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Au Cambodge, 70% des motocyclistes sont incapables de reconnaitre un simple signe "Stop".
Au Cambodge, 70% des motocyclistes sont incapables de reconnaitre un simple signe "Stop".
©Reuters

Circulez, y a rien à voir

En Asie, continent où les motocyclettes sont de plus en plus nombreuses, les conducteurs de deux-roues représentent un tiers des morts sur la route : 67% au Cambodge et jusqu'à 74% au Laos et en Thaïlande. Et avec un nombre de véhicules doublant tous les cinq ans dans la région, le nombre d'accidents devrait encore largement augmenter.

Au Cambodge, le roi Norodom Sihamoni vient de faire voter une loi pour renforcer la sécurité routière dans le pays. Le texte limite, entre autre, le nombre de passagers sur une moto à un conducteur, un passager adulte et un enfant. Par ailleurs, il impose que tout passager de plus de trois ans porte un casque. Mais la loi, censée prendre effet dès le mois prochain mettra sans doute bien plus de temps que ça à rentrer en vigueur.

En effet, au Cambodge, comme dans de nombreux pays d'Asie du Sud-Est, la sécurité routière est un vrai problème, note Tom Hundley, journaliste pour le site Foreign Policy.Selon une récente étude, seuls un quart des conducteurs cambodgiens essayent de passer leur permis et 70% des motocyclistes sont incapables de reconnaitre un simple signe "Stop".  Les citoyens qui n'ont pas leur permis préfèrent payer un pot de vin aux policiers qui les arrêtent que d'aller devant les tribunaux. Par ailleurs, selon eux, être détenteur du permis ne change rien à la donne. "Quand on vous arrête, vous devez payer, un point c'est tout". Cette attitude passive est un des nombreux facteurs de la corruption du pays ainsi que du fort taux de mortalité sur la route.

"En 2013, 1 950 personnes ont été tuées sur les routes, 16 227 ont été blessées dont 5 671 très gravement. Cette année, la situation s’est encore aggravée. Selon les chiffres officiels communiqués hier lors d’une conférence de presse, 2148  personnes ont trouvé la mort entre janvier et novembre 2014, contre 1901 durant la même période l'an dernier", écrivait le Cambodge Post en décembre.

En Asie, continent où les motocylettes sont de plus en plus nombreuses, les conducteurs de deux-roues représentent un tiers des morts sur la route : 67% au Cambodge et jusqu'à 74% au Laos et en Thaïlande. Et avec un nombre de véhicules doublant tous les cinq ans dans la région, le nombre d'accidents devrait encore largement augmenter.

Malgré tout, pour les gouvernements asiatiques, le nombre de morts causées par les accidents de la route est le prix à payer pour la croissance économique. Pourtant, selon les estimations de la banque mondiale, les morts sur la route coûtent entre 2 et 3,5% du PIB annuel des économies de l'Asie du Sud-Est, notamment en raison de la perte de productivité qu'ils entrainent et des failles du système de santé. Enfin, selon Ratnak Sao, spécialiste de la sécurité routière à Phnom Penh, l'année dernière, les accidents de la route ont couté 337 millions de dollars à l'économie du pays.

Depuis la fin des années 1990, l'Asie (ainsi que certaines parties du continent Africain) connaît la même révolution automobile que les Etats-Unis au début des années 1900 avec la Ford T.

Pratiques, maniables et bon marchés, les motocyclettes ont envahi l'Asie du Sud-Est et la majorité des pays en voie de développement. Pour les habitants de ces pays, dont la plupart vit en dessous du seuil de pauvreté, passer de la bicyclette à la motocylette signifie pouvoir prétendre à de meilleurs emplois et vivre dans un meilleur quartier.

Si vous vous êtes déjà baladé dans une grande ville sud-asiatique, vous avez forcément assisté à cette scène incroyable : des coups de klaksons ininterrompus, des motocyclettes débordant d'enfants sans casques, roulant sur les trottoirs et en sens interdits, se faufilant entre les embouteillages sans fin des voitures, des camions et des bus. Les signes stop et les feux ne veulent rien dire et les piétons invisibles traversent au péril de leur vie.  

Ci-dessous une vidéo du trafic à Phnom Penh, au Cambodge.

En 2015, environ 95 millions de motos devraient être construites, contre 80 millions de voitures. Certains experts prévoient des ventes allant jusqu'à 135 millions d'unités en 2016. La plupart des nouvelles voitures seront vendues dans les pays riches tandis que la majorité des motos iront aux habitants des pays en voie de développement.

L'année dernière, Honda, premier constructeur mondial de petites motos, a construit 17 millions d'unités, soit 6 millions de plus qu'il y a dix ans. Mais le géant japonais doit désormais faire face à la compétition grandissante de la Chine, qui devrait produire plus de 20 millions d'unités cette année.

Au-delà du nombre de morts qu'elle entraine, cette motorisation de masse est une bonne nouvelle pour le tiers-monde. Car ses motos "sont bon marché. Elles faibles en carbonne comparées à d'autres modes de transports et sont rapides", explique Chanin Manopiniwes, économiste à la banque mondiale à Bangkok. "Dans les zones rurales, les motocyclettes connectent les villages, vous permettent d'aller vendre vos produits sur le marché, d'emmener vos enfants à l'école à l'hôpital", "cela vous facilite la vie", ajoute-t-il.  

Si les motocyclettes font partie du paysage asiatique depuis la fin des années 1950, avec la commercialisation du premier Honda Super Cub, le boom se fera réellement à la fin des années 90 et au début du XXIè siècle avec l'avènement du capitalisme dans la région.

En Indonésie, par exemple, la poussée a commencé il y a dix ans avec l'arrivée du crédit facile. L'achat d'une motocyclette (environ 1 000 dollars) s'est alors retrouvée à la portée de tout citoyen actif. Il suffisait alors d'avancer une petite somme d'argent et de payer ensuite un peu tous les mois. Aujourd'hui, on compte plus de 60 millions de motocyclettes en Indonésie contre 8 millions de voitures, soit une toutes les cinq personnes. "La moto est devenue par la force des choses le moyen de transport alternatif des citadins, alors que les rues de Jakarta ne sont pas aménagées pour les deux-roues", écrivait déjà Courrier International en 2010, dans un article faisant état des embouteillages monstres de la capitale indonésienne.

Le Cambodge a expérimenté une croissance similaire. En 1990, on comptait 43 000 motos contre plus de 2 millions à l'heure actuelle. Le boom a commencé en 1993 suite aux premières élections libres décidées conformément aux accords de Paris du 23 octobre 1991. Ce scrutin a amorcé une nouvelle ère, celle de la concurrence des marchés et de la consommation à outrance. Au cours de la dernière décennie, le nombre de motocyclettes a augmenté d'environ 20% par an et le nombre de morts liées aux accidents de la route a plus que doublé, selon les chiffres de la sécurité routière cambodgienne.  

En Thaïlande, on compte aujourd'hui deux motos pour une voiture, en Birmanie et en Indonésie 7 ou 8 motos pour une voiture et au Vietnam 57 motos pour une voiture.

Ci-dessous une vidéo du trafic à Hanoï, au Vietnam.

Au-delà de la liberté et de l'assouplissement des mœurs (possibilités pour les jeunes d'aller flirter loin des yeux réprobateurs de leurs parents, développement des courses clandestines nocturnes, cascades...), la motorisation de masse de l'Asie du Sud-Est a également changé la donne politiquement parlant.

L'exemple le plus significatif en la matière demeure sans doute la révolte des Chemises rouges qui a eu lieu en Thaïlande en 2010. "Au cours du printemps 2010, alors que 300 000 membres du mouvement protestataire thaïlandais "les Chemises rouges" ont  ont occupé le quartier commercial de Bangkok, ils ont été aidés par des alliés inattendus : des dizaines de milliers de chauffeurs de taxi et de motos", a récemment écrit Richard Bernstein dans un article pour le New York Review Of Books. "Avec leur habilité à naviguer dans les rues bouchées, les motos ont réussi transporter les leaders des Chemises rouges à travers des zones barricadées du centre-ville. Ils ont transporté des messages, de l'argent et du matériel pour protester, cocktails Molotov inclus".

Mais pour l'heure, les motocyclettes posent plus de danger à leurs conducteurs qu'aux hommes politiques au pouvoir.  Selon le site Thaïlande.fr, en 2013, la Thaïlande était le troisième pays en Thaïlande, le plus dangereux pour conduire (derrière l'Érythrée et la Libye). Selon l'OMS, environ 26 000 personnes meurent sur les routes en Thaïlande tous les ans, les trois quart des victimes conduisaient des motos. En Grande-Bretagne, qui compte le même nombre d'habitants, le taux de mortalité par an est de moins de 2 000 !

Si quelqu'un meurt sur la route en Asie, les gens ont tendance à se dire que c'est la fatalité. Car si le port du casque parait une étape obligatoire pour la sécurité routière, les lois en la matière sont particulièrement laxistes et largement ignorées en Asie du Sud-Est. Au Cambodge, pour l'heure, l'amende pour absence de casque n'est que de 4 dollars. Une récente étude réalisée dans la province de Kompong Cham, au nord de Phnom Penh, a d'ailleurs révélé que seuls 24% des conducteurs portaient des casques dans la journée. Et une fois la nuit tombée, ce taux descend à 5%.

Car, la plupart des motocyclistes qui portent des casques ne le font que pour éviter de payer des pots de vin à la police. Par ailleurs, les casques qu'ils portent sont de si piètre qualité qu'ils seraient quasiment inutiles en cas d'accident. Au Vietnam, une récente étude montre 80% des casques portés par les motocyclistes ne remplissent pas les conditions minimales de sécurité.

Mais, alors que la sécurité routière est clairement un enjeu de taille en Asie, les gouvernements n'investissent pas dans les infrastructures. Selon le Journal du Cambodge, il y a eu 2 300 morts liées au sida au Cambodge en 2012 contre près de 2 000 morts sur la route. Pourtant, si les dépenses investies par le gouvernement contre le VIH se sont élevées à 58 millions de dollars, elles n'ont été que de 10 millions dans le domaine de la sécurité routière… 

                                                                                                                                                                                                                                         Raphaëlle de Tappie

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