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De Zemmour à Lubrizol, mauvaise semaine pour la com’ des entreprises françaises
©Marco BERTORELLO / AFP

Crise

Alors qu'après l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen la Directeur Générale de l'entreprise avait déclaré que l'entreprise ne paierait que si "la pollution était effectivement due à l’incendie", le cas de Nutella qui annonce la fin de ses publicités avant les émissions d'Eric Zemmour montre une autre facette d'un même problème : une communication de l'implication des entreprises comme acteurs politiques.

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Benoît de Valicourt

Benoît de Valicourt s’inscrit dans la tradition du verbe et de l'image. Il travaille sur le sens des mots et y associe l'image réelle ou virtuelle qui les illustre. Il accompagne les acteurs du monde économique et politique en travaillant leur stratégie et leur story-telling et en les invitant à engager leur probité et leurs valeurs sur tous les territoires. 
 
Observateur de la vie politique, non aligné et esprit libre, parfois provocateur mais profondément respectueux, il décrypte la singularité de la classe politique pour atlantico.fr et est éditorialiste à lyonmag.fr
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Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico : Alors que la responsabilité de Lubrizol dans l'incendie de Rouen n'a pas encore été tranchée par les autorités, l'entreprise s'est embourbée dans sa stratégie de communication en affirmant tout d'abord par la voix de sa directrice générale "qu'il faudra prouver que la pollution est liée à l’incendie" avant  de finalement trouver un accord d'indemnisation d'au moins 50 millions d'euros. Comment interpréter ces errements dans la communication de Lubrizol et ces décisions successives sans lien avec des décisions de justice ?

Arnaud Benedetti : Cet enlisement communicant est révélateur. Il traduit , nombre d’observateurs l’ont indiqué , une faillite de la com’ de crise dont les préceptes au demeurant n’ont pas été respectés et ce de toute part. Pas de transparence , peu ou pas d’empathie , une réactivité qui ne s’est pas forcément exprimée au bon niveau, des messages contradictoires avec une volonté de rassurer d’une part, et des signaux de prudence parfois anxiogènes d’autre part . Partant dans un aussi mauvais sillon, il est difficile alors de se récupérer. Les événements commandent, Lubrizol n’a pas su ou pu manifestement prendre la mesure de la séquence  et s’est empêtré dans des discours successifs. À l’heure des réseaux sociaux et du suivi en live permanent de l’actu les stratèges de la com’ sont déstabilisés . Dès lors que dés le départ d’une crise vous négligez les bons réflexes, à savoir notamment la reconnaissance d’une responsabilité et que vous ne faites pas preuve de votre implication totale dans la résolution du problème , vous fragilisez votre position , vous vous rendez inaudibles , et vous vous "cornerisez". Face aux images impressionnantes du nuage qui tournent en boucle et aux atermoiements des autorités, Lubrizol a donné à tort ou à raison  le sentiment d’une indifférence aux émois et aux exigences d’une opinion inquiète et qui n’a plus confiance.  On doit également s’interroger sur la coordination de la communication entre la puissance publique et l’entreprise . Manifestement l’autorité politique n’a pas facilité la tâche de l’industriel, chacun s’efforçant de sanctuariser de son côté son image. Une communication de silo qui a laissé échapper au grand jour les zones de conflictualité entre les différents acteurs impliqués dans la gestion de la catastrophe.

Benoît de Valicourt : La gestion de la communication de crise est compliquée pour les entreprises, cependant pour une entreprise comme Lubrizol, le risque zéro étant quasi nul, il est surprenant que la direction de la communication n’anticipe pas mieux ses éléments de réponse surtout dans le contexte international d’une prise de conscience environnementale.

Lubrizol ne peut ignorer qu’en cas d’accident, ce qu’elle produit entrainera des dommages pour l’environnement et les populations alentours. Donc la meilleure défense est la défensive et l’attaque et suivant le sacro-saint principe américain, c’est au procureur de prouver la culpabilité de l’accusé. Cependant l’opinion publique a réagi vivement et l’émotion était forte. La théorie du nuage de Tchernobyl ne prend plus, autre époque, autre conscience !

Au moment où des milliers de jeunes envahissent les rues le vendredi, où Greta Thunberg devient l’égérie de la bonne conscience environnementale, les « pollueurs » ne peuvent plus se réfugier derrière la justice qui met du temps pour définir les responsabilités, ils doivent donc agir, anticiper, calmer l’opinion publique, et l’argent permet d’acheter le silence. Cette stratégie est finalement celle du plaider-coupable, encore une spécificité américaine !

En parallèle Nutella a annoncé qu'ils allaient stopper leurs publicités avant les émissions d'Eric Zemmour. Que signifie cette stratégie de la filiale de Ferrero ? N'y-a-t-il pas là un souci dans le débat démocratique ?

Arnaud Benedetti : On peut faire deux lectures de cette annonce. Dans un premier temps on  peut considérer qu’il s’agit là d’une extension du domaine de la responsabilité sociale ou sociétale d’entreprise à d’autres enjeux que les seuls enjeux environnementaux ou inclusifs, quoique les déclarations d’Eric Zemmour posent aussi la question de l’inclusion. Le groupe Ferrero agirait en fonction de valeurs citoyennes, de convictions profondes, d’un engagement qui va au-delà du seul imaginaire de marque, de la seule préoccupation d’être consommé par le plus grand nombre pour l’une de ses marque-phare. Une autre lecture, moins naïve, peut être mise en avant. Tout d’abord Nutella a été l’objet d’une pression intense exercée par les activistes de "sleeping giants" dont le but consiste à assécher les ressources  publicitaires des médias les plus conservateurs . Ensuite on ne peut exclure une volonté de s’acheter une conduite alors que la marque est non seulement critiquée pour son rôle dans la déforestation en raison de la composition de son produit avec l’huile de palme ; mais aussi parce qu’une enquête récente menée par deux journalistes britanniques tendrait à démontrer que des enfants de moins de 12 ans seraient employés en Turquie pour ramasser les noisettes nécessaires à la fabrication du produit. En s’indignant des propos tenus par l’essayiste, on va rechercher une bonne polémique bien française pour faire diversion en quelque sorte et occulter une pratique qui va à l’encontre de toutes les conventions internationales relatives au droit et à la protection des enfants. On combat un risque image en s’extrayant par une mise en scène adaptée d’un autre risque image, celui de voir sa marque associée à la réputation d’Eric Zemmour.

Benoît de Valicourt : On prête à Voltaire d’avoir dit « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire » et on doit à Nutella de s’acheter une bonne conscience à pas cher !

Après les vives polémiques sur l’utilisation de l’huile de palme dans la fabrication de la pâte à tartiner et l’incidence sur la survie de l’orang-outan de Bornéo, Nutella se place en défenseur des différences, du respect des religions et condamne par là-même la liberté d’expression. Nutella n’est pas à une contradiction près !

Est-ce le rôle de Nutella de juger si les propos de Zemmour sont de nature à être condamnés ? Quel impact sur le consommateur peut avoir ce genre décision ?

Imaginons un enfant avec ses parents dans le rayon des pâtes à tartiner demandant un pot de Nutella. Oui, répond le père, Nutella combat le « fascisme », manger du Nutella est un engagement politique et il faut éveiller la conscience des enfants le plus tôt possible. Non, répond la mère, Nutella tue des singes innocents en exploitant l’huile de palme. L’enfant n’aura pas sa pâte à tartiner, les parents se seront disputés et Nutella n’aura rien gagné.

D’autres marques ont suivi et c’est toute la question de l’identité de marque. Pourquoi le consommateur achète telle ou telle marque ? L’identité de marque correspond à une extension de la définition anthropomorphe. La marque s’appuie sur ses valeurs et s’engage. Elle ne se contente plus de vendre des produits, elle prend position et doit faire le buzz dans un univers toujours plus concurrentiel.

Le risque majeur d’une marque qui devient politique est finalement de perdre son indépendance...

Alors qu'il existe une fracture grandissante entre politique et citoyens, les entreprises, en s'ingérant dans ce débat politique, ne risquent-elles pas de creuser cette fracture ? Est-ce logique de voir les entreprises s'ériger en acteurs politiques, au risque de détruire la confiance, base de la consommation ?

Arnaud Benedetti : Elles l’ont toujours fait, mais de manière discrète, ne serait - ce que pour financer des activités politiques. L’implication du monde de l’entreprise n’est pas nouvelle  en politique. C’est une constante. Et je dirai que c’est naturel, même si parfois avec une pointe d’hypocrisie elles s’en défendent. Plus généralement les codes publicitaires qui accompagnent les grandes marques sont traversés par l’idéologie du " politically correct". La pub est une activité spongieuse qui absorbe les tendances dominantes de sa sociologie professionnelle, comme la com’ en général. On est diversitaire, inclusif, contre toutes les "phobies", etc... D’ailleurs le fondateur de " giants sleeping " est lui même un ancien publicitaire. La politisation des marques porte néanmoins toujours le risque de se couper de certains segments de consommation. La réalité c’est que la consommation est toujours plus forte que les préventions politiques qui opèrent essentiellement à la marge. Pendant les polémiques, la consommation perdure....Mais ce que dit cette tendance c’est qu’il existe aujourd’hui un capitalisme de complaisance pour lequel les stratégies d’accommodements avec les minorités actives dites progressistes constitue un axe stratégique essentiel en vue de sa propre perpétuation. 

Benoît de Valicourt : Les marques aujourd’hui au même titre que les citoyens ont une conscience politique, chacun veut peser dans le débat « démocratique ». Très longtemps, le monde de l’entreprise est resté celui de la neutralité. L’entreprise fait du business, ses salariés laissent au vestiaire leurs idées politiques. Seuls les syndicats affichent la couleur, souvent rouge !

Si les entreprises s’engagent dans le débat politique, le font elles au nom de leurs salariés ? Engagent-elles les femmes et les hommes qui y travaillent ? Quid de la liberté individuelle des collaborateurs ?

Et au-delà des collaborateurs, c’est ensuite le consommateur qui se retrouve confronter aux choix politiques de l’entreprise. Ce n’est plus un produit que l’on choisit mais une orientation politique. Nous sommes passés de la théorie des 4P à celle des 6P (Product, Price, Promotion, Placement, Personality, Politics).

L’espace de liberté se réduit comme peau de chagrin, l’étau de la contrainte se referme insidieusement sur la liberté. Le politiquement correct l’emporte, la pensée unique s’impose, chaque jour c’est de la peur à tartiner…

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