Des chercheurs parviennent à faire léviter un petit plateau en utilisant des rayons lumineux. Et voilà pourquoi c’est une vraie prouesse<!-- --> | Atlantico.fr
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Les chercheurs sont parvenu à faire léviter un disque de Mylar.
Les chercheurs sont parvenu à faire léviter un disque de Mylar.
©Mohsen Azadi, University of Pennsylvania

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Des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie sont parvenus à faire léviter des disques, uniquement en utilisant la lumière.

Jean-Michel Courty

Jean-Michel Courty

Jean-Michel Courty est professeur à Sorbonne Université. Il est membre du Laboratoire Kastler Brossel, équipe "Fluctuations quantiques et relativité".

Il anime une chaîne Youtube, "Merci la Physique !".

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Atlantico : Des chercheurs de l’Université de Pennsylvanie sont parvenus à faire léviter des disques, uniquement en utilisant la lumière. Comment sont-ils arrivés à produire un tel phénomène, décrit dans leur article publié dans Science Advances ? Quels procédés physiques sont en marche ?

Jean-Michel Courty : Pour appréhender cette expérience, il faut déjà comprendre comment fonctionne l'effet radiométrique.

Un radiomètre de Crookes - que l'on voit parfois dans les vitrines des opticiens - est une ampoule de verre. A l'intérieur, l'air est très raréfié et on y trouve un petit moulin avec des ailettes à deux faces, l'une noire et l'autre argentée. Il se met à tourner on l'éclaire. Ce qu'on remarque, c'est que ce sont les faces noires des ailettes qui poussent le moulin . C'est ce qu'on appelle l'effet radiométrique. Quand vous vous mettez un objet à la lumière, cet objet l'absorbe plus ou moins. S'il est noir, il chauffe plus car il absorbe toute la lumière : la face noire est donc plus chaude que la face claire. Or, la température, à l'échelle microscopique, c'est de l'agitation. Donc, quand une particule arrive sur la face noire, qui est chaude, elle écupère de l’énergie, s'agite et repart à une vitesse plus élevée que lorsqu'elle est arrivée - alors que quand elle arrive sur la face brillante, elle rebondit et repart à la même vitesse. Maintenant, ajoutez l'effet qui fait que lorsqu'on tient un objet lourd dans les mains et qu'on le lance, on recule - et ce d'autant plus qu'on lance l'objet vite. C'est le même principe.

Cette explication vous montre pourquoi ce radiomètre de Crooke, inventé il y 150 ans fascine autant les physiciens. C’est parce que c’est un concentré de physique : pour le comprendre il faut réaliser que ce qu'est la lumière, le fait qu'elle chauffe, que la chaleur est de l'agitation, que l'agitation est de la vitesse et que la force réaction est d'autant plus importante que la vitesse est grande.

Quand j'ai vu le sujet de l'expérience réalisée en Pennsylvanie, je me suis dit que c'était quelque chose de connu depuis bien longtemps. Mais à la lecture de la publication de ces chercheurs, j'ai été bluffé, parce qu’ils ont réalisé quelque chose de totalement nouveau. Ils se sont dit : "nous voudrions faire léviter quelque chose". Cela veut dire qu'il faut une force qui compense le poids. Il faut donc avoir le poids le plus faible possible et la force la plus forte, étant donné l'ordre de grandeur des forces susceptibles de générer cet effet physique. C'est pour ça qu'ils ont pris du Mylar de 0,5 micromètre d'épaisseur. Le problème, c'est que quand vous avez quelque chose d'aussi mince, même si vous mettez des faces de deux couleurs différentes, elles seront de la même température parce que la chaleur traverse très facilement la petite épaisseur. Et c’est là que ça devient vraiment intéressant… Je vous ai dit que lorsque les molécules cognent la surface, elles repartent plus vite. En fait, ce "plus vite" dépend de la surface. Si vous prenez une surface parfaitement lisse, la particule va partir à la même vitesse - un peu comme une boule de billard qui touche une bande. En revanche, si la particule se colle sur la surface et ensuite repart, elle repart avec la température de la surface. Autrement dit, selon les matériaux, même s'ils sont à la même température, la manière dont les molécules rebondissent va avoir un impact sur leur vitesse de rebond et donc sur la force générée en réaction. C'est cela que les chercheurs ont réussi à faire. Ils ont pris du Mylar avec une surface très lisse d'un côté - sur laquelle les particules rebondissent - et de l'autre côté une surface avec des nanofibres de carbone. Elles sont deux avantages : le premier est qu'elles absorbent bien la lumière, donc ça chauffe bien, et le deuxième avantage est que les molécules repartent avec une vitesse plus élevée. C'est ça que j'ai trouvé super intéressant et qui est bluffant dans leur travail. Ils ont réussi à refaire ce fameux effet radiométrique, mais en ayant les deux côtés à la même température.

Finalement, le procédé en lui-même n'est pas nouveau, mais la façon dont ils l'ont mis en oeuvre l'est ?

Oui et non. Jamais personne auparavant n'avait utilisé la différence de vitesse de rebond en fonction de la nature du matériau. Jusqu'à présent, l'effet radiométrique avait toujours été utilisé en utilisant la différence de température. C'est pour cela que quand j'ai vu l'article, je me suis dit que je ne voyais pas ce qu'on pouvait faire de nouveau sur le sujet. Et pourtant j'avais écrit un article de vulgarisation sur ce sujet il y a 15 ans, c'est donc un sujet que j'estimais connaître.

Ils ont eu l'idée de prendre un matériau, de traiter les deux faces de manière différente, et trouver un traitement qui fait que c'est efficace.

Au-delà de la prouesse scientifique, concrètement, à quoi ça sert ?

Si je le savais, je ne vous le dirais pas et je déposerais un brevet !

Est-ce simplement de la science pour la science ?

Cela permet de continuer à faire progresser les connaissances. Dans certaines publications, on travaille parce qu'on veut comprendre des choses, on avance pas à pas. On se dit "ça aide à comprendre ceci ou cela ". Ici, on est dans une situation différente. On savait que cet effet radiométrique existait et que selon la théorie, la force serait plus ou moins forte selon les matériaux. Quand la théorie dit quelque chose, un physicien veut tout de suite voir si c'est vraiment le cas pour éventuellement être le premier à mettre en évidence un phénomène ou montrer qu’en fait la théorie ne marche pas. Ici c’est la différence de vitesse de rebond qui est mise en évidence expérimentalement. Et en plus le dispositif est élégant : la vidéo qui filme l’expérience est spectaculaire , ce n'est pas juste un chiffre différent. On n'est pas dans le concept : à la fin, ils ont réussi à soutenir quelque chose avec de la lumière !

Soulever de la matière macroscopique avec de la lumière a déjà été fait. Mais c'était des objets particuliers, avec des lasers surpuissants. Là, c'est juste des LED. On est dans la compréhension de l'effet radiométrique, mais aussi dans sa maîtrise. Dans la science, il y a l'idée d'observer, de s'interroger, et une fois qu'on a compris, d'aller plus loin et de maîtriser, de contrôler. Ainsi, on rajoute cet effet à ceux qu'on maîtrise. Peut-être que ça ne servira jamais, mais peut-être qu'un jour quelqu'un y trouvera une utilité. Mais ça restera de la niche, car il s'agit de soulever des objets de quelques milligrammes à une pression d'un dix-millième d'atmosphère. Je ne vois pas spontanément quelles pourraient être les applications rapides et larges.

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