De l’Elysée aux lettres de motivation (en passant par Atlantico…) la France mesure-t-elle ce qu’elle perd en renonçant à l'orthographe ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’orthographe a une dimension symbolique immense, par son caractère identitaire.
L’orthographe a une dimension symbolique immense, par son caractère identitaire.
©Reuters

Zéro pointé

Le niveau d'orthographe des Français est en baisse et cela s'illustre dans de nombreux secteurs, du monde de l'entreprise à l'université en passant par les institutions politiques. Ce qui est jugé anecdotique par certains en dit bien plus qu'on ne le pense sur notre société.

Pascal Hostachy

Pascal Hostachy

Pascal Hostachy est cofondateur de Woonoz (moteur d’ancrage mémoriel dédié à la formation), du Projet Voltaire (n° 1 de la remise à niveau en ligne en orthographe avec 1,5 million d’utilisateurs dont 600 écoles et 300 entreprises) et du Certificat Voltaire (certificat de niveau en orthographe reconnu sur un CV par de nombreuses entreprises)

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Pierre Duriot

Pierre Duriot

Pierre Duriot est enseignant du primaire. Il s’est intéressé à la posture des enfants face au métier d’élève, a travaillé à la fois sur la prévention de la difficulté scolaire à l’école maternelle et sur les questions d’éducation, directement avec les familles. Pierre Duriot est Porte parole national du parti gaulliste : Rassemblement du Peuple Français.

Il est l'auteur de Ne portez pas son cartable (L'Harmattan, 2012) et de Comment l’éducation change la société (L’harmattan, 2013). Il a publié en septembre Haro sur un prof, du côté obscur de l'éducation (Godefroy de Bouillon, 2015).

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Atlantico : Fautes d’orthographe en hausse, cours de rattrapage en entreprise, erreurs dans un communiqué de presse de l’Elysée au début du mois… Le rapport à l’orthographe des Français a-t-il changé ces dernières années ?

Pierre Duriot : Oui, il a changé, quand dans les années 80, le Ministère de l'Education Nationale a décrété l'orthographe contraignante, insupportable et décidé de mettre le paquet sur le langage et l'expression orale, ce qui trente ans plus tard donne des classes où l'on bavarde en permanence, pour se dire des banalités affligeantes, sans que le professeur ne puisse en placer une et des écrits en dessous de tout, que ce soit sur les cahiers ou sur les écrans des téléphones agités sous les tables. Bien sûr, l’orthographe est pénible, difficile, controversée… l’orthographe est parfois une barrière à l’écriture spontanée, mais il faut voir au-delà : l’orthographe revêt une dimension symbolique immense, par son caractère identitaire. L’orthographe est facteur de cohésion, de cohérence, contient les codes sociaux du partage, l’identification à une culture et les modalités acceptées et partagées de la communication avec les autres. C'est-à-dire également, l’admission de l’altérité, l'autre pour qui on écrit sans faute, afin qu'il nous comprenne. L’orthographe est difficile à maîtriser : oui. Mais c’est justement cet effort d'acquisition qui va être identifié par les autres comme la volonté concrète d'adopter les codes communs d’une société occidentale de l’écrit symbolique et de la loi et du père.

Pascal Hostachy : Le niveau a fortement baissé ces 30 dernières années. Nous pensions que la chose s’était stabilisée, mais il n’en est rien. Les Français maîtrisaient 51% des règles de grammaire de base en 2010, ils en maîtrisent 45% en 2015. 6 points de perdus en 5 ans ! (source Baromètre Voltaire 2015). Ce qui est singulier, c’est que les études montrent que les Français considèrent que leur langue est très difficile, mais qu’il ne faut pas la simplifier. Il y a eu une réforme simplificatrice en 1990, et encore aujourd’hui, elle est loin d’avoir été adoptée par les Français. Enfin, les Français ne voient pas forcément les fautes qu’ils commettent, mais voient celles commises par les autres.

Est-ce grave, en d’autres termes, quel est le poids du fond par rapport à la forme ? Pourquoi ?

Pierre Duriot : La maîtrise de l’écrit va signer dans l’ensemble de la vie de l’élève devenu jeune adulte, sa capacité et surtout sa volonté d’adhérer à un pacte social, à des règles du jeu acceptées et partagées. Il va comprendre durement le poids de cette forme lorsque son CV bourré de fautes sera rejeté avant même d’être complètement lu, quand sa copie d’examen sera dévalorisée pour cause d’irrégularités orthographiques, parce que le lecteur, souvent plus âgé que le candidat et/ou sensible à ce paramètre que lui-même maîtrise, se dira indubitablement dans le fond de sa conscience, qu’un jeune qui n’a pas fait l’effort d’accéder à une orthographe, pas nécessairement parfaite mais au moins acceptable, ne fera pas non plus l’effort de comprendre les codes communs d’une entreprise ou d’une communauté où il souhaite entrer. Et le pire est que c'est bien souvent le cas.

Pascal Hostachy : Dans tout message, la forme est aussi importante que le fond. Il y a des codes. S’en affranchir, c’est prendre le risque de se marginaliser. Par exemple, vous pouvez essayer d’arrêter de dire « bonjour », « au revoir », « s’il vous plaît », « merci ». On ne change que la forme, on ne touche rien au fond. Pourtant, il ne faudra pas trois jours pour que votre entourage vous remette à votre place.
La forme, c’est notre façon de parler, notre voix, nos intonations, nos mimiques, notre gestuelle, notre accoutrement… À l’écrit, ce sera le style, la syntaxe, l’organisation du discours, la ponctuation, la justesse des mots, la justesse de l’orthographe…
Dans un monde professionnel lié au service, la communication écrite via e-mails est omniprésente. La qualité de la relation avec les clients passe en grande partie par ces échanges écrits, et par leur qualité.

Quelles sont les conséquences de cette baisse du niveau d’orthographe chez les Français ? Dans quelle mesure se pénalisent-ils ?

Pierre Duriot : Les fondateurs de l’école publique avaient bien compris la dimension constructive de l'adhésion à l'orthographe, eux qui ont construit la civilisation moderne et font reculer à la fois l’obscurantisme religieux, les paramètres régionaux de l'époque et la domination des dirigeants historiques, ceux qui justement maîtrisaient l’écrit, en diffusant massivement l’orthographe. Elle est un code d’accès puissant à la possibilité de prendre une part active dans la démocratie. Ce système certes imparfait, n’est plus aujourd’hui construit par les générations qui en ont hérité. Mais cet héritage n’est pas éternel et ne se passe pas d’entretien. Aujourd’hui, en plus de l’orthographe, resté le code commun des classes dirigeantes, il faut maîtriser les codes de l’information et de la communication, donc redoubler d’efforts. Sinon ces héritiers de la démocratie, les Français dans leur ensemble, verront leurs avoirs se déliter. Et la société retourne, tout le monde le sent bien, aux mains de castes aristocratiques qui tiennent leur puissance de la maîtrise des anciens et nouveaux outils pendant qu’elles noient les masses dans un flot d’inculture et une apologie de la vie soi-disant facile, distillés au choix sous forme de publicité consumériste ou de télévision poubelle.

Ne nous trompons pas, il y a une réelle corrélation entre orthographe, inculture, respect de la loi et démocratie. Le faible niveau en orthographe correspond à une non-adhésion aux valeurs commune, à une forme d'éducation. Non seulement le niveau de maîtrise de l'orthographe est corrélé à l'incivilité ordinaire, mais également à la qualité du système démocratique. Il est très aisé de s'apercevoir que les endroits où les violences entre les personnes, le taux d'abstention ou la non-reconnaissance des lois républicaines, sont aussi les endroits où les langages écrits et oraux sont les plus malmenés. Pire, se développent dans ces endroits, des langues et des manières de parler propres ou éventuellement la domination d'une langue étrangère. Les défauts de maîtrise de la langue n'en sont évidemment pas les seules causes.

Pascal Hostachy : Les fautes d’orthographe nuisent à la qualité de la relation avec le client. Une étude anglo-saxonne a montré qu’une faute sur une page de vente en ligne divisait par deux le chiffre d’affaires de cette page. Ce n’est pas neutre. 80% des recruteurs se disent sensibles au niveau d’orthographe des candidats. Dans un CV, des fautes annulent un atout tel qu’une expérience professionnelle adaptée.

Heureusement, la langue française est accessible à tout le monde. On peut se remettre à niveau à tout âge.

Se dirige-t-on vers une banalisation des fautes de français ou au contraire, une langue utilisée avec justesse tend à devenir la nouvelle qualité recherchée dans notre société ?

Pierre Duriot : On ne se dirige pas, on est en plein dedans. On peut toujours écouter les chantres actuels de la tolérance maximum, de l’acceptation par les uns, toujours les mêmes, des insuffisances des autres, toujours les mêmes également, avec en trente ans de cette pratique la dégringolade globale du niveau en orthographe, des rapports humains et de la cohésion sociale. Cela correspond à un émiettement de la société civile, à la montée en puissance des communautarismes, aux replis identitaires de culture et de classe. On pourra retourner le problème dans tous les sens, l’accession à une charte commune de valeurs, de communication et de compréhension, passe symboliquement par l’accession à une orthographe commune, gage d’une acceptation de la règle sociale et d’une entrée dans la société de l’écrit. Et cela demandera toujours un gros effort. On dissertera ensuite sur la manière de fournir cet effort mais il ne faut pas chercher les moyens de s’en exempter. En réalité, cette qualité recherchée aujourd'hui dans notre société est devenue un phénomène de classe et ne concerne que 20 % à un quart des personnes, ceux qui sont dans la classe dirigeante ou qui ont un rôle social prépondérant. L'abandon de l'exigence orthographique a été en réalité une machine à exclure socialement.

Pascal Hostachy : La langue française se divise en deux. Il y a le langage SMS et par extension ce que l’on peut lire sur certains réseaux sociaux. C’est un français approximatif, parfois malin, parfois drôle.
Et il y a le français « classique », celui qui est attendu dans un contexte plus soutenu, comme l’entreprise.
Je ne pense pas que l’un ou l’autre prendra le dessus. Gérer la coexistence de ces deux langues est l’enjeu qui se présente à nous.

Propos recueillis par Rachel Binhas

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