Des chrétiens du Nigeria aux Rohingyas : Parlement européen, Stéphane Hessel et médias en général, mêmes indignations et silences gênés sélectifs<!-- --> | Atlantico.fr
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Des policiers sur le lieu de travail du chef Rohingya, le jour de son meurtre. Kutupalong, Cox's Bazar, Bangladesh. 29 septembre 2021
Des policiers sur le lieu de travail du chef Rohingya, le jour de son meurtre. Kutupalong, Cox's Bazar, Bangladesh. 29 septembre 2021
©MUNIR UZ ZAMAN / AFP

Indignation à géométrie variable

Le silence du Parlement européen concernant l’attentat contre une église début juin s’inscrit dans un choix général de s’indigner des crimes ou se taire en fonction de leurs auteurs et des victimes

Jean Degert

Jean Degert

Jean Degert est éthicien, rédacteur et traducteur juridique.

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Le 5 juin dernier, dimanche de Pentecôte, des islamistes ont pris d’assaut l’église catholique St. Francis, à Owo, dans le sud-ouest du Nigeria pour y commettre un massacre. Le bilan de 50 morts et d’une soixantaine de blessés, dont des enfants, est toujours provisoire. Au fracas des armes a succédé le silence pusillanime du Parlement européen et de certains médias de premier plan. L’eurodéputé François-Xavier Bellamy a dénoncé ce mutisme le 8 juin et rappelé que le Parlement avait refusé, un mois auparavant, d’inscrire à son ordre du jour une dénonciation du meurtre de Deborah Samuel Yakubu, étudiante chrétienne lapidée et brûlée par des musulmans l’accusant de blasphème. 

Au-delà de ce silence quant au Nigeria où les églises sont souvent attaquées, on constate un traitement médiatique et politique orienté qui veut que l’importance de la victime dépende de l’identité de son agresseur, quitte à inverser les rôles. L’indignation sélective peut se traduire par la cécité sur des crimes commis par des victimes – ainsi ceux commis par des Rohingyas musulmans sur des Rohingyas d’autres croyances - ou le silence de nombreux pays islamiques quant à la persécution de leurs coreligionnaires ouïghours par les autorités chinoises.

« Nous parlons beaucoup ici, mais les chrétiens persécutés n'ont droit qu'à notre silence, un silence qui devrait nous couvrir de honte. Qui a parlé des morts d'Owo ? Où avez-vous vu leurs images ? De fait, nous en parlons ce soir, mais ce parlement est presque vide quand ce sujet devrait au contraire nous concerner tous », a dénoncé Bellamy, quasiment comme une voix criant dans le désert. En janvier 2020, le Parlement européen s’était montré plus courageux en adoptant une résolution sur les attentats terroristes au Nigeria qui ciblent particulièrement les chrétiens.

 Parmi les personnalités qui ont parlé de l’attentat, le président irlandais Michael Higgins a incriminé l’inaction face au réchauffement climatique en dénonçant « toute tentative de faire des populations pastorales (musulmans peuls, NDR) les boucs émissaires alors qu’elles sont parmi les premières victimes des conséquences du changement climatique ». Selon lui, cette crise a été engendrée par « la négligence des questions de sécurité alimentaire en Afrique ». Refuser encore et toujours de désigner le coupable en fonction de son identité.

L’indignation légitime : celle manquant d’impartialité pour définir l’agresseur et l’agressé 

Une bonne indignation est à géométrie variable, Stéphane Hessel en donna un parfait exemple dans sa critique d’Israël, lorsqu’il omit de dénoncer les provocations du Hamas et sa charte antisémite. Dans son opuscule intitulé Indignez-vous !, Hessel s’en prend à l’État hébreu après la guerre de Gaza qui marqua médiatiquement décembre 2008 et janvier 2009. S’appuyant sur le rapport international du juge sud-africain Richard Goldstone, il accuse Tsahal d’avoir commis des crimes de guerre pendant l’opération Plomb durci visant à mettre un terme aux tirs de roquettes du Hamas sur la population israélienne. « Je sais, le Hamas […] n’a pas pu éviter que des rockets soient envoyées sur les villes israéliennes en réponse à la situation d’isolement et de blocus dans laquelle se trouvent les Gazaouis », affirme l’auteur crédibilisé par son passé de résistant et son âge canonique de qui n’aurait rien à perdre à dire la vérité. S’il déclare le terrorisme « inacceptable », les mots sont choisis pour éviter de condamner le Hamas dont il feint d’ignorer l’antisémitisme viscéral notamment exprimé dans la charte. L’article 22 de cette constitution du Hamas fait des Juifs les responsables des guerres et des révolutions à travers le monde ; l’article 28 déclare : « Israël, par sa judéité et ses Juifs, constitue un défi pour l’islam et les musulmans : que les lâches jamais ne ferment l’œil. » Qu’importent les faits !

Lorsque parut en octobre 2010 cet ouvrage de Hessel parlant de Gaza comme d’une prison à ciel ouvert, le premier centre commercial de la bande avait déjà ouvert trois mois auparavant. Bien qu’il soit possible de séjourner à Gaza via Airbnb, l’image de la prison est perpétuée, Hessel n’est pas revenu sur ses propos. Son essai ne tient pas davantage compte des virulentes critiques du Caire, accusant le Hamas d’avoir causé cette guerre, que de sa charte de ce dernier. Plus encore, Hessel ignora la critique de son propre rapport par Goldstone en 2011 dans le Washington Post. Dans un article d’opinion, le chef de la mission d’enquête déclare avoir désormais assez de recul pour estimer que son rapport aurait été différent s’il avait alors disposé des informations adéquates. Il cite par exemple le fait qu’Israël a enquêté sur plus de 400 allégations de mauvaise conduite alors que le Hamas non, et que les tirs de Tsahal ne visaient pas les civils contrairement à ceux du Hamas. Cette critique du juge a cependant été rejetée par les trois autres membres de la mission.

Ouïghours et Rohingyas : les étonnants silences partiels concernant des communautés médiatisées

Peu importe que le Hamas soit accusé d’utiliser des boucliers humains, seuls importent l’indignation ostentatoire et son revers, le silence gêné. Ainsi, alors que l’on s’émeut du traitement des musulmans ouïghours en Chine qui sont rééduqués de force pour renier leur foi et subissent même des tortures selon un rapport de 2017 d’Amnesty International, la plupart des médias feignent d’ignorer que l’autorité palestinienne et divers États musulmans ont apporté leur soutien à la politique chinoise dans la région ouïghoure du Xinjiang en juillet 2020 devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Ce alors qu’ils se disent généralement solidaires de leurs coreligionnaires palestiniens ou d’autres nationalités dits victimes de régimes supposés oppressifs.

Cette discrimination dans l’information peut également se traduire par le silence concernant les attaques menées par des Rohingyas musulmans contre des Rohingyas hindous, chrétiens d’origine ou convertis. Réprimés par les autorités birmanes, les Rohingyas font l’objet d’une légitime campagne internationale de sensibilisation. Cependant, il semblerait que leur état de victimes gêne quand il s’agit de mentionner des attaques menées par certains d’entre eux contre les non-musulmans de leur ethnie. En janvier 2020, un pasteur protestant a été enlevé dans un cas de réfugiés au Bangladesh et des familles chrétiennes ont été attaquées par une foule. La fille du pasteur aurait été forcée de se convertir à l’islam et de se marier. Selon le média catholique asiatique UCANews, les assaillants ont ciblé 17 familles qui avaient quitté l’islam pour se convertir au christianisme évangélique. L'Armée du salut des Rohingyas d'Arakan (ARSA) a nié être impliquée et dénoncé un acte qui portait préjudice à l’image de l’ethnie. Un rapport d’Amnesty International avait toutefois révélé deux ans auparavant que l’ARSA avait massacré 99 villageois de confession hindoue dans l’État d’Arakan en Birmanie. Selon une survivante, le massacre, l’un des assaillants avait motivé la tuerie et les enlèvements par des raisons religieuses. Rares sont les médias à avoir parlé du massacre des hindous, encore davantage des attaques contre les chrétiens.

Que vaut une indignation si elle est sélective et se comprend de façon axiomatique comme un argument éthique se suffisant à lui-même sans avoir à être confronté ? Invité par Le Monde fin 2010 à commenter l’ouvrage de Hessel, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik s’est indigné « qu'on nous demande de nous indigner parce que l'indignation est le premier temps de l'engagement aveugle. Il faut nous demander de raisonner et non de nous indigner. » Le silence ostensible du Parlement européen et certains médias révèle en creux ce double standard : il ne s’agirait pas de se tromper d’indignation médiatique.

Jean Degert

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