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Beth Shapiro et Ben Lamm de Colossal Biosciences travaillent notamment sur un projet concernant le dodo.
Beth Shapiro et Ben Lamm de Colossal Biosciences travaillent notamment sur un projet concernant le dodo.
©Colossal BioSciences / Capture d'écran / DR

Désextinction

Des entreprises et des chercheurs essaient actuellement de ramener à la vie des espèces disparues comme le dodo ou le mammouth.

Nadir Alvarez

Nadir Alvarez

Nadir Alvarez est Directeur du Muséum cantonal des sciences naturelles de l’État de Vaud, Lausanne, Suisse. Il est également Professeur titulaire au Département de Génétique et Évolution de l’Université de Genève, en Suisse, et co-auteur avec Lionel Cavin, de « Faire revivre des espèces disparues » (Éditions Favre, 2022).

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Atlantico : Des entreprises essaient actuellement de ramener à la vie des espèces comme le dodo ou le mammouth. Ces tentatives ont-elles vraiment des chances d’aboutir ? Ces animaux revenus à la vie seront-ils vraiment identiques à ceux qui vivaient avant leur disparition ?

Nadir Alvarez : L’engouement pour la création ex-nihilo d’espèces disparues n’est pas nouveau puisque depuis plus d’un siècle, des scientifiques essaient de déséteindre l’auroch, disparu au 17ème siècle et ancêtre de toutes les races de vaches actuelles. Pour ce faire, ils croisent les lignées les plus rustiques de vaches contemporaines et sélectionnent dans leur descendance les traits qui ressemblent le plus aux représentations de l’auroch que l’on retrouve dans des peintures anciennes. Toutefois, cette technique est de facto restreinte à la désextinction des ancêtres d’espèces domestiquées dont les gènes sont aujourd’hui disséminés dans les individus contemporains. Elle ne s’applique pas à l’immense majorité des espèces disparues qui ont également vu leurs gènes disparaître, et dont on ne pouvait pas, jusqu’à récemment séquencer l’information qu’ils contenaient. Cela a changé depuis quelques années grâce à l’essor extraordinaire des biotechnologies, qui ont permis de séquencer les génomes d’espèces, y compris à partir de spécimens anciens (dans une limite raisonnable de quelques centaines de milliers, voire d’un million d’années), et par le développement de techniques de biologie synthétique permettant de produire en laboratoire des molécules d’ADN de plusieurs centaines voire milliers de nucléotides. Enfin, les progrès dans le domaine de l’ingénierie génétique, en particulier à travers la découverte et l’optimisation des ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9, ont ouvert de nouvelles possibilités d’édition des génomes, en permettant d’insérer de manière précise, dans le génome d’une espèce, un gène d’une autre espèce. L’enthousiasme scientifique extraordinaire de ces dernières années pour déséteindre des espèces disparues se base donc sur ces technologies. Cependant, la notion de désextinction reste aujourd’hui très partielle. En effet, il n’est pas possible en l’état actuel des connaissances d’insérer davantage que quelques dizaines de gènes d’une espèce disparue dans une espèce contemporaine proche. Par exemple, le mammouth que l’entreprise Colossal Biosciences prétend pouvoir recréer sera en réalité composé à plus de 95% d’un génome d’éléphant d’Asie (provenant d’un ovocyte d’éléphante) et de quelques dizaines de gènes de mammouth, qui conféreront à cette chimère une apparence et une physiologie plus ou moins similaire au mammouth. Ce procédé est par conséquent en l’état très éloigné de ce que l’on pourrait comprendre à l’évocation du terme de désextinction. Sa viabilité est par ailleurs conditionnelle puisque pour voir l’effet de l’insertion d’un gène (et de toutes les conséquences collatérales de cette insertion sur le fonctionnement du génome de l’espèce-hôte) sur le descendant chimérique, il faudrait attendre que l’individu se développe jusqu’à l’âge adulte, ce qui pour le "mammouth" pourrait prendre une bonne douzaine d’années. Pour d’autres espèces telles que le dodo, d’autres problèmes encore non-résolus empêchent pour l’instant d’imaginer la synthèse d’une éventuelle chimère : l’espèce la plus proche, le pigeon de Nicobar, est trois fois moins grande et ne pourrait pas porter un œuf de dodo. Par ailleurs, il n’existe pas à l’heure actuelle de matrice artificielle où les œufs pourraient se développer hors d’une mère-porteuse.

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Dans quelle mesure les technologies que ces entreprises développent pour lutter contre l'extinction des espèces peuvent avoir des applications dans le domaine de la conservation ? En d’autres termes, les connaissances acquises par les scientifiques à la suite d'une extinction pourraient-elles aider à protéger les espèces aujourd'hui menacées ?

Chez plusieurs espèces qui sont proches de l’extinction, la diversité génétique des populations est extrêmement limitée, ce qui réduit considérablement leur potentiel d’adaptation. Dans certaines populations, la consanguinité est même telle que les génomes ont vu se fixer des gènes mal adaptés voire porteurs de maladies génétiques. On pourrait imaginer que dans de tels cas, l’application de certaines techniques d’ingénierie génétique, au cœur des projets de désextinction, puissent entrer en jeu. En particulier, l’intégration de nouveaux gènes (par exemple synthétisés à partir de la séquence du génome de spécimens de musées dont les populations sont aujourd’hui disparues) pourrait augmenter le potentiel adaptatif des populations contemporaines. Cependant, les ressources économiques nécessaires à l'enrichissement génétique de ces populations sont considérables et il est légitime de se demander dans quelle mesure ces ressources ne pourraient pas, si elles étaient investies dans la mise en œuvre de stratégies de conservation des espaces naturels (avec ou sans gestion humaine), avoir un impact beaucoup plus important sur la préservation des espèces actuelles. Par exemple, l'acquisition de territoires qui seraient convertis en réserves naturelles aurait un effet tangible sur la préservation des milieux et donc de toutes les espèces présentes dans ces milieux (et pas uniquement des espèces ciblées par l’ingénierie génétique). Si l'on transpose cette problématique à la question de la désextinction, on peut également considérer que si le "mammouth" ou d'autres espèces de grande taille venaient à être déséteintes, il faudrait leur permettre de se déployer sur de vastes territoires, semblables à ceux que connaissaient leurs "ancêtres" d'origine. Le ré-ensauvagement qui en découlerait permettrait ainsi à de nombreuses espèces associées de voir également leur milieu préservé. C’est d’ailleurs ce point de vue que nous défendons avec mon collègue paléontologue Lionel Cavin, avec qui nous avons écrit « Faire revivre les espèces disparues ? » (Éditions Favre, 2022).

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Concrètement, quelles espèces ou quels habitats aujourd’hui menacés pourraient retrouver leur santé grâce aux efforts de désextinction ?

On pourrait considérer toutes les espèces en danger d’extinction comme candidates à un renforcement génétique médié par l’ingénierie génétique. Par exemple le rhinocéros de Sumatra ou le gorille des plaines orientales, mais aussi de très nombreux amphibiens, la grande majorité des tortues terrestres, ou encore des milliers d’espèces d’insectes, pour ne citer que quelques exemples. Si l’on mise sur l’enrichissement génétique de ces populations par ingénierie génétique, et au-delà du fait que ces programmes permettraient d’augmenter la diversité génétique des espèces et par là-même la capacité des populations à s’adapter aux modifications de leur environnement, le développement de mesures de renforcement génétique sur une grande diversité d’espèces aurait le mérite de les mettre en lumière et de souligner la nécessité de protéger leurs milieux. Aujourd'hui, plusieurs programmes de conservation visent également à stocker dans des congélateurs des cellules vivantes d'espèces actuellement menacées, afin de pouvoir, un jour, réinjecter de la diversité génétique dans les populations en danger d’extinction. Ou même de faire revivre ces espèces par simple clonage si elles venaient à disparaître dans un avenir proche.

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