Dedovshchina : cette « culture » de l’armée russe sans laquelle il est impossible de comprendre le moral des soldats envoyés par Poutine en Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
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Des militaires russes défilent sur la Place Rouge lors du défilé militaire du Jour de la Victoire à Moscou, le 9 mai 2021.
Des militaires russes défilent sur la Place Rouge lors du défilé militaire du Jour de la Victoire à Moscou, le 9 mai 2021.
©KIRILL KUDRYAVTSEV / AFP

Moral des troupes

Cette forme de bizutage particulièrement brutale est institutionnalisée au sein de l'armée depuis la période soviétique. L'analyser permet de mieux appréhender les tensions qui existent au sein des troupes russes.

Françoise Thom

Françoise Thom

Françoise Thom est une historienne et soviétologue, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Paris-Sorbonne

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Atlantico : A l’heure où les projecteurs sont braqués sur l’armée Russe, déployée en Ukraine, on parle trop peu souvent de sa formation et notamment de la “Dedovshchina”, un bizutage ayant lieu en son sein à l’égard des jeunes conscrits. De quoi retourne-t-il exactement ? A quel point est-ce un problème systémique et hérité de l’armée rouge ?

Françoise Thom : La “Dedovshchina” est devenue un phénomène courant après la deuxième guerre mondiale ; elle se répand surtout au milieu des années 1950, lorsque les goulags se vident après la mort de Staline, et lorsque les mœurs de la pègre essaiment dans la société soviétique. La « dedovshchina » n’est pas un bizutage inoffensif comme celui qui se pratique dans nos grandes écoles. Il s’agit d’une hiérarchie parallèle informelle qui s’instaure dans l’armée, à l’image de celle existant dans les goulags. Le jeune conscrit est l’esclave de l’« ancien », il doit lui cirer les bottes, nettoyer les chiottes, s’acquitter de toutes les corvées. Souvent la  « dedovshchina » s’accompagne de sévices physiques, coups et blessures, viols etc. et peut amener la victime au suicide. Elle s'est généralisée après 1967, lorsque la durée du service militaire a été réduite de trois à deux ans. Ceux qui  servaient pour la troisième année étaient furieux de ce que les nouveaux conscrits n’avaient que deux ans à tirer, et ils se mirent à leur faire la vie dure. Loin de mettre fin à ces pratiques, les officiers les encourageaient afin de casser la solidarité entre les soldats et de maintenir la « discipline » en s’appuyant sur les « anciens ». La « dedovshchina » était surtout répandue chez les Russes, elle n’existait pas parmi les conscrits caucasiens. Les conscrits d’Asie Centrale étaient les souffre-douleurs par excellence. Aujourd’hui les autorités russes prétendent avoir éradiqué la « dedovshchina » mais il n’en est rien si l’on suit la chronique des faits divers dans l’armée. La « dedovshchina » se modernise et prend plus souvent la forme du racket.

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Mais à quoi donc ont servi les dizaines de milliards injectés par Poutine pour moderniser l’armée russe ?

Dans quelle mesure cette violence interne à l’armée peut-elle nuire au moral et à la cohésion des soldats ? Cela peut-il expliquer en partie les difficultés russes sur le théâtre opérationnel ?

Aujourd’hui les conscrits proviennent des classes les plus défavorisées de Russie. Ce sont ceux dont les parents n’ont pas les moyens de payer les pots-de-vin indispensables pour échapper au service militaire. Très souvent les soldats haïssent leurs officiers complices des abus. Quotidiennement humiliés, ils se vengent quand ils le peuvent, pillent et violent à leur tour. Tout cela contribue à la démoralisation de l’armée que l’on constate en Ukraine.


Zelensky a récemment déclaré : "Je vous donne un choix. Une chance, au nom des Ukrainiens. Une chance de vivre. Si vous vous rendez à nos forces, nous vous traiterons comme il se doit. De la façon dont vous n'avez pas été traités dans votre armée". Les mauvais traitements subis dans l’armée pourraient-ils inciter certains soldats à faire défection ? 

Les Ukrainiens rapportent de fréquents cas de défections. Nombre de conscrits sont mal entraînés, certains préfèrent s’automutiler. La possibilité de piller semble la motivation la plus forte dans l’armée russe. 

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