Donald Trump pourra-t-il survivre à la perte de l’électorat blanc qui l’avait pourtant soutenu jusque là contre vents et marées ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Donald Trump Etats-Unis
Donald Trump Etats-Unis
©SAUL LOEB / AFP

Campagne électorale

Donald Trump connaît une chute dans les sondages dans le cadre de l'élection présidentielle de novembre prochain. Comment expliquer que l'électorat traditionnel américain se détourne de Donald Trump en particulier dans les Etats acquis à la cause des républicains ?

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Atlantico.fr : Les manifestations contre le racisme aux États-Unis sont-elles à mettre en lien avec la chute de Donald Trump dans les sondages ?

Jean-Eric Branaa : En réalité, pour impressionnantes qu’aient été ces manifestations –du moins vues de France–, rien ne montre pour le moment qu’elles ont eu une influence quelconque entrainant une modification dans les intentions de vote des électeurs Américains. 

On peut tout au plus relever que ces manifestations ont entrainé une hausse du ton de part et d’autre, ce qui a eu pour conséquence de remobiliser les deux camps. Donald Trump a pu dérouler son argumentaire sur la loi et l’ordre et dénoncer les violences de certains groupes qui, localement, pouvaient aller jusqu’à l’émeute et la destruction de biens publics ou privés, quand ils ne se livraient pas carrément à des violences incontestables et totalement condamnables. Les opposants au président ont noté son manque d’empathie et son absence totale d’intérêt pour leur cause et leurs demandes, quand ils n’ont pas été révoltés par la généralisation faites trop rapidement par Donald Trump et ses supporters, qui ont volontairement gommé les différences entre les groupes violents et les groupes pacifiques dans le but d’instrumentaliser ces événements et tenter d’en tirer un avantage électoral. 

Mais, s’il s’agissait de se convaincre mutuellement et d’amener certains à changer de camp, c’est clairement un échec des deux côtés : la société américaine est désormais trop ancrée dans ses divisions et on peut parier que rien ne fera désormais bouger les lignes jusqu’à l’élection. En tout cas pas à partir d’éléments idéologiques de cette nature. Les supporters de Trump lui restent fidèles et ses opposants continuent à dénoncer toutes ses actions, ou ses inactions. Les manifestations ont été à mon sens sans effet sur le plan électoral.

Comment expliquer que l'électorat "blanc" traditionnel américain se détourne de Donald Trump en particulier dans les Etats acquis à la cause des républicains ?

Je pense qu’il vaut mieux parler d’effritement, car –là encore– il ne s’agit pas d’un mouvement très massif. Mais c’est vrai que la situation est à considérer avec sérieux, car elle démontre que Donald Trump a perdu ce formidable don qui lui permettait de comprendre l’atmosphère autour de lui et d’en faire une force pour l’emmener vers la victoire. 

La mésaventure de Trump à Tulsa, où son meeting n’a pas attiré plus de 6000 personnes quand il annonçait encore deux jours plus tôt qu’un million de supporters avaient demandé des billets, démontre qu’il n’a pas compris le plus important : l’Amérique a peur du Coronavirus et son électorat n’est pas en dehors de l’Amérique. 

Il faut dire qu’organiser un meeting géant dans le sud des États-Unis à un moment où il était annoncé une recrudescence brutale des cas de Covid-19 était juste inconséquent. Il lui a d’ailleurs depuis fallu annuler les meetings qui devaient suivre, d’abord à Phoenix, puis en Alabama, qui était prévu pour la semaine prochaine.

En plus de cette peur qu’il a sous-estimée, la gestion de la crise Covid-19 par Donald Trump est jugée sévèrement, y compris par se supporters les plus fidèles. Le jour-même du meeting de Tulsa, l’Arizona imposait le port du masque dans l’espace public, ce qui a été fait ensuite dans de nombreux autres États du sud. La réticence de Donald Trump à se conformer à cette exigence n’est pas comprise aux États-Unis. Là où il tente de faire passer un symbole de force et d’autorité, les électeurs comprennent qu’il n’est pas conscient du danger et qu’il veut n’en faire qu’à sa tête : ça ne passe pas dans un pays qui respecte l’ordre, justement, et attend de ses dirigeants qu’ils en fassent autant.

Alors ses électeurs ont commencé à lui envoyer des messages, notamment en adoubant lors d’élections locales, des candidats qu’il ne soutenait pas et ce, contre ceux qu’il soutenait : Il y a notamment le cas de Madison Cawthorn, à peine âgé de 24 ans, qui l’a emporté dans une primaire de Caroline du Nord pour devenir très certainement celui qui emportera le siège de député de Mark Meadows, devenu chef de cabinet du président à la Maison-Blanche. Qu’un jeune totalement inconnu l’emporte dans un scrutin aussi décisif aurait dû alerter le locataire de la Maison-Blanche qu’il lui faut écouter davantage ceux qui lui sont fidèles.

Mais l’erreur de Donald Trump et de ses équipes est de ne pas regarder les bonnes courbes et les bons sondages. Alors qu’ils sont focalisés sur la course avec Joe Biden et qu’ils concentrent leurs commentaires là-dessus, ils ignorent totalement et volontairement les autres courbes, celles qui retiennent véritablement l’attention des Américains : celles du nombre de tests, des cas positifs, des hospitalisations ou du nombre de décès, tous en hausse brutale. 

Ne comprenant pas que ses compatriotes ont toutes leurs préoccupations qui sont toujours plongées dans cet épisode de la pandémie et que rien d’autre ne parvient à capter leur attention, Donald Trump a été pourtant assez maladroit pour demander à la Cour suprême de mettre fin à l’Obamacare. Joe Biden en a bien entendu aussitôt profité en qualifiant cette demande de « cruelle « et d’inhumaine ».

Enfin, Donald Trump s’est jeté dans la campagne avec précipitation, sans même tester ses slogans ou d’en mesurer la portée : ses attaques contre Joe Biden se sont vite concentrées sur sa prétendue sénilité, profitant de ce que Biden est un ancien bègue et qu’il bafouille parfois, ou souvent, lors de ses prises de parole en public. Mais ces attaques ont aussi touché d’autres cibles : beaucoup de retraités américains qui bafouillent eux-aussi ou cherchent leurs mots, parce qu’avec l’âge ou l’état de santé, les réflexes ne sont plus ce qu’ils ont été. Ceux-là n’ont pas apprécié cet âgisme sur lequel surfe le président-sortant ; ils n’ont pas aimé qu’on puisse penser qu’ils sont gâteux ou séniles, juste parce qu’ils sont vieillis. 

Le résultat ne s’est pas fait attendre : Trump n'est plus majoritaire chez les séniors. Tous les sondages indiquent ce même fait : il y a une avance de 2 points chez Siena pour Biden, 4 points dans un sondage CNN, 8 points dans un autre pour NBC/Wall Street Journal ou 8 points chez Quinnipiac. Cet électorat, si important, numériquement et qualitativement pour Donald Trump a fini par considérer que Biden leur ressemblait peut-être davantage, qu’il avait vieilli comme eux, mais qu’il pouvait encore faire de belles choses. 

La désaffection ou le désamour ne se fait donc pas encore sentir chez tous les électeurs blancs traditionnels de Donald Trump. Mais il est touché au cœur même de son électorat. Et le pire est qu’il ne semble pas s’en rendre compte.

Donald Trump pourra-t-il rattraper son retard sur Joe Biden avant les présidentielles en novembre 2020 ?

C’est la véritable question que tout le monde se pose. Les plus prudents, ou les plus timorés ou les plus convaincus pensent que oui. Il est vrai que Trump a souvent surpris et qu’il a surtout déjoué quasiment tous les pronostics en 2016. Ça plaide pour lui et pour ceux qui y croient encore.

Mais en réalité il y a tant de différence entre 2016 et 2020 : il y a 4 ans, il était l’outsider qui promettait de renverser la citadelle. C’était plaisant pour tous les antisystèmes. Mais aujourd’hui, le système, c’est lui : il est le président-sortant.

En 2016, il avait surtout le vent qui soufflait pour lui : les médias couvraient tous ses faits et gestes, qui semblaient juste incroyables, tant il était transgressif. On se levait tous les matin avec une seule question en tête : « qu’à fait Donald Trump pendant la nuit ? » 

Au-delà de ça, il dégageait une image positive, vantait sa richesse « je suis riche, très riche, très très riche », utilisait l’emphase avec brio « je serai le plus grand président que Dieu aura mis sur terre » et arborait sans cesse un sourire triomphant, qui surplombait son éternelle cravate rouge. L’optimisme de sa campagne, qui emportait tout, a drainé des milliers, des dizaines, puis des centaines de milliers de supporters qui se sont embarqués à sa suite et ont fait sa victoire. 

En 2020, il traverse au contraire la période la plus noire de son existence : tout semble aller de travers. Aucune de ses attaques contre Joe Biden ne semble atteindre cet adversaire qui ne fait même pas campagne. La campagne de Donald Trump est donc terne. Pire encore : elle en devient négative, sombre, hargneuse, arc-boutée sur des dénonciations et des slogans agressifs. 

On peut développer longtemps ainsi mais une chose est sûre : jamais encore dans l’histoire moderne un candidat n’a réussi à remonter en 120 jours le retard qu’accuse aujourd’hui Donald Trump dans les sondages nationaux et locaux. Pire encore : il est donné au coude à coude, ou carrément derrière son adversaire, dans des bastions républicains dans lesquels il n’avait même pas imaginé faire campagne et où il devra engloutir des millions de dollars pour rétablir, pour tenter de rétablir l’équilibre en sa faveur : Indiana, Missouri, Georgie… et même le Texas !

Qui pariera sur la victoire de Trump aujourd’hui ? Pour y croire encore, il faudrait qu’il y ait une campagne. Or on en revient toujours à la même problématique : la crise de la Covid a tué les espoirs de Donald Trump parce qu’elle a d’abord tué la campagne présidentielle.

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