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Derrière l’épidémie de bronchiolites, le Covid ?
©Martin BUREAU / AFP

Quand une épidémie en cache une autre

L'épidémie de bronchiolite prend de l'ampleur en France avec une forte augmentation des hospitalisations des nourrissons

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave

Claude-Alexandre Gustave est Biologiste médical, ancien Assistant Hospitalo-Universitaire en microbiologie et ancien Assistant Spécialiste en immunologie. 

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Depuis des semaines, on s'interroge sur le rôle de SARS-CoV-2 dans l'épidémie actuelle de bronchiolites. Il faut bien comprendre que le terme « bronchiolites » répond à une définition uniquement clinique (syndrome) et pas virologique. La principale étiologie de ces bronchiolites du nourrisson est habituellement le VRS (Virus Respiratoire Syncitial), mais cette année, cela ne semble plus être le cas.

Depuis au moins 6 semaines, Santé Publique France demandait qu'on ait des données relatives aux infections par SARS-CoV-2 chez les nourrissons (surtout entre 3 et 12 mois ; âge concerné par les bronchiolites graves). Dans les bulletins hebdomadaires, on pouvait trouver un encart exprimant la nécessité de documenter les infections par SARS-CoV-2 dans cette classe d’âge, afin d’évaluer l’impact de ce virus sur l’épidémie de ce qui est qualifié de bronchiolites. Puis, cette semaine, Santé Publique France s’est ravisé en changeant le texte de cet encart pour évoquer « une perturbation de la circulation du VRS à cause des mesures barrières déployées contre SARS-CoV-2 » (https://twitter.com/Ecole_Oubliee/status/1466133303841468427?s=20) :

Le problème est que les données dont on dispose, montrent que la circulation du VRS est inhabituellement faible, alors que l’épidémie de bronchiolites est inhabituellement précoce. Et on manque toujours de données concernant SARS-CoV-2 chez les nourrissons. Quand on demande des données, on n'en trouve très peu, mais on entend toujours le même story telling : "arrêtez d'agiter les peurs, tous les bébés sont testés et ce n'est pas la COVID". Les données de Santé Publique France montrent, au contraire, qu'on ne teste PAS les bébés pour SARS-CoV-2, et que « l’écosystème » viral semble perturbé de manière inédite. Or depuis 2019, le seul nouveau venu dans cet écosystème est SARS-CoV-2. Il est donc très dommageable de mettre ces données « sous le tapis », au lieu de documenter la circulation de SARS-CoV-2 chez les bébés (ce qui est indispensable pour recalibrer les services de pédiatrie pour les années à venir ; ainsi que pour limiter les clusters hospitaliers et familiaux). J’en profite pour rappeler que les consignes du Ministère de la Santé sont toujours de ne pas tester les enfants de moins de 6 ans pour dépister une infection par SARS-CoV-2 ! (https://twitter.com/Ecole_Oubliee/status/1453475276982194190?s=20)

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Regardons les données de Santé Publique France pour illustrer cette problématique des bronchiolites, comprendre à quel point le « story telling » de l’immunité anti-VRS soi-disant affaiblie par les mesures barrières n’est pas pertinent, et pourquoi il serait important de documenter la circulation de SARS-CoV-2 dans cette classe d’âge. Commençons par les données nationales fournies dans les bulletins épidémiologiques « bronchiolites ». Le dernier en date porte sur la semaine 47 (https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/maladies-et-infections-respiratoires/bronchiolite/documents/bulletin-national/bulletin-epidemiologique-bronchiolite-semaine-47.-saison-2021-2022).

Que peut-on y voir ?

Tout d’abord, une « vague » de bronchiolites (courbe rouge), plus précoce qu’à l’habitude (cf. courbe verte : 2019-2020, dernière années « normale », avant émergence de SARS-CoV-2). Il faut bien comprendre que ces courbes ne sont définies que par des données cliniques ! Indépendamment de toute identification de l’étiologie virale à l’origine de ces bronchiolites. On peut cependant noter que les vagues de bronchiolites se sont poursuivies jusqu’en semaine 13 de 2020, et une vague a également déjà eu lieu en 2021 (depuis la semaine 1, jusqu’à la semaine 17, puis à plus bas niveau jusqu’à la semaine 31, avant la flambée initiée en semaine 36). Les enfants n’ont donc pas vécu dans une « bulle », ils ont été largement exposés aux virus saisonniers, ainsi qu’à SARS-CoV-2, malgré les mesures barrières, puisque celles-ci sont mal appliquées par les enfants, et aucun effort n’a été fait sur l’aération des lieux clos dans les écoles. Leur immunité a donc été largement stimulée depuis 2020, contrairement au « story telling » ambiant qui voudrait que les mesures barrières aient transformés les enfants en « petits êtres immunodéprimés » parce qu’on leur a fait porter des masques ! Les seuls qui pourraient être concernés par un défaut d’exposition au VRS, seraient une part des nourrissons nés après la semaine 13 de 2020, et qui n’auraient pas déjà été infectés lors des mois de circulation virale en 2021… C’est-à-dire une proportion minime des nourrissons.

Le bulletin épidémiologique, montre également la part représentée par ces bronchiolites dans l’activité des urgences pédiatriques (courbe bleue) et du réseau SOS Médecins (courbe rose). On retrouve l’activité des bronchiolites durant tout 2021, notamment entre les semaines 1 et 18, avant la « flambée » récente, dont l’ampleur reste comparable avec l’amplitude habituelle (cf. vague de 2019-2020). Encore un élément qui montre que l’immunité des enfants n’a pas été altérée par les mesures barrières. Là encore, ces courbes sont construites à partir de données exclusivement cliniques (syndromiques), indépendamment de toute identification de l’étiologie virale à l’origine de ces bronchiolites.

On trouve alors un 3ème graphe, cette fois construit à partir des résultats de dépistage du VRS (historiquement la principale étiologie des bronchiolites du nourrisson). Il est très intéressant car il « démonte » le story telling ambiant qui prétend que la vague actuelle de bronchiolites est liée à un affaiblissement de l’immunité des enfants contre le VRS, à cause des mesures barrières. On peut y voir une vague d’infections à VRS (au centre), depuis le tout début de 2021, jusqu’à la semaine 20 de 2021. Avec une proportion de tests positifs au VRS qui a atteint des niveaux similaires à ce qu’on observait en 2019 (donc avant l’arrivée de SARS-CoV-2). On voit donc là, que le VRS a déjà circulé chez les nourrissons/enfants depuis 2020, à un niveau loin d’être anecdotique. Leur immunité a donc bien été stimulée spécifiquement contre ce virus, malgré les mesures barrières ! Encore une fois, l’absence d’immunité spécifique contre le VRS ne peut concerner qu’une toute petite fraction des nourrissons (ceux qui sont nés après la semaine 10 de 2020, et qui n’ont pas été infectés depuis, malgré la forte circulation du virus depuis la semaine 1 de 2021 !!!).

On peut également voir que pour la vague actuelle, alors que l’ampleur clinique est similaire à celle qu’on observait en 2019, la part des tests positifs pour le VRS est inhabituellement faible. Tant sur les prélèvements faits « en ville » (formes bénignes) = 12%, que sur les prélèvements faits à l’hôpital (incluant les formes sévères) = 10%. En 2019, en pleine vague clinique de bronchiolites, la part occupée par le VRS était >20%, tant en ville qu’à l’hôpital. Sur le même réseau de surveillance, elle n’est plus désormais que de 10% environ. Quel virus a pris la place ? On voit même que sur la semaine 47, alors que la vague clinique de bronchiolite reprend en vigueur (cf. 1er graphe), la part occupée par le VRS diminue encore !

Nous sommes en plein contexte de pandémie, avec l’émergence d’un nouveau virus (SARS-CoV-2), tout à fait capable d’infecter les nouveau-nés et nourrissons, mais dont on ne documente pas la circulation dans ces classes d’âges, alors que manifestement, l’écologie virale des bronchiolites a changé par rapport à 2019. C’est une défaillance des systèmes de veille épidémiologie. La documentation de cette circulation virale est importante pour actualiser les connaissances virologiques et d’infectiologie chez les nourrissons, recalibrer les services de pédiatrie car désormais SARS-CoV-2 ne va plus nous quitter, et aussi pour améliorer le contrôle des clusters hospitaliers et familiaux liés aux infections des nourrissons.

Contrairement à ce qu’on entend souvent, les nourrissons ne sont pas testés pour rechercher SARS-CoV-2. Si on reprend les données fournies par Santé Publique France sur Geodes, on peut voir que le taux de dépistage des 0-2 ans est 3,6 à 7,8 fois moindre que chez le reste des enfants.

(https://geodes.santepubliquefrance.fr/#c=indicator&f=02&i=sp_18ans.td&s=2021-S47&t=a01&view=map2). Chez les 0-2 ans il est seulement de 1686,5 / 100000 habitants / 7 jours, quand il est à 7873,3 chez les 3-5 ans ; 13205,2 chez les 6-10 ans ; 7193,7 chez les 11-14 ans ; 6097,6 chez les 15-17 ans ! Pour illustrer ce que représente de tels taux de dépistage, prenons l’exemple du plus élevé : 13205,2 tests / 100000 habitants / 7 jours chez les 6-10 ans. Cela correspond au dépistage de seulement 1,9% de cette tranche d’âge par jour ! Toutes les autres tranches d’âge ont un taux de dépistage nettement inférieur, ce qui veut dire qu’on ne dépiste qu’une fraction infinitésimale des enfants pour rechercher les infections par SARS-CoV-2. Et chez les 0-2 ans, alors qu’on observe une vague intense de bronchiolites, dont la part attribuée au VRS semble bien plus faible qu’à l’habitude, on ne dépiste que 0,24% de cette classe d’âge chaque jour ! Ce n’est pas sérieux.

On peut compléter avec les données de la région ARA (qui abrite notamment le CNR des virus respiratoires pour la zone France Sud). Le bulletin épidémiologique régional de la semaine 47, illustre à nouveau l’anomalie épidémiologique associée aux bronchiolites (https://www.santepubliquefrance.fr/regions/auvergne-rhone-alpes/documents/bulletin-regional/2021/surveillance-sanitaire-en-region-auvergne-rhone-alpes.-point-au-2-decembre-2021). Dans ce bulletin, on constate également une forte progression régionale des bronchiolites (définies cliniquement, indépendamment de leur étiologie virale) :

Ce phénomène se visualise très bien sur ce graphe, et reste là encore comparable (voire légèrement inférieur) à celui de 2019, donc encore une fois, sans aucun signe d’affaiblissement immunitaire des enfants.

Cependant, alors que les bronchiolites cliniques progressent fortement (+64% de hausse aux urgences, et +56% de hausse des hospitalisations en 1 semaine), le VRS ne progresse que de 23%, passant de seulement 96 à 118 cas en 1 semaine, et ne représente que 5,6% des cas virologiquement documentés (contre 7,5% la semaine précédente).

Comparaison dans le bulletin de la semaine précédente (https://www.santepubliquefrance.fr/regions/auvergne-rhone-alpes/documents/bulletin-regional/2021/surveillance-sanitaire-en-region-auvergne-rhone-alpes.-point-au-25-novembre-2021) :

On a donc d’un côté une vague clinique de bronchiolites qui progresse+++, et de l’autre côté une diffusion du VRS qui semble stagner à bas niveau, voire régresser. Tout ceci en plein concomitance d’une vague Delta associée à SARS-CoV-2… qui n’est pas recherché activement chez les 0-2 ans, et pour lequel on ne dispose donc d’aucune donnée pour évaluer son rôle dans la vague de bronchiolites. Je le répète, c’est une défaillance des organes de veille sanitaire. Pour illustrer cette lacune, il suffit de comparer les taux de dépistage SARS-CoV-2 dans cette même région ARA sur les classes d’âges pédiatriques. Là encore, le taux de dépistage des 0-2 ans est 4,1 à 9,9 fois moins élevé que dans le reste de la population pédiatrique.

Et potentiellement, le rôle de SARS-CoV-2 dans ces bronchiolites n’est pas anecdotique. Si on compare le nombre d’hospitalisations hebdomadaires (254 en région ARA), et le nombre d’infections par SARS-CoV-2 durant cette même semaine chez les 0-2 (305, à partir d’un taux de dépistage très faible), on voit que la circulation de SARS-CoV-2 pourrait presque expliquer à elle seule la flambée de bronchiolites ! Mais comme on ne dispose pas des données, il est impossible de l’évaluer. Ce n’est pas sérieux. Une veille épidémiologique se doit d’actualiser les connaissances au gré de l’émergence de nouveaux agents pathogènes, en toute transparence.

Surtout quand d’autres pays, qui testent beaucoup les enfants, montrent non seulement que SARS-CoV-2 circule actuellement à des niveaux record chez les enfants (même au-delà des records documentés chez les adultes). C’est ce que fait le PHE (équivalent britannique de Santé Publique France), en publiant début novembre le rapport de l’étude épidémiologique REACT-1 : https://twitter.com/C_A_Gustave/status/1456567106561089537?s=20

Et c’est également ce que les Etats-Unis ont fait suite à leur vague massive de bronchiolites, en montrant que SARS-CoV-2 était responsable d’au moins 25% de ces bronchiolites (https://twitter.com/LeDieuJulien/status/1458828832425881601?s=20), et qu’une co-infection VRS/SARS-CoV-2 était documentée dans 55% des cas, avec des formes plus sévères de bronchiolites (https://twitter.com/tohmes1/status/1442391924611055618?s=20).

Nous avons les outils pour cette veille épidémiologique et documentation virologique. Les données sont à notre portée, encore faut-il en avoir la volonté.

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