Durcissement du contrôle des chômeurs : mais au fait, quelle est la part de chômage "choisi" et la part de chômage subi ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Durcissement du contrôle des chômeurs : mais au fait, quelle est la part de chômage "choisi" et la part de chômage subi ?
©REUTERS/Eric Gaillard

Dans la balance

Selon le Canard Enchaîné, le gouvernement souhaiterait renforcer le contrôle des demandeurs d'emploi avec notamment la mise en place d'un rapport d'activité mensuel.

Eric Heyer

Eric Heyer

Éric Heyer est Directeur adjoint au Département analyse et prévision de l'OFCE (observatoire français des conjonctures économiques - centre de recherche en économie de Sciences Po).

Voir la bio »
Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

Voir la bio »
Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »

Selon le Canard Enchaîné, le gouvernement souhaiterait renforcer le contrôle des demandeurs d'emploi avec notamment la mise en place d'un rapport d'activité mensuel. Aujourd'hui quelle est la part du chômage qui est dûe à la non-incitation au travail et quelle est la part liée au contexte macro-économique ? La politique prévue par le gouvernement vous semble-t-elle donc justifiée ?

Eric VerhaegheCette question est évidemment en partie théorique, notamment parce qu'il n'est pas toujours facile de faire la distinction entre ce qui relève de la désincitation au travail et ce qui relève du contexte économique. Mais on peut poser quelques jalons simples pour illustrer la problématique française. Ainsi, le taux de chômage dans la zone euro est passé sous la barre des 9%. Il était à 8,8% en octobre 2017. Il est proche de 9,5% en France. On peut donc en déduire que l'excédent de chômage en France provient, en zone monétaire unique, d'une différence de traitement des chômeurs qui produit une désincitation au travail. Autrement dit, un alignement des conditions françaises d'indemnisation des chômeurs sur la moyenne des conditions de la zone euro permettrait de faire rapidement baisser de 0,7 point le taux de chômage en France. Ce raisonnement est forcément théorique, mais il indique que l'augmentation du chômage en France alors que la croissance est plutôt dans une fourchette haute tient largement aux conditions d'indemnisation trop favorables. Reste à savoir, pour le reste, pourquoi la France connaît aujourd'hui un différentiel d'au moins 4 points de chômage par rapport à l'Allemagne. Beaucoup considèrent que ce différentiel tient à la politique allemande en matière d'incitation au travail. 

Quelle part du mal peut-on attribuer aux problèmes structurels de l'économie française et quelle part attribuer aux problèmes conjoncturels ? 

Nicolas Goetzmann : Si l’on considère que le taux de chômage français est aujourd’hui de 9,9% selon l’INSEE, et que le taux de chômage qui correspond au plein emploi est de 6%, il est alors possible de faire une décomposition. D’une part, lorsque l’on prend les pays affichant les taux de chômage les plus bas, comme le Royaume Uni ou les Etats Unis, on peut se rendre compte que le taux de plein emploi peut atteindre un chiffre compris entre 4 et 5%, au lieu de 6%. Il existe donc bien un effort à réaliser sur le terrain structurel, qui correspond à un 1 ou 2 points de chômage. D'autre part, pour le solde restant, c’est 4 points de chômage conjoncturel, qui est donc largement majoritaire dans le pays. Or, tout le problème, lorsque le taux de chômage conjoncturel est élevé, c’est de fragiliser ceux qui cherchent vraiment un emploi, sans en trouver un, dans le but d’inciter ceux qui ne cherchent pas à envoyer des CV. Lutter contre l’assistanat dans une telle configuration, c’est d’abord frapper ceux qui sont réellement en état de souffrance face à l’emploi. Une telle politique, une telle vision, peut avoir du sens lorsque le plein emploi est atteint et que l’on veut lutter contre le taux de chômage structurel, mais cela ne correspond tout simplement pas à la situation actuelle.
Eric Verhaeghe : La question est évidemment difficile à traiter parce qu'elle recouvre des réalités micro-économiques très différentes. Prenons un exemple simple: la situation de Paris intra-muros. Dans le 15è arrondissement, le taux de chômage est proche de la moyenne nationale: il est inférieur à 10%. Dans le 19è ou le 20è arrondissement, le taux de chômage est de 15%. Si vous examinez la réalité en termes macro-économiques, vous perdez ces différences de vue. Or, rien n'explique rationnellement que le chômage soit 50% plus élevé d'un côté de la Seine plutôt que de l'autre, si ce ne sont des choix conjoncturels. La population du 19è ou du 20è arrondissement est moins qualifiée, sans doute, mais peut aussi plus facilement se passer d'emploi pour atteindre le niveau de vie qu'elle espère que dans le 15è arrondissement. Dans une ville aussi dynamique que Paris, vous pouvez assez facilement considérer que la part du chômage supérieure à la moyenne nationale relève du conjoncturel. Vous ne pouvez évidemment pas dire la même chose dans des zones où la désindustrialisation a lourdement frappé.  

Comment expliquer la coexistence de cette double perception d'une France qui ne travaille pas assez d'un côté et d'une France à qui on ne donne pas assez de travail de l'autre ?

Eric Heyer : Il y a toujours eu cette idée qui a traversé les générations selon laquelle les chômeurs sont des fainéants et qu'il faut mettre plus de contraintes sur eux pour les inciter à retrouver un emploi sur le marché du travail. Ce n'est pas une idée nouvelle. Elle n'est pas particulièrement folle, mais aujourd'hui elle est fausse. Plus vous vous rapprochez des 5% de chômage, plus elle prend du poids. Lorsque nous sommes entre 2,5% et 3% et que le chômage se situe entre 5 % et 6%, alors dans cette dernière partie, il peut y avoir plus de chômage volontaire. Dans un contexte où la croissance est faible, cette proportion-là se noie dans une autre réalité, celle du chômage involontaire.
Nicolas Goetzmann : L’explication la plus rationnelle consiste déjà à regarder qui sont les personnes qui soutiennent cette vision défendue ici par Emmanuel Macron. Le discours anti-assistanat trouve son écho le plus fort chez les retraités, comme le révélait un sondage IFOP sur la réforme de l’indemnisation du chômage, ou seuls les plus de 65 ans étaient majoritairement favorables (53%) à une baisse des allocations et à raccourcir la durée d’indemnisation. Le fait est que les plus de 65 ans n’ont jamais véritablement connu une crise de cette nature. L’environnement qu’ils ont connu a été plutôt favorable, économiquement parlant, tout au long de leur vie professionnelle. L’idée même de ne pas pouvoir trouver un emploi ne peut être assimilée de la même façon que par des catégories d’âge qui ont massivement connu des vagues de licenciements en raison de la chute de chiffre d’affaires de leurs entreprises. Il existe donc bel et bien une incompréhension générationnelle, où des grands parents sont confrontés à des enfants, ou à des petits enfants qui ne trouvent pas d’emploi, et qui ne peuvent pas s’imaginer qu’il n’y a pas d’emploi à trouver. Ce qui provoque des réactions du type "c’est parce que tu ne cherches pas vraiment", ce qui est d’une insupportable brutalité pour ceux qui passent leur vie à envoyer des CV. La crise de la demande que le pays traverse depuis 2008 n’a de réel équivalent, en théorie, qu’avec la grande dépression de 1929. Les retraités sont passés à travers, et ils appliquent, assez logiquement, les solutions qu’ils imaginent à la crise actuelle, c’est-à-dire les solutions qui correspondent à l’environnement qu’ils ont connu. Emmanuel Macron, par cette phrase, ne fait que révéler son incapacité à assimiler la nature de la crise actuelle.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !