Démocraties en crise : ces braises de la colère sur lesquelles souffle habilement la Russie<!-- --> | Atlantico.fr
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Environ 70 000 tchèques ont protesté samedi 3 septembre dans le centre historique de Prague, contre le gouvernement tchèque
Environ 70 000 tchèques ont protesté samedi 3 septembre dans le centre historique de Prague, contre le gouvernement tchèque
©EPA-EFE/MARTIN DIVISEK

Attiser la colère

Allemagne, République Tchèque, Royaume-Uni ... Dans plusieurs pays d'Europe, des manifestations ont eu lieu pour dénoncer les conséquences de la guerre en Ukraine, notamment la hausse des prix de l'énergie. Une situation que les médias russes ne manquent pas de commenter

Carole Grimaud

Carole Grimaud

Carole Grimaud est analyste géopolitique, spécialiste de la Russie et des espaces post-soviétiques. Fondatrice du Center for Russia and Eastern Europe Research, pour lequel elle a publié des analyses et articles sur sa zone de spécialisation, elle a également publié pour le Groupe d'Etudes géopolitique de l'Ecole Normale. Professeure en géopolitique de la Russie à l'Université de Montpellier et à Montpellier Business School, où elle enseigne la géopolitique et les stratégies inter-étatiques, à EMLyon Business School (géopolitique, globalisation et cyber-espace).

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Atlantico : Des milliers de Tchèques ont protesté contre leur gouvernement, « trop accaparé par l’Ukraine » à tel point que le Premier ministre tchèque a accusé les forces pro-russes d’être à l’origine de la manifestation. Qu’est-ce que cela nous apprend ?

Carole Grimaud Potter : On a en peu parlé en France mais ce sont des manifestations d’importance qui ont eu lieu, en République Tchèque, en Allemagne, au Royaume-Uni et aussi un peu en France par le mouvement des Patriotes. Ce sont des nouvelles qui sont reprises par les médias russes parce qu’ils suivent la politique du Kremlin. Les officiels le voient comme un effet de boomerang des sanctions : du prix de l’énergie, etc. Ces mouvements, qui risquent de s’amplifier, ils les attendent. La Russie voit bien que l’approvisionnement des armes continue et que les pays continuent d’envoyer de l’aide. Ainsi, depuis quelques semaines, la Russie mise sur l’opinion publique et sur un renversement de celle-ci face à ses dirigeants. Et puisque les gouvernements prennent des mesures pour lutter contre les effets de la crise, cela va se transformer en un bras de fer entre les populations, les gouvernements et la Russie. Et l’élément déterminant que personne ne maîtrise est la météo. Si l’hiver est doux ou rigoureux, cela va faire fluctuer notre consommation d’énergie et donc les conséquences. 

Les Russes ont l’intime conviction que toutes les révolutions orange ont été fomentées par les Occidentaux et qu’il est temps que par effet de boomerang, les pays de l’Ouest affrontent une révolution de couleur à son tour.

A quel point la Russie souffle-t-elle sur les braises ? Et comment ?

Elle souffle sur les braises dans la manière dont elle relate les faits. Elle applique un effet de loupe sur la situation. C’est notamment ce qu’elle a fait avec la manifestation française, qui avait initialement été traitée comme une fake news par LCI. Mais pour les Russes, c’est une mobilisation de masse, etc. L’objectif est de soutenir les manifestations en espérant qu’elles gagnent en nombre et en intensité.

Y-a-t-il aussi du travail sous-marin, sur les réseaux sociaux ?

C’est quelque chose qui s’est déjà vu en 2016 aux Etats-Unis et il serait étonnant qu’il en soit autrement aujourd’hui. Par ailleurs, les manifestations sont plus souvent à l’initiative de mouvements populistes qui sont plus facilement en lien avec les réseaux russes. La question est de savoir si cela sortira de ces groupes pour influencer les autres partis.

Comment la Russie appuie-t-elle sur les failles déjà présentes des démocraties pour renforcer son action ?

C’est quelque chose que l’on observe depuis de nombreuses années, que ce soit avec l’élection de Trump, avec les suspicions concernant le Brexit, etc. Mais c’est un phénomène bien plus caché qu’on ne le pense. Il s’agit avant tout d’instiller du doute, dans les institutions, dans les dirigeants, sur la vérité des faits de la guerre en Ukraine. Le doute et la confusion sont savamment entretenus. Ils s’appuient sur le manque de confiance grandissant dans les institutions au sein des sociétés européennes. Dans un récent sondage effectué au Royaume-Uni, en Pologne, en Allemagne et en France on voit bien l’existence de ce doute.

A quel point cela nourrit-il chez les participants aux manifestations un sentiment d’importance ?

Dans nos démocraties, nous avons une liberté d’opinion que l’on veut défendre. Une partie de la population n’a plus confiance dans l’opinion des médias traditionnels et qui pour se faire leur opinion se tournent vers des médias alternatifs. Ils ont l’impression d’avoir la capacité de se forger leur propre opinion alors qu’on leur tend d’autres lunettes de compréhension. C’est une influence qui est remplacée par une autre. Mes travaux portent sur la tentative de mesure de ces influences. Mais il y a évidemment dans la rhétorique utilisée une mise en valeur, une révélation de ce qui est caché. C’est assez efficace dans le procédé et cela permet de détourner des esprits de ce qui est « acceptable » tout en leur permettant de croire qu’ils ne sont pas de moutons et qu’ils sont entendus, alors qu’ils ont le sentiment de ne pas l’être par le gouvernement et les médias traditionnels. 

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