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Derrière le drame des migrants chinois retrouvés morts en Grande Bretagne, la main des Triades
©Ben STANSALL / AFP

Mafia

Le 23 octobre, la police britannique a découvert 39 cadavres à bord d’un semi-remorque. Un précédent avait eu lieu au Royaume-Uni en juin 2000 quand 58 clandestins chinois avaient été retrouvés morts asphyxiés dans un camion. Ces trafics sont souvent le fait des célèbres « triades chinoises » en liaison avec les gangs locaux.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Mercredi 23 octobre, la police britannique découvrait au sein à Grays dans l’Essex 39 cadavres (8 femmes et 31 hommes) à bord d’un semi-remorque provenant de Zeebrugge (Belgique). Un précédent avait eu lieu au Royaume-Uni en juin 2000 quand  58 clandestins chinois avaient été retrouvés morts asphyxiés dans un camion dans le port de Douvres. Ces trafics sont souvent le fait des célèbres « triades chinoises » en liaison avec les gangs locaux. Pour comprendre ces faits, ci-dessous un extrait de mon livre : « Les Triades. La menace occultée » paru aux éditions du Rocher le 7 novembre 2012.     

Le trafic illicite de migrants clandestins (smuggling)

Il existe deux phénomènes distincts : le trafic illicite de migrants clandestins (smuggling) et la traite des personnes (trafficking)[1]. Cette différenciation a été établie dans le cadre de la convention des Nations Unies contre la criminalité organisée signée à Palerme le 12 décembre 2000. Le trafic illicite de migrants est « le fait d’assurer, afin d’en tirer, directement ou indirectement, un avantage financier ou un autre avantage matériel, l’entrée illégale dans un Etat partie d’une personne qui n’est ni ressortissant ni un résident permanent de cet Etat ».

Le trafic illicite de migrants consiste donc à amener clandestinement des « volontaires » dans un pays ou une région où ils souhaitent émigrer, très souvent pour des raisons économiques, plus rarement pour des prétextes politiques. Le voyage s’appelle le « toudu ». Le but consiste à faire payer un maximum ce service tout en déboursant le moins possible. Le trafic d’êtres humains se distingue de la traite qui consiste à exploiter des personnes, parfois en les ayant convoyé à l’étranger. Mais la traite peut aussi être locale comme la prostitution ou le travail des enfants.

Les triades ont fait du trafic d’êtres humains leur deuxième source de profits après celui de la drogue. Il faut dire que la demande de migration des personnes d’origine asiatique est très importante, très majoritairement pour des raisons économiques et de regroupement familial. De plus, il est toujours intéressant pour les familles d’avoir plusieurs de ses membres travaillant à l’étranger. En effet, ces derniers renvoient au pays une grande partie de leurs rémunérations qui, si elles ne sont pas très élevées, sont toujours supérieures à ce qu’elles auraient pu être en ne s’expatriant pas. Cela permet aux familles restées sur place à vivre au quotidien, voire à combler leur rêve le plus cher : acquérir leur résidence.

Les « têtes de serpent »[2] (chetou) ou « bœufs jaunes »[3] sont chargés de prendre en charge les « serpents humains », c’est à dire les cohortes de migrants clandestins qui tentent l’aventure. Pour ce faire, les triades ont mis en place des réseaux de passage depuis le point de départ jusqu’à la destination finale. Ces réseaux sont composés de recruteurs, passeurs, logeurs, hommes de main, coursiers, etc. Parfois, certains de ces rôles sont sous-traités auprès de bandes criminelles locales qui ont plus la connaissance du terrain. Les périples ne se font jamais d’une traite. Des escales sont prévues. Elles permettent de regrouper sur des zones de transit sécurisées des migrants provenant de différents sites et de les faire passer ensuite en un seul bloc selon le moyen de transport choisi. Les voyages en solitaire restent l’exception réservée à quelques privilégiés qui ont trouvé les moyens financiers nécessaires.

Les circuits empruntés sont essentiellement orientés d’Est en Ouest avec pour objectifs principaux : le continent nord-américain, l’Europe occidentale et l’Australie. Les chetou utilisent de nombreux itinéraires qui varient en permanence pour déjouer les forces de sécurité occidentales. Parfois, les migrants clandestins passent plus au Sud par le continent africain ou au Nord par les ex-pays de l’Est.

La triade Sun Yee On fait transiter ses clients à l’immigration pour les États-Unis et le Canada via l’Europe. L’Albanie qui n’a jamais cessé d’entretenir des liens avec la République populaire de Chine, même lors de sa période de glorieux isolement, sert de lieu d’escale privilégié pour les voyageurs clandestins. Les clans locaux qui s’apparentent beaucoup aux mafias italiennes de par leurs structures et leurs traditions, assurent, moyennant finances, l’accueil, l’hébergement et le transit des migrants. La majorité d’entre eux passe ensuite par les côtes adriatiques italiennes, en particulier par les Pouilles qui sont le territoire de la mafia Sacra Corona Unita (SCU). Le voyage s’effectue de nuit sur des embarcations rapides qui tentent d’éviter les contrôles de la marine italienne. Une fois en Italie, la situation des migrants est plus simple car ils ont alors pénétré l’espace Schengen.

Les triades 14K et Grand Cercle privilégient pour leur part un autre chemin pour rejoindre les États-Unis. Elles envoient leurs passagers vers l’Amérique centrale (Guatemala, Honduras, Panama, Salvador, Mexique) ou vers les Caraïbes. Les cartels mexicains se chargent de les faire entrer aux États-Unis souvent en les utilisant comme mules pour transporter de la cocaïne. Toutefois, une partie du flux migratoire s’arrête en Amérique latine où la communauté asiatique est déjà nombreuse.

Le trafic d’être humains est systématiquement accompagné de la confection de faux papiers, sujet qui est abordé dans le chapitre suivant.

Rien que pour l’Europe, les autorités estiment que plus de 400 000 voyageurs illégaux franchissent les frontières chaque année. Plus de 100 000 d’entre eux seraient d’origine asiatique, 100 000 autres préférant le continent américain.

Les prix pratiqués peuvent beaucoup varier selon les prestations demandées mais ils se négocient autour des sommes suivantes : Afghanistan/Europe : 10 000 € ; Bangladesh/Europe : 5 000 à 10 000 € ; Chine/Europe : 15 000 à 20 000 € ; Irak/Europe : de 6 000 12 000 €. Le billet d’entrée en Europe via la Turquie puis la Grèce qui est très utilisé aujourd’hui car la Athènes n’a plus de moyens à consacrer au contrôle de ses frontières, tourne autour des 1 000 €.

Bien évidemment, les malheureux n’ont généralement pas les fonds nécessaires pour financer leur voyage. Les OCT leur proposent alors des solutions de remboursement avec des intérêts astronomiques. En cas de défaut de paiement, elles n’hésitent pas à menacer les membres de la famille du clandestin restés au pays.

La traite des personnes (trafficking)

Toujours selon les Nations Unies, « la traite des personnes désigne le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes par la menace de recours ou le recours à la force ou d’autres formes de contraintes, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiement ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation, de la prostitution d’autrui ou d’autres formes d’exploitation sexuelle, le travail ou les services forcés, l’esclavage ou les pratiques analogues à l’esclavage, la servitude ou le prélèvement d’organes… ».

La traite des êtres humains consiste donc à exploiter contre leur gré des individus pour qu’ils fournissent des bénéfices substantiels à leurs exploiteurs : l’esclavage moderne en quelque sorte. Selon Washington, 27 millions de personnes se trouveraient actuellement dans cette position. La prostitution est l’activité la plus connue de ce phénomène. Elle est d’abord très présente sur place, en Extrême-Orient. Si elle est peu visible en Chine continentale, la réputation du régime étant alors mise en jeu, elle est endémique à Hong Kong, à Macao, en Thaïlande, en Birmanie, au Vietnam, au Japon et à Taiwan. Les membres des triades recrutent des jeunes filles et des jeunes garçons âgés de 12 à 16 ans surnommés les « boulettes de poisson ». Cette expression en dit long sur la considération qui est accordée à ces enfants et adolescents. Quelques familles des provinces agricoles défavorisées « vendent » leur progéniture aux malfrats. D’autres jeunes sont attirés par de fausses promesses d’emploi dans des hôtels ou des salles de jeux de luxe de Hongkong, de Macao, de Bangkok, etc. Ces malheureux comprennent trop tard la duperie et se retrouvent dans des maisons sécurisées où les criminels les « dressent » à leur futur emploi. En Occident, les professionnelles d’origine asiatique sont toutefois plus rares que leurs collègues issues des ex-pays de l’Est ou les Africaines. Cela est peut-être dû au fait qu’elles « travaillent » de manière plus discrète se faisant relativement rares dans la rue. Par contre, elles sont très présentes dans les salons de massage ou en chambres. Parfois, les faits divers tragiques attirent l’attention sur ces malheureuses.

Certains migrants clandestins qui n’ont pas beaucoup de moyens se sont vus proposer un marché : rembourser leur voyage une fois rendus sur place. Les sommes demandées sont extravagantes et les migrants qui se sont mis dans cette situation sont bien obligés de se soumettre s’ils ne veulent pas être victimes de représailles. Tous les cas de figure sont alors employés : la prostitution, le travail dans des ateliers clandestins (confection, cuirs, restauration, etc.) ou même dans les champs où ils sont traités comme des bêtes d’abattage par des propriétaires et des paysans peu scrupuleux qui apprécient cette main d’œuvre bon marché et non déclarée auprès des services sociaux locaux. Il est évident que ces travailleurs illégaux sont condamnés à de longues années de travail forcé avant de pouvoir retrouver leur liberté. Les plus chanceux peuvent, une fois leur dette réglée, ouvrir à leur tour un commerce. Ils feront à leur tour appel à des illégaux pour se fournir en main d’œuvre docile. Certains feront venir des membres de leur famille qui ne seront pas beaucoup mieux lotis. Les employeurs utilisant du personnel non déclaré ne risquent pas grand-chose. En effet, s’ils sont bien tenus d’examiner les papiers des travailleurs qu’ils embauchent, il ne leur est pas demandé d’être capables de faire la différence entre des vrais et des faux papiers. Lorsqu’ils plaident qu’ils ont été eux-mêmes trompés, ils sont presque toujours relaxés.


[1] Selon l’ONUDC, ces deux activités génèreraient environ 39 milliards de dollars annuellement.

[2] Pour les régions de Fujian et Guandong.

[3] Pour la région du Zhejiang.

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