Démacroniser la campagne des législatives pour se sauver ? La grande illusion de François Bayrou et d’Edouard Philippe<!-- --> | Atlantico.fr
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François Bayrou et Edouard Philippe lors du congrès du parti Horizons au Parc Floral de Paris, le 25 mars 2023.
François Bayrou et Edouard Philippe lors du congrès du parti Horizons au Parc Floral de Paris, le 25 mars 2023.
©ALAIN JOCARD / AFP

Voué à l'échec

Suite au revers des législatives, François Bayrou et Edouard Philippe ont plaidé pour une moindre application du chef de l'État ou pour une alliance avec le PS ou les LR pour faire barrage aux RN. Une stratégie suicidaire, inévitablement vouée à l'échec.

Stewart Chau

Stewart Chau

Stewart Chau est Directeur d’études chez Verian.

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Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Atlantico : La stratégie et les solutions prônées par François Bayrou et Edouard Philippe pour les législatives, vouloir faire du Macron sans Macron, ou tendre la main à certaines forces politiques notamment à gauche, ne sont-elles pas un aller-simple pour la catastrophe ? N’y a-t-il pas aucun sens à s’allier avec un PS prêt à soutenir le retour à la retraite à 60 ans et aucun sens à s’allier à des gens qui considèrent que la loi immigration relevait du racisme et de l’islamophobie ? En quoi ce que décrit Edouard Philippe correspond à la matrice mortifère qui a amené le pays au bord de la guerre civile et à la crise politique ?

Paul-François Paoli : L'excellent score de la liste de Bardella provoque la levée des ambiguïtés. La politique consiste à définir qui est l'adversaire principal. La pseudo droite pseudo gaulliste démontre, s'il en était besoin, que son principal ennemi est le RN. Il est évident que cette stratégie est politiquement suicidaire. Bayrou, qui fut le pire ministre de l'Education nationale que la France ait connu ces dernières années, selon Chirac lui-même, n'est plus qu'un politicien pathétique qui s'accroche aux vieilles lubies du centrisme et de la démocratie chrétienne. Il est dommage par ailleurs qu'un homme aussi intelligent qu'Edouard Philippe cède à ce genre de sirènes. On voit à quel point la droite dite républicaine est désorientée. Elle n'a pas eu le courage intellectuel de rompre avec la doxa dominante sur les questions ayant trait à l'immigration et à l'islam, elle le paie aujourd'hui d'une manière imparable et risque la disparition pure et simple malgrè l'intégrité et la valeur de certains de ses leaders comme Bellamy ou Retailleau.

Suite au revers des législatives, François Bayrou et Edouard Philippe ont plaidé pour une moindre application du chef de l'État ou pour une alliance avec le PS ou les LR pour faire barrage aux RN. Que souhaitent réellement les militants et les sympathisants centristes par rapport au projet d'alliance avec le PS ou LR pour lutter contre les RN ? 

Stewart Chau : Ce qui est remarquable, c'est la réitération du cordon sanitaire, de l'arc républicain, qui a été mis en place dès 2017. Je ne pense pas que ce soit une stratégie très efficace, car elle est usée et fatigante. Bien sûr, ils ont raison de dramatiser la situation, car elle est vraiment dramatique pour la majorité présidentielle.

Cependant, je pense que nous devrions nous engager davantage dans une confrontation politique plutôt que dans une manœuvre politicienne. Les Français, dans leur ensemble, et notamment le cœur de la majorité présidentielle, attendent une exposition claire et convaincante des idées de cette majorité, ainsi que des explications sur les raisons de ses choix. Dans cet exercice démocratique, il est essentiel de voter de manière raisonnée, ce qui signifie voter pour la majorité. Mais cela nécessite un discours argumenté et convaincant. Se cacher derrière l'arc républicain, une fois de plus, ne suffira pas à barrer la route au Rassemblement national, à mon avis.

Quelles sont les positions des électeurs centristes sur l'économie, les sujets sociétaux ou l'immigration ? Sur quels sujets les électeurs centristes sont en opposition avec les instances dirigeantes du parti ?

Stewart Chau :Je crois que ce qui va être déterminant pour l'électorat de la majorité présidentielle, c'est, une fois de plus, la capacité d'Emmanuel Macron et de sa majorité à incarner ce qu'ils avaient promis au début de son premier mandat en 2017.

Certes, beaucoup de choses ont changé depuis lors, et nous évoluons dans un monde complètement différent. Mais l'essence même du macronisme, si tant est qu'elle existe encore, doit être prouvée.

Je pense que jusqu'à présent, la majorité présidentielle s'est quelque peu reposée sur ses lauriers en s'appuyant sur le socle républicain. Aujourd'hui, elle doit reprendre les rênes pour réaffirmer son identité, renouant peut-être avec les fondements du macronisme qui ont suscité l'adhésion au départ, et qui pourraient être efficaces pour séduire l'électorat de centre-gauche et de centre-droite. Il s'agit de l'idée même de progrès, qu'il soit social, sociétal ou économique.

Nous n'avons pas vraiment l'impression que cette notion de progrès soit au cœur de ce début de deuxième mandat de Macron, caractérisé par un retour sur certains acquis, avec un discours autoritaire et rigide, qui est sans doute attendu par une partie de l'électorat de Macron, mais qui ne suffit pas. C'est pourquoi je pense, comme je l'ai dit précédemment, qu'il y a une erreur stratégique à penser que la réserve de voix se situe aux extrêmes, alors qu'en réalité, je crois que c'est le bloc modéré du centre qui est la clé, c'est-à-dire la majorité présidentielle. Il est peut-être dans cette dynamique de modération et de nuance que les électeurs attendent les partis de gouvernement, y compris les Républicains, le Parti Socialiste et Europe Écologie Les Verts.

Quant à la question de savoir s'il existe un décalage entre les aspirations des militants et sympathisants et les souhaits des dirigeants, cela pourrait être difficile à déterminer. Personnellement, j'ai une intuition. Je pense que le discours ultraconservateur qui semble être dicté par le gouvernement, et qui s'aligne sur le début du deuxième mandat, est une erreur. Cette idée selon laquelle la seule voie possible est de revenir sur des droits acquis peut fonctionner pour certains électeurs de droite, mais pas pour ceux de centre-gauche, voire du centre.

C'est un peu regrettable, car il y avait des réformes sociétales majeures sur lesquelles le gouvernement aurait pu agir, mais qui ont été mises de côté. Je crois vraiment que pour la majorité présidentielle, le défi est de redonner vie à l'ADN originel du macronisme, centré sur l'idée de progrès et de réinvention de l'avenir, car c'est peut-être là que se trouve le manque de crédibilité et de légitimité perçu par l'opinion publique, tant à l'extrême-droite qu'à la gauche.

En quoi le vote RN est-il devenu un vrai vote d’adhésion et pas uniquement un vote de contestation ? Le RN représente-t-il désormais le prix que les Français sont prêts à payer pour avoir ce qu’ils désirent sur le régalien (notamment sur l’imigration) comme c’est le cas pour les Américains avec Trump ?

Paul-François Paoli : Il s'agit ni plus ni moins d'un tremblement de terre politique et sociologique. Nous vivons peut-être les derniers feux de la génération 68 dont les candidats, Marie Toussaint et Manon Aubry mais aussi Valérie Hayer, ont fait de piètres résultats. La performance de Bardella était assez prévisible dès lors que l'on avait lu les livres de Marcel Gauchet, Jean Claude Michéa ou encore les  travaux de Jérome Fourquet ou de Christophe Guilly. Les classes populaires ne se reconnaissent plus depuis très longtemps dans le discours des institutions et des médias et il est assez risible que la gauche en appelle à la mythologie du Front populaire. En 1936 les ouvriers défilaient en chantant l'Internationale, aujourd'hui ils votent pour le RN. La gauche va donc organiser un "Front populaire" sans le peuple. Cela promet! Mais avec Bardella un phénomène tout à fait inédit apparaît, celui du vote des jeunes. Le RN a fait des scores impressionnants parmi eux. La cliché selon lequel les jeunes sont, par définition, de gauche est donc à mettre au rancart. Enfin les diplômés et les cadres sont aussi nombreux à voter RN qui a donc cessé d'être un parti populiste au sens sociologique du terme. On pourrait dire du RN aujourd'hui ce que disait Malraux du RPF(Rassemblement pour la France) du Général de Gaulle dans les années 50: l'électorat gaulliste c'est le métro à 5 heures du soir,  autrement dit c'est monsieur tout le monde.  Il faudra bien  un jour que les journalistes du service public qui font du RN un parti d'extrême droite se rendent compte que leur logiciel est périmé. En réalité, la force du RN est d'avoir dédiabolisé ses thématiques sécuritaires. Il n'est tout simplement plus possible de nier qu'il existe un lien entre immigration et délinquance. Et il n'est plus possible de contester que l'immigration massive et l'islamisation de certaines villes de ce pays sont des phénomènes qui sont liés.


Au regard du contexte politique depuis la dissolution de l’Assemblée nationale, est-il urgent  que puissent se réformer une gauche républicaine et une droite républicaine pour rétablir le clivage gauche - droite ? La négation de ces deux forces politiques n’a-t-elle pas fait flamber les extrêmes ?

Paul-François Paoli : La radicalisation idéologique à laquelle nous assistons est liée au fait que la société française est de plus en plus hétérogène sur un plan culturel, religieux et ethnique. Mélenchon a partiellement réussi son pari qui consiste à mobiliser un électorat de culture musulmane ou maghrébine qui se reconnaît dans un discours francophobe, voire judéo phobe. Les prises de position scandaleuses de la franco-syrienne Rima Hassan sur Israël ou l'Algérie sont à cet égard éloquentes. Qui est cette personne et quelle est sa légitimité? Il n'y a qu'en France que l'on permet à des gens qui viennent juste d'acquérir la nationalité française de combattre le pays qui les a accueilli. Comme l'écrivait l'écrivain franco tcheque Milan Kundera: "La France est le seul pays où l'on apprend pas à aimer la France". Face à cette sécession, il est normal que la droite ait tendance à se radicaliser. Et c'est toute l'erreur de la droite institutionnelle de ne pas l'avoir compris à temps pour couper l'herbe sous les pieds du RN. Maintenant il est trop tard car les électeurs préfèrent toujours l'original à la copie.

La stratégie du barrage républicain contre le RN prônée par François Bayrou et par Edouard Philippe n’est-elle pas vouée à l’échec au regard de l’ampleur du score du RN aux européennes et des intentions de vote pour les législatives ?

Paul-François Paoli : Oui cette stratégie éculée est vouée à l'échec. Le discours qui consiste à faire honte aux français qui votent pour des partis prétendument d'extrême droite est tout simplement honteux. Ce sont ceux qui ont mis ce pays dans l'état où il est qui devraient avoir honte. La gabegie d'une éducation nationale irréformable et la baisse du niveau des connaissances, l'immigration de masse, l'islamisation et l'insécurité ne sont pas des phénomènes imaginaires. Mais les élites de ce pays préfèrent panthéoniser Robert Badinter que s'interroger sur leur responsabilité quant au déclassement de ce pays. Si le RN concrétise sa montée en puissance aux législatives, il n'est pas impensable que nous assistions à un basculement historique.

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