Démondialisation et fragmentation géo-économique : et si le récit sur la nouvelle guerre froide passait totalement à côté de la réalité ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des conteneurs de marchandises dans un port en Chine.
Des conteneurs de marchandises dans un port en Chine.
©STR / AFP

Souveraineté économique

Ces thématiques vont être au cœur des discussions des rencontres de printemps du FMI et de la banque mondiale cette semaine.

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : L’économiste Brad Setster a souligné sur Twitter, graphique à l’appui, que « lors des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale, on parlera beaucoup de fragmentation géoéconomique. Pourtant, sur un point essentiel (l'importance des flux mondiaux nets, ou déséquilibres des comptes courants), le monde ne se démondialise pas et ne se fragmente pas... ». Est-ce judicieux ?

Don Diego De La Vega : Le graphique est intéressant. Il y a tout un tas de manières de mesurer la mondialisation et la démondialisation. Il est assez élégant, sur une base historique, de prendre la somme des déséquilibres de balances des paiements courants. On voit bien la variance, le spectre, qui augmente. C’est à la fois visuellement intéressant et cela a du sens économiquement. C’est assez contre-intuitif pour tous ceux qui déblatèrent sur la démondialisation depuis des années. Il faut cependant dire qu’il ne résume pas le sujet puisque le commerce international a évolué. Ce n’est plus un commerce mais une répartition de tâches le long de longues chaînes de valeurs décentralisées. Et qui est de plus en plus inter-entreprises voir intra-entreprises. Cette sophistication fait que les mesures usuelles du commerce international n’en capturent désormais qu’une partie. Il y a toute la « matière noire » des échanges mondiaux qui essaie de sortir des mesures en volume pour préférer les mesures en valeur, estimant qu’il n’est pas la même chose d’être au début qu’à la fin de la chaîne de production. Mais les déséquilibres de balance des paiements courants sont un bon outil. Si l’on veut être dur, cela signifie que la vision d'une démondialisation est mensongère. Si l’on est plus compréhensif, cela signifie qu’à ce stade, rien n’est encore advenu, même si des tendances sont en train d’émerger, notamment à la régionalisation et la constitution du blocs, avec l’idée de dédollarisation qu’on entend de plus en plus, mais que l’on observe de manière limitée. Ce serait donc une tendance vers laquelle on irait à terme. Le consensus américain autour du néo-protectionnisme pourrait en effet pousser à réduire les importations et les exportations.  Parler d’une démondialisation est une assertion très forte qui doit réclamer des niveaux de preuve élevés. Et ceux-ci n’existent pas pour l’instant.

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Il souligne notamment l’évolution du surplus chinois. Que faut-il y lire ?

Les travailleurs chinois sont désormais payés à la fin du mois. Il y a eu une augmentation vertigineuse des salaires en Chine, témoignant d’une montée en gamme du pays. A partir de là, il est normal que les Chinois ne s’occupent plus de la même production et qu’elle soit transmise à d’autres. Si la chine devient plus servicielle il est plutôt logique qu’elle enregistre moins d’excédents commerciaux. Le process in trade qui a fait l’économie chinoise n’arrête pas de baisser à mesure que la Chine exporte des produits purement chinois. La baisse des excédents commerciaux chinois irait même dans le sens d’une internationalisation des échanges. Développer le commerce international va, nécessairement, creuser les déséquilibres dans la balance. Tout bouge. Le problème vient de pays comme la France où l’on ne gagne pas de parts de marchés alors même que les salaires n’explosent pas et que l’euro ne s’apprécie pas. La Chine, elle, continue à gagner des parts de marchés, tout en changeant de gamme et en augmentant les salaires et en appréciant le Yen face au dollar. Les Américains sont entre les deux. On peut avoir le sentiment qu’ils sont perdants mais ce sont en réalité les grands gagnants du commerce international, car ils contrôlent les deux extrémités des chaînes de valeur. Mais cela pourrait changer, et c’est pour ça qu’on parle de guerre économique. On le voit avec Huawei, TikTok, etc.

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Faut-il parler de nouvelle guerre froide économique ? Cela a-t-il du sens ?

Plus vous raisonnez en économiste, moins vous cherchez une situation agonistique. Le mieux c’est le libre échange inconditionnel, tout le temps et partout. Mais on ne peut pas empêcher les gens de parler de nouvelle guerre froide économique. Quitte à le faire, il faut que ce soit clair et ciblé. Sauf que plus ça va, plus ça dure. Il y a donc bien des tentations à faire rentrer le monde dans une logique de bloc, on le voit tous les jours. Est-ce que c’est le cas ? Pas vraiment. Est-ce que c’est impulsé par les chinois ? Certainement pas. Le protectionnisme contemporain vient de Washington. Pourtant ce sont eux les grands gagnants à l’heure actuelle. Sauf que l’électeur américain médian ne le comprend pas.

Le fait que le FMI et la Banque mondiale mettent ces sujets au cœur de leur réflexion est-il une erreur ?

Non, la Banque mondiale a alerté que la décennie 2020 serait historiquement faible en termes de croissance. Il est donc logique que l’on cherche des solutions pour booster la croissance. Le système de Bretton Woods repose sur des institutions fortes, FMI et Banque mondiale, qui ont deux grandes réunions par an et il est normal qu’elles se posent des questions de la sorte surtout face aux projets de nouvelles routes de la soie, d’accord brésilano-chinois, etc. Il y a toutefois quelque chose de paradoxal à y réfléchir alors que la communauté internationale a validé des tactiques d’embargo, de sanctions contre la Russie, qui ont des effets douteux sur l’économie russe et franchement négatifs sur les économies occidentales. Ça rend la vente du multilatéralisme plus difficile à faire.

Parler de souveraineté économique européenne comme l’a fait Emmanuel Macron dans ce contexte a-t-il du sens ?

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Je rejoins ce qu’Emmanuel Macron a déclaré sur la Chine et sur le signal envoyé. Mais sur la souveraineté économique européenne, c’est du macronisme pur et dur, donc de l’hypocrisie totale. Emmanuel Macron est, depuis Alstom au moins, prêt à vendre nos entreprises stratégiques. Que propose-t-il ? Est-il en capacité de réunir 2/3 des pays européens ? Tout cela est impossible à dire, il est hors sol. Qu’est-ce qu’il y a derrière cette idée de souverainisme européen ? Ce n’est pas clair. Ça fait six ans qu’il en parle mais sans rien proposer. Ariane 6 est l’exemple de l’échec de notre souveraineté européenne. Elle ne vole pas encore et est déjà has been. Pour le reste, il n’y a pas de coordination européenne. Il y a l’euro, mais on le gère mal, en l’ayant confié à des banquiers centraux indépendants, et c’est sans doute le domaine sur lequel on aurait dû s’abstenir d’une coordination européenne.

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