle-ci va payer pour maintenir encore quelques semaines la conviction que tout peut continuer sans arbitrage difficile.

Au fond, la vie continue comme si de rien n’était.

Mais il y a des signaux plus ou moins faibles qui laissent transparaître sous la surface calme des eaux hexagonales, l’action de forces dangereuses pour le destin du pays.

D’abord, l’abstention a atteint des records historiques. Et, si nous nous fions au nombre de voix obtenues au premier tour, elle prend des proportions anxiogènes. Le Parti socialiste a recueilli 7,6 millions de voix pour 46 millions d’inscrits. En agrégeant toutes les voix de gauche, la majorité qui prend le pouvoir n’a pas dépassé les 11 millions de suffrage, soit moins de 25% des inscrits. L’UMP en a recueilli 7 millions, et le Front National 3,5 millions.

Avec 16,5% des voix, le Parti socialiste détient la majorité absolue des sièges à l’Assemblée. Avec 15,2%, l’UMP en détient presqu’un tiers. Avec la moitié de ce score, le Front national décroche 2 sièges, c’est-à-dire moins de 0,5% des mandats à pourvoir.

On peut se satisfaire de cette disproportion, mais plus sérieusement les gens de raison ne manqueront pas de craindre les risques que cette rupture dans la représentativité fait courir à l’harmonie politique. Avec moins de 20% des voix, le gouvernement doit négocier des échéances essentielles pour le pays : probablement un nouveau projet pour l’Europe, avec plus d’intégration politique; un plan de rigueur, même s’il ne dit pas son nom, qui touchera aux équilibres fiscaux acquis depuis près de vingt ans.

Si l’on ajoute à ces sujets économiques les enjeux politiques ou sociétaux comme le mariage homosexuel, la réforme éducative ou l’évolution de la politique pénale, l’enjeu de la mandature qui s’annonce prend un autre relief. Jamais un gouvernement n’avait dû aborder des questions aussi importantes avec une si faible représentativité démocratique.

À cet inquiétant constat, il faut ajouter les signaux faibles que les démocrates ont perçus. La majorité présidentielle a mené une campagne sans rien dévoiler de ses projets économiques. On devine juste que le collectif budgétaire de cet été dégagera 10 milliards d’euros de recettes supplémentaires dès 2012. 40 milliards sont annoncés pour 2013, sans réduction claire des dépenses. Des recrutements nouveaux, des dépenses nouvelles sont pressentis.

Mais rien de tout cela n’a été débattu lors de la campagne, de telle sorte que l’équipe au pouvoir a donné le sentiment de demander aux Français une simple confirmation de leur vote d’avril, comme si les législatives étaient une simple formalité. En ce sens, le jeu démocratique n’a pas fonctionné. La délibération sur la politique à mener dans les mois et les années à venir n’a pas eu lieu.

Depuis plusieurs mois, le pays se laisse bercer par les ambiguïtés, en rêvant, comme un mari dominé par une femme acariâtre, que l’on tranche pour lui et sans le lui dire les problèmes qui se posent. La France joue aux Charles Bovary. Mais partagerons-nous le destin de ce pauvre hère qui perdit tout sans même s’en rendre compte ? Ou bien, les aléas économiques aidant, notre belle République se réveillera-t-elle de son sommeil ?

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