Discours pour le rassemblement de la nation au Congrès, appel à l’union sacrée… oui mais autour de quoi ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La place de la République, Paris, où de nombreux rassemblements sont tenus.
La place de la République, Paris, où de nombreux rassemblements sont tenus.
©Reuters

Pas les mêmes valeurs

François Hollande a annoncé qu’il s’adresserait lundi 16 novembre au Congrès à Versailles, "pour rassembler la nation dans cette épreuve", après les attaques terroristes à Paris. Une volonté qui fait écho à celle de Manuel Valls, qui a défendu l'idée d'une "Union sacrée". Reste à se mettre d'accord et à définir quelles sont nos valeurs républicaines. Les discussions qui ont fait suite aux attentats du 11 janvier ont montré que finalement, ce n'était pas chose facile.

David Mascré

David Mascré

David Mascré est docteur en mathématiques et docteur en philosophie et en histoire des sciences. Chargé de cours en mathématiques à l’université Paris V et en école d'ingénieur, il collabore à de nombreuses revues et participe aux travaux de plusieurs fondations. 

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Christophe de Voogd

Christophe de Voogd

Christophe de Voogd est historien, spécialiste des Pays-Bas, président du Conseil scientifique et d'évaluation de la Fondation pour l'innovation politique. 

Il est l'auteur de Histoire des Pays-Bas des origines à nos jours, chez Fayard. Il est aussi l'un des auteurs de l'ouvrage collectif, 50 matinales pour réveiller la France.
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Serge Federbusch

Serge Federbusch est président d'Aimer Paris et candidat à l'élection municipale de 2020. Il est l'auteur de La marche des lemmings ou la 2e mort de Charlie, et de Nous-Fossoyeurs : le vrai bilan d'un fatal quinquennat, chez Plon.

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Atlantico : Comment éviter que l’union sacrée se traduise par un gel de la pensée ? Un conseiller ministériel évoquait dans le Monde sa crainte d’un délitement.

Christophe de Voogd : Permettez-moi de prendre quelque distance vis-à-vis d’un « proche du pouvoir », toujours susceptible de « wishful thinking » ! Curieusement, les grands défenseurs habituels du même pouvoir sont devenus, en une nuit, les nouveaux gardiens de l’union sacrée… pour critiquer, grâce à ce nouvel angle d’attaque, les leaders des Républicains, soupçonnés de toutes les « arrière-pensées politiciennes ». Or, en quoi faire des propositions concrètes pour parvenir au but commun serait-il illégitime ? Se souvient-on que les débats au sein de « l’union sacrée » de 14-18, précisément sur la conduite de la guerre, furent des plus vifs ?

Serge Federbusch : L’union sacrée ne durera guère plus longtemps qu’un rassemblement place de la République avant qu’éclate le premier pétard. Certes, la droite et le FN, par tactique, ne taperont pas immédiatement sur le pouvoir. Mais le grand escamotage réussi avec la complicité de la plupart des médias après les crimes de janvier dernier ne pourra fonctionner une nouvelle fois. 

Je suis frappé par l’immensité des réactions d’hostilité que les apparitions et déclarations d’Hollande provoquent sur les réseaux sociaux. Sa responsabilité est clairement mise en cause : comment de tels carnages ont été possibles dix mois après ? Pourquoi continuer dans le préchi précha du «pas d’amalgame» ? La communication gouvernementale met l’accent sur l’origine étrangère du problème, sur Daech. Mais il est de plus en plus difficile d’éviter la question qui fâche : ces éléments criminels sont-ils des électrons importés ou l’avant-garde encore très minoritaire certes mais en plein essor d’une partie de la population française qui rejette les valeurs de liberté et veut imposer la Sharia ?

Manifestement, les éléments de langage en cas de nouvel attentat étaient prêts. Cela explique l’annonce quasi-immédiate par Hollande de l’état de siège, des jours de deuil national ou de la soi-disant fermeture des frontières. Mais le président a vendu la mèche en reprenant cette dernière expression alors qu’il ne peut s’agir d’une vraie fermeture : comment isoler notre pays du reste du monde ? Il voulait dire «contrôle aux frontières» mais il a oublié, dans sa panique, que c’était déjà le cas depuis l’annonce récente de telles mesures en raison de la COP 21. Bref, face au désastre, Hollande a hoqueté un discours prévu d’avance puis a tourné les talons et laissé la foule dans le stade de France. Tout cela a un caractère artificiel et déconnecté de la réalité : les Français ne sont aucunement rassurés et n’ont pas le sentiment que le pouvoir contrôle la situation. Ils ont raison. Il règne dans le pays une atmosphère d’hébétude et d’incompréhension malsaine.

David Mascré : Avant tout, il faut savoir s'il y aura union sacrée. A titre personnel, j'en doute fort. L'union sacrée, rappelons-le, est née en 1914, suite au ralliement des socialistes aux forces bourgeoises – jusqu’alors désignées comme ennemies de classe - une fois le premier conflit mondial déjà engagé et après que ce soit mis en marche l'effrayant mécanisme de l'escalade diplomatique et militaire qui, après l'attentat de Sarajevo, devait par le fait du jeu des alliances conduire à l’engrenage fatal. A l’époque ce ralliement qui impliquait des hommes commet Viviani, Guesde ou Hervé, fut vécu par une partie du camp socialiste comme un choc dramatique, en rupture frontale avec la tradition pacifiste qui avait jusque là constitué la ligne directrice des partis socialistes. Les socialistes français y furent contraints et forcés après que les socialistes allemands, violant tous leurs engagements antérieurs et toutes les promesses faites à leurs homologues français, eussent voté les crédits de guerre au Kaiser et ainsi donné à l’appareil militaro-industriel prussien les moyens d’aller au bout de ses projets militaristes. Ce fut l’erreur colossale de Jaurès que de croire à une hypothétique et mythique solidarité internationale entre prolétaires, laquelle, comme aujourd’hui les visions iréniques d’un monde de bisounours ou d’un multiculturalisme joyeux promues par les idéologues du parti socialiste (France black-blanc beur communiant dans l’ivresse du sport, joies insondables du métissage et du multiethnisme) se révèle politiquement aussi bien que militairement hautement coupable.

En 1914, l’union sacrée n’était pas du tout un signe de force mais la preuve au contraire de la fragilité d’un pays qui, après dix ans de tergiversation sur la loi des trois ans, la défense de l’empire face aux prétentions allemandes (Kiel ou Tanger), le règlement à faire de la question sociale, entrait impréparé dans la grande guerre.

Ce qui faillit au départ faire la victoire allemande d’aout 1914 (plan Schlieffen) fut la conséquence d’une série d’aveuglements stratégiques de certains idéologues socialistes et radicaux-socialistes. Il s’en fallut alors d’un cheveu que les Allemands n’entrassent dans Paris comme en 1871 et ce n’est que par le miracle de la Marne que la France fut finalement provisoirement sauvée – si ce n’est qu’entretemps un cinquième de son territoire était occupé et bientôt ruiné.

Comme à l’époque, nous entrons impréparés dans une lutte armée dont nous ne mesurons pas tous les tenants et les aboutissants.

Je ne crois donc pas à l'union sacrée. Il faudrait une dose d'aveuglement sans nom aux hommes de droite pour sombrer dans ce piège. On a déjà fait le coup une fois aux Français, on ne le leur refera pas deux fois. Après les attentats contre Charlie Hebdo, on leur a répété le fameux "plus jamais ça". On leur a expliqué qu’il devait y avoir y avoir unanimité, et que nous devions tous être Charlie. Ce mot d’ordre fut institutionnalisé dans le fameux "nous sommes tous Charlie".

Après Charlie on leur a dit "Nous ferons tout pour appréhender ces individus. C’est le seul objectif dans les heures qui viennent."

"Une seule chose compte, rester fidèle à l'esprit du 11 janvier 2015. Ce moment où la France, après le choc, a dit non dans un moment d'unité nationale".

"Nous allons donc entretenir, je l'espère, comme un feu ardent cet état d'esprit, en s'appuyant sur son message d'unité".

C’était le sens du fameux esprit du 11 janvier.

Pour bien préciser les choses et éviter toute escalade, le premier ministre Manuel Valls avait à l’époque ajouté avec raison "L'autre urgence, c'est de protéger nos compatriotes musulmans, qui sont inquiets", ajoutant néanmoins de manière plus équivoque : "L'islam est la deuxième religion de France, elle a toute sa place en France".

On nous a dit que nous ferions tout pour appréhender ces individus, que c'était là le seul objectif – c'était le 7 janvier 2015. Manuel Valls a rappelé qu'une seule chose compte : c'est de rester fidèle au 11 janvier, ce jour où la France a dit non dans un moment d'unité nationale. Nous allons donc entretenir comme un feu ardent cet état d'esprit en s'appuyant sur son message d'unité. C'était le sens de "l'esprit du 11 janvier" qui a été surabondamment exploité depuis. L'autre urgence à l'époque était de protéger nos compatriotes musulmans qui sont inquiets. Au nom de l’esprit du 11 janvier, on nous a vendu une loi sur le renseignement (examinée par le Parlement à partir du 19 mars 2015 et promulguée le 24 juillet 2015 qui donnait des moyens considérables aux dispositifs de police et de renseignement pour lutter contre le terrorisme). Six mois plus tard nous avons les attentats de Paris : 130 morts, 350 blessés, faisant eux-mêmes suite à une série d’une dizaine d’attentats ou d’assassinats partiellement réussis. Il y a à l’évidence un problème. C’est peu de le dire.

Lorsqu’on regarde de près cette loi, on s’aperçoit qu’elle n'a pas spécialement visé la lutte contre le terrorisme mais a plutôt constitué une sorte de "patriot act" à la française, inspiré de celui promulgué par G.W. Bush et Dick Cheney au lendemain des attentats du 11 septembre.

Cette loi a dès le départ suscité l’étonnement des spécialistes de l’antiterrorisme pour sa focalisation exclusive sur les moyens électroniques de surveillance et de détection alors même que ce sont ceux-là même qui, joints à l’insuffisance du renseignement humain, aveugle parfois les services et les empêche de déjouer certains attentats. Un spécialiste de la question comme le juge Marc Trévidic n’a pas hésité à écrire : que ce nouveau projet de loi est "une arme redoutable si elle est mise entre de mauvaises mains". Il fait part à la presse de son inquiétude notant : « Il y a une absence de contrôle totale dans cette loi »; en juin, il ajoute : "Il faut arrêter de croire que c'est le renseignement, acquis grâce à des écoutes/sonorisations/balises administratives, qui permet d'arrêter les terroristes ! Seul, le judiciaire permet d'interpeller (...) On n'envoie pas en prison, on ne débarque pas chez quelqu'un sur un simple renseignement (...) Demain, si un service de renseignement me dit que vous êtes un dangereux terroriste qui projette de poser une bombe, devrais-je croire ce service sur parole, sans aucun élément ? C'est pourtant la tendance qui se dessine." Le moins que l’on puisse dire est que les faits donnent raison à ces sentences prémonitoires. Quatre mois après les attentats de Paris nous avons les attentats de Paris qui ont permis à 8 hommes + 3 hommes de se promener en toute quiétude dans les rues de Paris d’un côté et de saint Denis de l’autre, armées de kalashnikov et d’armes de guerre et de faire le massacre que nous avons vu. On n’imagine pas un seul instant un même scénario à Berne.

Les déclarations et postures martiales de certains politiques ne constituent pas la bonne approche de la lutte antiterroriste. Elles relèvent d’une approche idéologique qui a fait partout la preuve de son échec et de son impuissance.

La politique néo-conservatrice américaine de "guerre globale contre la terreur" ("global war on terror" selon l’expression ultramartiale de GW Bush) est loin d’avoir réduit les foyers terroristes. Dans nombre de régions du monde, elle n’a fait que les attiser. C'est tellement vrai que Tony Blair, qui est sous la menace désormais de la publication d'un rapport circonstancié sur ses activités alors qu'il était au pouvoir, a fait ces dernières semaines un rétro-pédalage tout à fait caractérisé pour avouer ou reconnaître à mi-voix quelques erreurs d'analyse voire, même quelques fautes politiques. La posture de Manuel Valls se prenant pour un nouveau Clémenceau et jouant de l'effet de sidération des masses – lequel, est l’un des effets directs et recherché de tout acte terroriste - pour appeler désespérément à une union sacrée est en fait un signe caractéristique de faiblesse politique et peut-être même d'aveuglement stratégique.

Ainsi, il faudrait que la droite française soit vraiment la plus bête du monde pour se rallier inconditionnellement à ce sectateur inconditionnel du Tigre.

La vie politique française a-t-elle basculé dans une ère nouvelle, quelle parole peut combler le déficit de pensée des partis sur les grands enjeux géopolitiques ou civilisationnels trop souvent remplacés par des débats déconnectés du réel ?

Christophe de Voogd : Indiscutablement, nous avons tous basculé. C’est la force irrépressible de l’événement historique. Il y a un avant et un après. Et, plus prosaïquement, les témoignages qui commencent à se multiplier sur l’horreur de ces attaques, notamment au Bataclan, vont interdire le « service minimum » habituel : les réseaux sociaux vont crépiter et l’indignation va enfler. C’est pourquoi, dans l’immédiat je ne crois pas que c’est la parole qui va compter (et pourtant c’est un rhétoricien qui vous parle !), mais les actes : et des actes très précis. Le remarquable travail des services d’enquête est une première réponse, décisive dans les jours à venir. Mais le gouvernement va-t-il prendre des mesures de guerre maintenant qu’il a reconnu un « acte de guerre »? Il en les moyens juridiques, avec l’état d’urgence. Oui, sur le plan militaire mais on se heurte là à la limite de nos moyens matériels. Et je doute encore fort de sa résolution concrète sur le plan intérieur. Il ne s’agit plus « d’instruire des dossiers » d’expulsion ou de fermeture de sites réels et virtuels, comme l’a dit encore hier soir Bernard Cazeneuve. Et, surtout, quelle sera la réponse judiciaire ?

Serge Federbusch : La question de l’intégration de la population musulmane dans le reste de la communauté française devient le problème le plus important auquel nous sommes confrontés. Cela occulte le sujet plus déterminant encore de notre déclin économique dû à l’interaction délétère de la bureaucratie domestique et de la technocratie européenne. Les partis dits de gouvernement passent leur temps à feinter. Les responsables du PS ont réussi à parler des meurtres de ces derniers jours sans employer une seule fois le mot «islam». Il n’est guère étonnant dans ces conditions que le FN ait le seul discours audible, à défaut d’être convaincant notamment sur les sujets économiques.

David Mascré : Elle va probablement bousculer sous l'effet de ce que l'on appel en criminologie et en analyse stratégique "un effet boomerang", un retour en force du réel. Les événements du 13 novembre sont une piqûre de rappel éminemment douloureuse et effroyable pour la France. Ils nous rappellent que nous ne vivons pas dans un monde de bisounours, et qu'il existe des menaces extérieures à caractère stratégique. Que la vie ne se limite pas à être une somme de jouissances individuelles au sein d’une société démocratique où chacun confortablement installé dans son sofa pourrait siroter son whisky. A l'évidence, il va y avoir un basculement de la vie politique française parce qu’il y aura "un avant et un après" 13 novembre. Nous ne pourrons plus dire qui nous ne savions pas ou que ce genre d’événement n'était pas prévisible. Il était non seulement prévisible mais même prévu par un certain nombre de spécialistes. Un certain nombre d'acteurs, dont je m’honore d’être, avaient anticipé des événements et conjecturé les conditions de leur réalisation.

Des hommes en France réfléchissent avec sérieux à ces questions depuis des années. Le problème est qu'ils ne sont pas nécessairement écoutés, ou que leurs propositions ne sont pas nécessairement suivies d'actions. Je peux vous citer le nom d'une vingtaine de personnes qui ont non seulement une bonne grille d'analyse et les bons outils de décryptage mais aussi les réponses aux problèmes qui se posent. Le souci est que ces hommes ne sont pas écoutés et à fortiori pas entendus. Pire, ils sont généralement bridés dans leur carrière et de manière structurelle socialement déclassés. Comme les grands pianistes internationaux ou les peintres de talents, ils s'épuisent à courir le cachet pendant qu'on donne complaisamment la parole à des incultes incompétents, qui comme Patrick Bruel, Joey Starr, Enrico Macias ou Johnny Halliday, vous expliquent ce qu'il faut faire en politique internationale, en matière de lutte contre le terrorisme, de politique migratoire ou d'aide humanitaire pour éviter les conflits et être un acteur de la paix. Tant que nous laisserons la parole à ces pseudos artistes ou à ces pseudos intellectuels - les seconds étant pire que les premiers - nous serons dans l’impasse.

Il faut dans ce pays une libération de la parole intelligente et informée. Il faut faire connaître et porter sur la place publique les travaux et les analyses des personnes réellement compétentes dans ces matières. Cela rendrait un très grand service à la nation française.

Donnez le pouvoir à ces hommes, et en quelques mois la situation s’améliorera et l’indispensable redressement de la France sera engagé.

La focalisation sur les faux débats est une stratégie de leurre, qui est totalement caractéristique des situations de compétition internationale voire de guerres qui ne veulent pas dire leur nom, notamment dans des secteurs comme la guerre économique. Ces stratégies consistent soit à focaliser l’attention d’une population sur des faux débats, soit à canaliser leur énergie sur des sujets tout à fait secondaires : interdiction de la fessée parentale par Bruxelles, port du voile à l’université, menu Halal dans les cantines scolaires, vote à 16 ans… Ces sujets ont l’avantage d’occuper les populations, donc de distraire leur attention des problèmes clés. Ils ont l’avantage d’autoriser des discussions que tout le monde a le sentiment de comprendre et où tout le monde se sent concerné. Sur ces sujets, tout le monde se gausse d’avoir son mot à dire. A l’inverse la géopolitique et la géostratégie sont complexes. Elles demandent une autre culture historique, politique, diplomatique, militaire, voire scientifique, philosophique et théologique… Cela n’a que très peu de chance d’intéresser les médias, car cela ne fait pas assez d'audimat.

Les débats déconnectés - surréels serait-on tenté de dire - sont quant à eux une conséquence de l’indigence globale de la pensée. Moins on pense, plus on parle. Ce défaut, qui est en réalité un vice, ne cesse d’être exacerbé par le système démocratique actuel. L’excès de parole et de verbe est un signe typique d’impuissance physique et politique. C’est même l’une des caractéristiques cliniques de l’hystérie. Pendant que les leaders français braillent et gesticulent, les leaders d’autres pays agissent et avancent.

Le préchi-précha et la culture du déni cumulée à celle de l’excuse sur les questions d’intégration de populations d’origine étrangère ne se reconnaissant pas dans les valeurs françaises peut-il continuer à figurer largement dans la parole publique ?

Serge Federbusch :  Comme les socialistes et leurs satellites n’ont pas de discours de substitution, ils vont devoir s’y accrocher. Mais la machine tourne à vide. Aux prochains attentats, qui ne sauraient tarder, ils ne pourront que bredouiller. Car quelle est la triste réalité ? Hollande s’est trompé deux fois. 

D’une part en engageant la France dans le guêpier syrien sans avoir mûri au préalable ses buts de guerre. Pour vaincre Daech, il faut cesser d’écouter les universitaires fumeux qui font les délices de Mediapart, accepter de s’allier aux Russes et aux Kurdes et se résigner à différer l’élimination d’Assad. Puis il faut engager des hommes par milliers sur le terrain. Si l’on n’est pas prêt à payer ce prix, il ne faut pas aller jouer au mariole avec quelques bombardiers et un porte-avion pour faire de la com’ et se donner un sentiment de puissance hélas fugace. 

D’autre part, Hollande a fauté gravement en reculant devant les fondamentalistes en France. Ces derniers se délectent de nos faiblesses et recrutent grâce à elles. Les voiles prolifèrent depuis janvier, dans une attitude de défi bravache. Il aurait fallu les interdire depuis belle lurette à l’université et dans les édifices publics, fermer les mosquées radicales, expulser les prêcheurs, couper le robinet des aides et allocations et même dénoncer la convention européenne des droits de l’homme pour ne la re-ratifier qu’avec des réserves sur le regroupement familial. La triste réalité, que la gauche ne veut pas voir, est qu’une part croissante des musulmans français se constitue en communauté dissidente rejetant les valeurs républicaines. Elle bénéficie d’un dynamisme démographique qui va rendre le problème majeur d’ici dix ans. C’est dur à admettre mais c’est ainsi. Il suffit de lire les témoignages recueillis par l’historien et enseignant Georges Bensoussan dans les banlieues. Tel est le terreau de la radicalisation. Les tueurs de Daech en sont directement issus.

David Mascré : Je dirais de manière assez attristé que oui. Tant que les journalistes qui sont aux commandes des médias seront recrutés sur une affiliation politique ou sur leur conformité idéologique, le système actuel perdurera. Il y a une endogamie dramatique et coupable au sein du monde politique et médiatique actuel. Un mélange des genres - au sens propre et au sens figuré - qui donne toute sa puissance au système médiacratique, mais qui est  dramatiquement préjudiciable à  l’exercice de la pensée. C’est ce qui explique pour une large part l’aveuglement de nos élites sur tous les problèmes politiquement cruciaux. Ces derniers touchent comme l’écrit Philippe de Villiers aux "murs porteurs de notre civilisation" (sacralité du pouvoir, unité territoriale, unité politique, principes structurants de notre civilisation, condition de mise en œuvre de la concorde nationale, identification et nomination des menaces extérieures, conclusion des alliances directes et indirectes…)

On a vu après Charlie Hebdo que la simple évocation -ou l’incantation- des valeurs de la République ne rassemblaient pas nécessairement toute la société française, au-delà du deuil et de l’émotion, quelles sont les valeurs qui peuvent vraiment, efficacement rassembler la nation ?

Christophe de Voogd : Un livre récent vient de montrer le caractère très incertain de ces « valeurs républicaines ». Quelle République d’ailleurs ? Nous en avons eu 5 ! Quoi de commun entre la « monarchie républicaine » de la Vème et le régime d’assemblée de la IIIème ? Et que d’ambiguités ! Que veut dire exactement « laïcité » ? Neutralité religieuse ou politique anti-religieuse ? et quid de l’Alsace-Moselle ? Des départements d’Outre-Mer ? Le droit du sol, d’origine féodale et monarchique , dont l’instauration en 1889, visait avant tout le service militaire obligatoire pour les étrangers, est-il si républicain ? etc. C’est bien pourquoi je pense que la liberté est la seule valeur vraiment consensuelle. Et, comme par hasard, c’est la liberté sous toutes ces formes qui est la cible constante des terroristes, d’attentat en attentat, par-delà la diversité des « modes opératoires ». 

Serge Federbusch : D’abord, sans vouloir sombrer dans un post-marxisme mécaniste, il est probable que les choses iraient mieux si nous retrouvions la croissance économique. Certains égarés qui envisagent le djihad trouveraient du travail puis le sain chemin des bars et des boîtes de nuit. Hélas, comme je l’ai écrit vainement depuis des années, il faudrait pour cela plus de libéralisme en interne et plus de souveraineté vis-à-vis de Bruxelles : un cocktail étonnant mais seul à même de nous redonner du tonus. Ensuite, il faudrait réaffirmer sans complexe les valeurs républicaines. Je n’y croyais pas au départ, mais le salut aux couleurs le matin dans les lycées et les collèges serait une bonne chose. Il faut que les jeunes soient fiers d’être français. Ils ont besoin de ressentir des émotions collectives.

David Mascré : De quelle République parlons-nous ? De celle de Périclès ? De celle de Caton, de Cincinnatus ? De celle de Saint-Just, Marat, Robespierre et Danton (1ère République) avec sa guillotine, sa terreur d’Etat (la terreur est à l’ordre du jour), son comité de salut public, ses exécutions sommaires mais aussi sa Constitution de l’an II, ses Ecoles normales ? De celle d’Arago, Lamartine, Quinet (2ième République) avec ses ateliers nationaux et sa bourgeoisie triomphante ? De celle de Péguy (« il faut préserver la République, même bourgeoise, contre les attaques de gauche ou de droite ») ou de celle De Jaurès ? Il y a autant de républiques que de Républicains. Qui tous ont leur vision propre de la République. La plus belle définition qui en ait été donnée – mais aussi la plus surnaturelle et presque irréelle - a sans doute été formulée par Péguy qui, dans De Jean Coste écrit :

"Sauver les misérables est un des soucis les plus anciens de la noble humanité, persistant à travers toutes les civilisations ; d'âge en âge la fraternité, qu'elle revête la forme de la charité ou la forme de la solidarité; qu'elle s'exerce envers l'hôte au nom de Zeus hospitalier, quelle accueille le misérable comme une figure de Jésus-Christ, ou qu'elle fasse établir pour des ouvriers un minimum de salaire ; qu'elle investisse le citoyen du monde, que par le baptême elle introduise à la communion universelle, ou que par le relèvement économique elle introduise dans la cité internationale, cette fraternité est un sentiment vivace, impérissable, humain ; c'est un vieux sentiment, qui se maintient de forme en forme à travers les transformations, qui se lègue et se transmet de générations en générations, de culture en culture, qui de longtemps antérieur aux civilisations antiques s'est maintenu dans la civilisation chrétienne et demeure et sans doute s'épanouira dans la civilisation moderne ; c'est un des meilleurs parmi les bons sentiments ; c'est un sentiment à la fois profondément conservateur et profondément révolutionnaire ; c'est un sentiment simple ; c'est un des principaux parmi les sentiments qui ont fait l’humanité, qui l'ont maintenue, qui sans doute l’affranchiront ; c'est un grand sentiment, de grande fonction, de grande histoire, et de grand avenir ; c'est un grand et noble sentiment, vieux comme le monde, qui a fait le monde.

A côté de ce grand sentiment le sentiment de l'égalité paraîtra petit ; moins simple aussi; "

On le voit avec ce type de définition de la République on est à des années-lumière de celles que nous vendent depuis des années certains élus et certains hommes politiques qui semblent n’avoir plus d’autre mot à la bouche.

Ce que je note pour ma part c’est qu’au nom de la République on se dirige de plus en plus vers la dictature. Nos dirigeants ont proclamé l’état d’urgence – une décision qui nous replace, excusez- du peu - dans une situation exactement analogue à celle qui prévalait en 1955 durant la guerre d’Algérie. Une époque, je le rappelle, où les autorités politiques socialistes en place (Guy Mollet, François Mitterrand, …) ou radicales (Edgar Faure) couvraient les actes de torture, d’internement de force, d’opérations spéciales, de sabotages organisés, de coups tordus…

Avec pour brillante conséquence, au terme de 8 années de guerre et d’engagement politique résolu, un désastre politique, humain et géostratégique complet : 1,3 millions de personnes forcées de fuir leur propre pays (sans autre choix que la valise ou le cercueil), 500 000 morts au bas mot, dont 400 000 musulmans algériens (fourchette moyenne, les estimations fluctuant entre 143 000 à 1 500 000), 4 000 pieds-noirs, 30 000 soldats français, entre 15 000 et 30 000 harkis. L’abandon du Sahara, la fin de l’Empire français, la perte sans retour de ce que 6 générations de français avaient patiemment construit, édifié, cultivé et produit…

La peur est toujours mauvaise conseillère. L’inculture tout autant. Et les Français honnêtes n’ont pas à payer les conséquences de l’incurie de politiques incompétents qui des années durant nous ont expliqué que la situation était parfaitement sous contrôle, que nos services de police démantelaient bien les réseaux djihadistes, qu’il n’y avait que 300 hommes partis faire le djihad en Syrie (chiffres officiels des pouvoirs publics en mai 2014[1]), que l’immigration était une chance pour la France (Stasi), que la « L’identité de la France n’est pas ethnique, pas religieuse, pas culturelle », mais réside par contraste dans "l’appartenance à des valeurs communes." (Aubry), que "La France, c’est l’ouverture permanente, c’est le changement constant." (Rocard)

Depuis vendredi ils vont devoir payer pourtant : seront limités dans leurs déplacements, interdits de rassemblement, surveillés dans leurs propos.

L’étape d’après c’est quoi ? La promulgation de la loi martiale ? La promulgation de l’article 16 qui donne les pleins pouvoirs au Président de la République ?

Un de nos dirigeants proclame sans autre forme de procès qu’il veut « anéantir tous les ennemis de la République[2] ».

Rien moins !  Vaste programme eût dit de Gaulle après qu’un de ses collègues ait crié :

"Mort aux cons !"

Le problème est que Manuel Valls, les yeux empreints de haine et de colère, dit cela très sérieusement et semble prendre des airs d’ange exterminateur quand ce mot de République lui vient aux lèvres.

Répétons-le. L’impuissance et la peur sont mauvaises conseillères, surtout quand elles sont doublées d’une forme de paranoïa.

Pour faire de la bonne géopolitique, il ne sert à rien de gesticuler, de hurler ou de rouler des yeux. Il faut savoir agir posément et méthodiquement. Cela demande du travail, de la finesse, de la patience, de l’intelligence, une connaissance de l’histoire ancrée dans la durée, une capacité à analyser les rapports de force, à ruser, à nouer des alliances de revers, à agir dans la durée. Autant de choses qui manquent manifestement cruellement à certains de nos dirigeants.

Les dirigeants de l’Etat islamique sont tout sauf des imbéciles. Ils savent parfaitement user des moyens modernes et connaissent par cœur les faiblesses de l’Europe. Ils en jouent d’ailleurs avec un savoir-faire étonnant.

Tant que nous n’accepterons pas d’analyser comment fonctionne cet ennemi, comment il s’arme, se développe, se finance, contourne nos lois, exploite nos zones de fragilité, s’empare de nos divisions internes, nous n’aurons à peu près aucune chance de le vaincre.

La lutte contre l’Etat islamique n’est pas seulement extérieure. Elle passe aussi par un certain nombre de dispositions intérieures. Notamment au niveau scolaire et culturel. Elle passe par une reprise en main ferme de notre système éducatif. Tant que nous n’aurons comme horizon à proposer à nos jeunes que d’être des producteurs consommateurs abêtis par la télévision, gavés d’émissions de téléréalité, de jeux vidéos tous plus violents les uns que les autres, culturellement émasculés, obligés de répéter servilement le prêchi prêcha socialiste et de vomir matin midi et soir tout ce que la France a réellement produit de grand de noble et de glorieux il ne faudra pas s’étonner de voir certains d’entre eux – pas toujours les plus bêtes ou les plus pauvres – se détourner de notre système et chercher leur avenir ou leur salut dans un autre modèle théologique et civilisationnel.

Tant que nous ne prendrons pas en compte ce que ces jeunes ont dans la tête et les raisons pour lesquelles ils rompent avec nos sociétés, nos actions de formation, de prévention ou de déradicalisation demeureront aussi vaines qu’inefficaces.


[1] http://mobile.agoravox.fr/tribune-libre/article/contre-les-djihadistes-francais-151520.

[2] Le Monde.fr | 14.11.2015 à 21h08 • Mis à jour le 14.11.2015 à 21h10.

Assistons-nous à l’apparition de quelque chose de nouveau dans le discours politique avec des propos radicaux comme ceux de Philippe de Villiers qui dès vendredi soir parlait de mosquéisation de la France ou laurent Wauquiez qui demande l’internement des 4000 personnes signalées dans les fichiers anti-terroristes ? S’agit-il de dérapages ou d’une stratégie assumée de personnes évoluant dans la galaxie de Patrick Buisson de réponse à l’Etat islamique, “vous cherchez la guerre civile, vous l’aurez (là où la société française ds son ensemble est plutôt résiliente)”, le sous entendu étant nous n’avons pas peur d’avoir à en passer par la violence pour se débarrasser du cancer islamiste?

Serge Federbusch : Il ne faut pas s’étonner que la radicalisation entraîne la radicalisation, elle est faite pour  cela. Cela étant, le Daechistan bien de chez nous, qui joue la politique du pire, commet une grosse erreur. Pour le moment, les Français sont encore léthargiques pour avoir trop consommé l’opium des intellectuels de gauche. Mais l’islam est et restera un corpus idéologique et une pratique sociale très minoritaire et rejetée par une part écrasante des Français. Or, il est de la nature des parts écrasantes de finir par écraser celles qui ne le sont pas quand ces dernières deviennent des gros problèmes.

David Mascré :Je me méfie des généralisations hâtives et plus encore des expressions toutes faites. L’expression "cancer islamiste" me semble être de celles-là. L’islam est, je le rappelle, un système culturel et social, une matrice de pensée qui structure malgré tout la vie – et la vie quotidienne car l’Islam est un système politico-théologique qui ordonne et structure chaque geste du quotidien – d’1,2 milliards d’individus. Sauf à vouloir partir en guerre simultanément contre l’Iran, l’Indonésie, la Malaisie, l’Arabie saoudite, le Pakistan (puissance nucléaire), les Etats du Golfe, la Mauritanie, l’Egypte - je ne crois pas que l’idée de se débarrasser de l’islam et même simplement de l’islamisme puisse constituer la base d’une quelconque politique internationale.

C’est sans doute le rêve de quelques néoconservateurs américains ou de quelques millénaristes illuminés pressés de de trouver un ennemi de substitution après l’effondrement de l’URSS et de remplacer l’hydre communiste par quelque nouvelle "bête immonde" capable de justifier année après année la reconduction par le Congrès des crédits militaires alloués au Pentagone – 700 milliards de dollars officiellement en 2015, sans doute plus du double en comptant les programmes cachés et les budgets connexes (1531 milliards selon les chiffres publiés par Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI)).

Mais ce n’est en rien la tradition française ni surtout la défense bien comprise de nos intérêts. Compte tenu de notre exposition actuelle sur les théâtres d’opération extérieurs – Mali, Tchad, République centrafricaine  - et de compte tenu de la saturation actuelle de notre outil de défense, il n’y aurait rien de pire que de se lancer inconsidérément dans une guerre avec un nouvel Etat.

On ne lutte du reste pas contre un groupe terroriste – ce qu’est l’Etat islamiste – comme on lutte contre un Etat. Que je sache, l’Etat islamiste n’est pas un Etat de facto, ni a fortiori de jure. Il ne fait pas partie que je sache de l’Assemblée des Nations Unies. Parler de guerre contre l’Etat islamiste revient à rentrer dans son jeu et à accepter de facto qu’il fonctionne comme un Etat, ce qui n’est nullement le cas.

Je ne crois pas une seconde à la fable des trente mille hommes armés résistant à une coalition de quinze pays développés bien décidés à le frapper. Le problème est que l’Etat islamique est aujourd’hui protégé par un certain nombre d’acteurs, des Etats qui jouent double ou triple jeu. La solution du problème n’est ni à damas, ni à Racca ou Mossoul mais du côté de Ryad et, par jeu de miroir, du côté de Téhéran.

La politique du pire est toujours la pire des politiques. Et la première des recommandations en matière politique et militaire, c’est de ne pas tomber dans le piège tendu par l’ennemi. En l’occurrence celui proposé par les responsables de l’Etat islamique est assez grossier. Il consiste à se poser en unique et principal défenseur des musulmans et à les coaliser tous derrière lui au nom d’une lutte commune contre les "croisés" et les "mécréants". C’est d’ailleurs ce qu’il a cherché à faire avec les attentats du 13 novembre. Le but est clairement à terme de désolidariser les musulmans de France de la communauté nationale française en les obligeant – comme le FLN entre 1954 et 1962 – par la séduction, l’intimidation ou la terreur, à rallier leur cause. C’est d’ailleurs ce qu’expliquent à longueur de pages leurs imams qui racontent à des jeunes désoeuvrés et souvent ignorants de tout – y compris de leur propre religion – qu’en Syrie ils trouveront un avenir, des femmes, de vrais amis, l’aventure. Bref un nouvel eldorado ! C’est ce qui explique aussi pourquoi tant de jeunes femmes n’hésitent pas à se précipiter dans cet enfer – quitte à y perdre tout, à commencer par leur féminité et leur virginité – dans l’espoir un peu romantique d’y trouver le beau mal combattant qu’elles ne trouvent plus ou pas dans leur entourage.

Le mécanisme est le même que celui observé dans les gangs de banlieue – j’ai décortiqué tous ces mécanismes de basculement criminel dans mon livre Des barbares dans la cité consacré à étudier la formation et le mode opératoire choisi par les membres du gang des barbares pour assassiner le jeune Ilan Halimi – ou dans les conflits basses intensité observés en Afrique sur lesquels j’ai personnellement travaillé. Tous les programmes de désarmement, de développement et de réinsertion du monde (DDR, MDRP) ne pourront jamais rien changer au fait qu’un jeune homme de 20 ans – et parfois de 12, 13 ans dans le cas des enfants soldats – se sente plus fort, plus beau et plus considéré – par les femmes mais aussi par ses aînés – muni d’un pétard au ceinturon que sans.

J’insiste à nouveau sur le fait que l’idée de « guerre globale au terrorisme » est une expression typiquement néoconservatrice qui a fait partout la preuve de son inanité et de son inefficacité. En Lybie, en Syrie, en Irak, elle a conduit à mettre à terre des régimes qui tenaient – certes mal – mais qui tenaient néanmoins leur pays. C’est à cause de cette politique de chaos organisé – au départ voulu mais que plus personne ne contrôle désormais – que nous nous retrouvons désormais avec des acteurs aussi dangereux, imprévisibles et protéiformes que l’Etat islamique.

Quant à l’idée de vouloir hâter la guerre civile, histoire d’en découdre une bonne fois pour toutes, elle me semble aussi funeste que délirante.

C’est du niveau de ces grands-mères qui, sans rien connaître à la situation géopolitique et militaire de la France, s’écriaient en 1939 devant l’affaiblissement croissant de la France : "ce qu’il nous faudrait c’est une bonne guerre."

Je rappelle que l’histoire ne se déroule jamais comme on l’avait prévue. Et que la stratégie de la tension débouche généralement sur des situations ingérables souvent contraires aux intérêts de ceux qui prétendaient les initier. Comme le dit Paul Bourget, "Une révolution est toujours inaugurée par des naïfs, poursuivie par des intrigants, consommée par des scélérats."

La politique – n’en déplaise à certains - n’est pas un concours de culturisme : un jeu où chacun ferait étalage de ses biscotos. C’est un art savant et réfléchi – que Platon assimilait à celui du tisserand – et qui n’a rien à voir avec la boxe ou le karaté.

Quel est le risque de voir apparaître des gens misant sur la politique du pire pour déclencher une crise violente qui permettrait de précipiter le régime autoritaire qu’ils se cachent à peine de souhaiter (cf livre de Villiers) ?

Christophe de Voogd : Je n’ai pas lu le livre de Philippe de Villiers et donc ne le commenterai pas. Mais je crois qu’en effet, comme l’a bien vu Houellebecq dans Soumission, avec l’opposition entre « Fraternité Musulmane » et « Bloc identitaire », des « entrepreneurs de tension » vont se manifester de part et d’autre. Historiquement, cela rappelle la tactique des tenants de la Révolution nationale en juin 1940 qui ont profité de la défaite pour faire main basse sur la République et réaliser un plan politique dont ne voulait pas la majorité des Français. La seule différence c’est que nous ne sommes pas en 1940 … mais en 1936. 

Autrement dit, il est encore temps d’arrêter Hitler sans renoncer à nous-mêmes !

Serge Federbusch : Le risque est réel en effet. La France n’a ni la compacité géographique ni l’homogénéité sociale d’Israël. Face à des attentats récurrents, massifs et imprévisibles, elle finira par réagir plus violemment et indistinctement que ne le fait l’Etat hébreu. Cela ne passerait pas forcément du reste par un Etat autoritaire. La triste réalité d’une situation hors de contrôle ressemblerait plutôt à celle de la Saint Barthélémy : des massacres perpétrés avec la bienveillance du pouvoir par des groupes se réclamant de l’auto-défense. 

David Mascré :1) Il y a toujours dans toute société des ignares et des imbéciles qui devant la richesse et la complexité du réel s’enferment dans la dialectique du "y a qu’à, faut qu’on".

Le problème est que le réel ne se laisse pas enfermer dans nos mots. Notre vieux Descartes, en bon français, le savait mieux que nul autre : "ma volonté n’impose pas nécessité aux choses." Et rajoutait plein de sagesse, dans cette inoubliable troisième maxime, qu’il convenait de "tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune et à changer mes désirs que le cours des choses."

Nombre de nos politiques feraient bien de méditer ce sage conseil. Quarante-huit heures après de sinistres attentats – qui s’ils avaient été au bout de leur logique auraient pu faire du reste bien plus de victime, comme le laisse deviner le projet monté au stade de France – il n’a rien perdu de son acuité. Il y a 6 milliards d’hommes qui ne pensent pas, ne vivent pas, ne mangent pas comme nous. Cela nous dérange peut-être, nous autres européens forgés par mille ans d’Empire romain et deux mille ans de christianisation, mais c’est comme cela. Et il serait aussi vain qu’absurde de vouloir impérieusement que ces hommes entrent dans nos schémas de pensée. Le problème est qu’on prétend dans le même temps au nom de l’idéologie mondialiste et de la religion multiculturaliste laisser ces hommes circuler partout et s’installer là où ils le veulent, comme si les hommes n’emportaient pas leur culture et leur histoire à la semelle de leurs souliers.

Ne vous étonnez pas si après cela certains manifestent leur mécontentement à l’encontre de nos codes, mœurs, modes de vie et schémas de pensée. Et s’ils le font parfois même violemment. Ceux qui le déplorent sont semblables à ces hommes qui allument le feu et après cela se plaignent de s’être brûlés. Ils déplorent les effets dont ils chérissent les causes.

Il faut du reste dans toutes ces affaires savoir raison garder. La France est un vieux pays qui en a vu d’autres. Et qui a su – difficilement parfois – s’en remettre. Je rappelle pour mémoire que la guerre de 14-18, se sont pas moins de 1,4 millions de Français tués au combat, 1,7 millions de Russes et 2,1 millions d’Allemands. Ces pays s’en sont remis. Rien que la bataille de Verdun, ce sont 700.000 victimes  : 306.000 tués et disparus (dont 163.000 Français et 143.000 Allemands), environ 406.000 blessés (dont 216.000 Français et 190.000 Allemands). 700 000 victimes en 7 mois cela fait 100 000 victimes par mois, soit 3000 victimes par jour. Un onze septembre par jour (morts et blessés compris). Quand on voit ce qu’un 11 septembre a laissé comme trace traumatique dans l’imaginaire collectif américain, je ne sais comment ils auraient réagi s’ils avaient dû subir ces chiffres de perte, jour après jour, pendant 7 mois. La France l’a fait.

Le terrorisme n’est jamais que l’arme du pauvre, même si cette arme peut parfois faire mal. Démanteler un réseau terroriste n’est pas une tâche très difficile même si cela peut être un travail de longue haleine. Il suffit de s’en prendre à ses maillons faibles : le financement, l’intendance, les systèmes de communications. J’ai écrit un livre entier – Diamants terrorismes conflits – pour expliquer comment al Qaeda finançait ses opérations à partir du trafic de diamants et de pierres précieuses.  Un réseau terroriste – même international - ne prospère qu’avec la protection d’Etats qui ont intérêt à son développement ou à son enracinement. Lutter contre le terrorisme suppose de savoir prendre des mesures claires vis-à-vis de ces Etats. Les Etats disposent à cette fin de tout un ensemble d’outils, allant de la pression diplomatique (rappel d’ambassadeur), aux sanctions (boycott, embargo, interdiction de circulation, gel des avoirs) voire à l’isolement (blocus).

Engager ces outils peut supposer un certain courage et d’accepter certains sacrifices mais c’est aussi cela faire de la politique. Churchill n’a pas commencé son mandat en disant qu’on allait voir ce qu’on allait voir et qu’il allait écraser l’Allemagne et l’URSS. Il s’est contenté de dire à ses citoyens : "je n’ai à vous offrir que de la sueur, du sang et des larmes." Et cela a marché.

2) Il y a aussi dans toute société des pervers ou des cyniques qui pensent pouvoir tirer profit d’une situation en attisant les flammes et en jetant de l’huile sur le feu. L’artiste raté Néron s’est trouvé une vocation de pompier pyromane et s’est créé un spectacle digne de son génie autoproclamé en incendiant Rome et en faisant porter la responsabilité de ce crime sur les chrétiens innocents. Cette idée destructrice en a inspiré d’autres depuis lors (de Hitler rêvant d’édifier Germania sur les ruines de la Berlin historique à Mao dépeuplant les villes et invitant les paysans à abandonner leurs récoltes pour se lancer dans la fonte de métaux et la production industrielle par petites unités dans le cadre des "communes populaires" – une expérience qui, durant la campagne des cents fleurs et le grand bond en avant fit entre 30 et 50 millions de morts selon les estimations). On ne voit pas pourquoi les vocations incendiaires s’éteindraient et par quel miracle le champ politique se trouverait d’un seul coup de baguette magique peuplé uniquement de gens parfaitement moraux et sains d’esprit (voir à ce sujet l’intéressant livre de Pascal de Sutter Ces fous qui nous gouvernent).

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