Dépassements d'honoraires des médecins : les vraies raisons<!-- --> | Atlantico.fr
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Les professionnels principalement concernés par les dépassements d'honoraires sont les pédiatres, les ophtalmologistes et les gynécologues.
Les professionnels principalement concernés par les dépassements d'honoraires sont les pédiatres, les ophtalmologistes et les gynécologues.
©Reuters

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Un rapport publié par UFC Que Choisir pointe du doigt des dépassements d'honoraires chez les médecins généralistes, deux fois supérieurs à la hausse de l'inflation.

Laurent Gerbaud

Laurent Gerbaud

Laurent Gerbaud est chef de service au CHU Hôtel Dieu de Clermont Ferrand. Il enseigne également l’Economie de la Santé.

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Atlantico : L’association de consommateurs UFC Que Choisir met en avant dans un rapport présenté mercredi 25 septembre une hausse des dépassements d’honoraires deux fois supérieure à l’inflation. Les professionnels principalement concernés sont les pédiatres, les ophtalmologistes et les gynécologues. Faut-il y voir une simple volonté d’enrichissement sur le dos des patients ?

Laurent Gerbaud : La question des dépassements est très complexe, car un phénomène moyen peut-être la traduction de choses contradictoires. Ce rapport, comme par hasard, porte sur trois spécialités médicales qui manquent d’effectifs et dont les compétences ne sont que partiellement transférables aux  généralistes. Ces professionnels font des heures de travail très importantes, dont la conséquence logique est l’augmentation des honoraires. Car il faut bien "compenser" par un moyen ou un autre ce nombre d’heures travaillées, surtout lorsqu’on a une famille à sa charge. Des contraintes quotidiennes, partagées par tout le monde dans la société, expliquent en partie la hausse des dépassements.

Cette réalité soulève la question du financement à l’acte. Certains pays comme la Grande-Bretagne ou la Suède ne le pratiquent pas, et les médecins y sont mieux rémunérés. Le fonctionnement du financement de l’activité médicale en France est le même depuis le 19e siècle. Certains professionnels abusent par simple volonté d’enrichissement, mais la majorité des dépassements ne sont pas très importants. Ils amènent à des prix d’acte qui ne sont pas toujours  insensés quand on compare avec les tarifs pratiqués par un électricien ou un plombier. L’idée selon laquelle il est normal qu’un médecin libéral travaille 70 heures par semaine est démodée de toute façon, quelle que soit la rémunération.

Plus structurellement, de quoi ces dépassements sont-ils la conséquence dans le système de santé actuel ?

Ils sont la conséquence d’une insuffisance d’offre en termes de médecins et d'une inadéquation des tarifs par rapport à ce que les gens souhaiteraient payer. Les médecins, par opposition aux patients, estiment qu’ils ne sont pas assez payés.

Plus fondamentalement, en termes d’économie de santé, ce n’est pas la question des dépassements en elle-même qui est inquiétante, mais celle des personnes auxquelles s’appliquent ces dépassements. Le code de déontologie dicte que les honoraires doivent être déterminés avec tact et mesure. Aucun problème ne se pose réellement lorsqu’un dépassement est effectué pour une personne dont les revenus sont suffisamment élevés.  Le procédé pose un vrai problème de déontologie s’il est appliqué à des personnes dont les moyens sont limités.

Il existe une manière de pratiquer le dépassement, qui ne dit pas son nom et qui est beaucoup plus scandaleuse : se faire compter comme une consultation le simple renouvellement d’une ordonnance. Il n’est pas normal qu’un gynécologue, par exemple, fasse payer toutes ses consultations au même tarif, lorsqu’on sait que pour un simple renouvellement de pilule il se contente de vérifier la glycémie et le cholestérol de la personne. En dénonçant les dépassements d’honoraires, on se trompe de cible. Les actes médicaux faits à la va-vite ne sont pas de vraies consultations. En fonction de cela, la dépense de santé pourrait être considérablement optimisée. Un pédiatre qui effectue un vaccin pose une consultation d’acte de spécialiste de pédiatrie, alors qu’une infirmière puéricultrice pourrait réaliser la même opération à un tarif raisonnable, sous couvert du pédiatre, qui peut intervenir en cas de problème. Cette mauvaise organisation est bien plus coûteuse que ces dépassements modérés de 10 à 15 euros dénoncés dans le rapport.

Ces affaires de dépassements peuvent-elles avoir un impact négatif sur la motivation des étudiants à pratiquer la médecine libérale ?

Ce n’est pas le problème central. Aujourd’hui, c’est la question du temps et des conditions de travail qui coule la médecine libérale française. 70 % des internes en médecine sont des femmes, et rien n’est fait pour les aider à avoir une vie de famille pendant leurs études. Les solutions sont pourtant simples : en zones rurales, des médecins généralistes s’organisent en maisons de santé, ce qui permet de faciliter cette vie familiale. Ces cabinets n’ont aucun problème pour attirer de jeunes médecins. Les cabinets qui ne s’organisent pas ainsi ne trouvent pas de candidats, à l’exception de médecins roumains ou hongrois qui, eux aussi, s’aperçoivent qu’ils ont bien plus intérêt à intégrer une maison de santé.

La prise de risque médicale est un autre élément particulièrement décourageant  pour les étudiants. Le sentiment qu’à la moindre erreur la sanction judiciaire tombera plombe les choses. L’organisation collective des soins offre un cadre rassurant de ce point de vue-là. Le modèle du médecin qui sacrifie sa vie au bien commun n’est plus valorisé socialement.

Pour revenir au rapport d’UFC, il n’est pas étonnant que les médecins les plus concernés par les dépassements se trouvent parmi les spécialités les plus tendues. Chez certains ophtalmos, il faut attendre six mois avant de pouvoir être reçu. Les pédiatres, eux, sont confrontés à des urgences qui étirent leurs journées sur 10 ou 15 heures.  Quant aux gynécologues, ce sont eux qui enregistrent la plus forte demande de soins dans certaines zones, notamment universitaires.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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