Découverte : votre peau “pense” parfois avant votre cerveau<!-- --> | Atlantico.fr
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Un tatouage.
Un tatouage.
©Reuters

Intelligence diffuse

Des chercheurs de l'université d'Umea ont récemment infirmé la connaissance solidement établie selon laquelle le système nerveux est divisé entre un cerveau "intelligent" et un réseau périphérique borné à la transmission des informations.

Philippe Vernier

Philippe Vernier

Philippe Vernier est Directeur de Recherche au Centre national de la recherche scientifique, et est le directeur de l’Institut des Neurosciences Paris-Saclay (CNRS Université Paris Sud).
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Atlantico : Une récente étude de l'université d'Umea en Suède (voir ici en anglais) vient de faire une découverte étonnante: les neurones présents dans la peau, et en particulier celle des doigts, ne se limiteraient pas seulement à la transmission des informations de ce qu'ils touchent, mais interpréteraient eux-mêmes ces informations. En quoi cette découverte est-elle étonnante ?

Philippe Vernier : L’observation faite par ces chercheurs suédois chez une trentaine de volontaires, femmes et d’hommes, tend à montrer que les neurones qui innervent la peau du bout des doigts sont capables de coder des informations complexes dès l’origine du stimulus (toucher un objet), et qu’ils se comportent donc comme des neurones du cortex cérébral. Avant cette publication, l’idée dominante était que les neurones venant de la périphérie du corps, de la peau, véhiculaient une somme d’informations simples, et que c’était les neurones de notre cortex qui "décodaient" ces informations élémentaires pour leur donner un sens et faire en sorte que l’on reconnaisse, que l’on se représente l’objet touché (une balle ou un cube par exemple).  

La découverte principale de ces chercheurs est donc d’avoir montré que l’information spatiale qui permet de reconnaître une forme est encodée dès l’origine, grâce à la position des petits récepteurs, des petits senseurs que nous avons sous la peau et qui sont connectés aux nerfs des doigts. Cette information de position et l’intensité de la pression sur les doigts est transformée en une séquence temporelle de signaux électriques très spécifique qui montre que les nerfs de nos doigts sont déjà capables en eux-mêmes de traiter une grande partie de l’information qui permet de se représenter l’objet, de comprendre ce que l’on touche. 

Qu'est-ce que cette découverte pourrait remettre en cause ? Que pensions-nous du système nerveux et de son fonctionnement jusqu'alors ?

Cette découverte remet en cause une conception un peu simpliste selon laquelle les nerfs de la périphérie du corps seraient de simples transmetteurs passifs de signaux qui varient simplement en fonction de l’intensité de la stimulation, la pression sur le bout des doigts par exemple. Ce travail de recherche, fait directement sur des sujets humains, suggère qu’il n’en est rien, et que ces neurones de la peau traitent l’information reçue au bout des doigts de façon très sophistiquée. Il existe donc une sorte d’ "intelligence"  au bout de nos doigts.

Peut-on désormais dire que notre « intelligence » au sens premier n’est pas confinée à notre cortex cérébral, mais est répartie dans notre corps ?

Il faut sans doute ajouter, pour bien comprendre ce dont il s’agit, que ce n’est pas parce que les doigts "comprennent" une forme et codent une information complexe dès l’origine, que nous avons pour autant consciente de cette information née dans les nerfs de nos doigts. Pour que la perception de la forme de l’objet devienne consciente, il faut que les signaux transmis par les nerfs de la peau atteignent le cerveau. C’est dans le cerveau, en particulier dans le cortex spécialisé dans la perception du toucher, que l’information peut devenir consciente, grâce l’organisation et aux connexions particulières de ces régions cérébrales

Quelle est la portée de cette découverte ? Quelles autres recherches ces résultats pourraient-ils inspirer ?

Les résultats publiés par ces chercheurs permettent de mieux comprendre comment notre système nerveux fonctionne et comment il construit notre perception et représentation du monde extérieur. Le type de codage, de mise forme de l’information qui provient de nos organes des sens est beaucoup plus riche et complexe que ce que l’on pensait il y a quelques années encore. Les chercheurs suédois insistent sur le fait que nos nerfs et notre cerveau analysent en un temps très bref, quelques millièmes de seconde, de très nombreux signaux, et qu'ils sont capables de leur donner un sens en les classant selon le moment et le lieu où ces signaux ont été émis. La découverte des chercheurs suédois renforce les hypothèses récentes sur la nature du "code" qui dans le système nerveux, nous permet de voir le monde et de lui donner un sens. Ces résultats inspireront aussi certainement les ingénieurs et informaticiens qui conçoivent les ordinateurs de demain, ou toutes sortes de robots.

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